Je suis wolof, c’est-à-dire personne, mais tout le monde. On m’a dit et répété que le Wolof, pur, n’existe pas. Le Wolof est en effet un métis, c’est-à-dire une synthèse, une résultante, un point de convergence de toutes les ethnies du Sénégal, mais aussi de tous ceux qui, comme moi, sans l’ethnie wolof, souffriraient d’une absence d’identité. De fait, tous ceux qui, transplantés dans ce champ au terreau fertile de la langue, finissent par accepter d’être wolof ou, à leur corps défendant, finissent par engendrer des Wolofs, en sont.
Ce n’est pas innocemment que les Wolofs disent : « Sànt dëkkul fenn » (le nom n’est pas indexé à un terroir). Même les ethnies qui ont voulu se prémunir de cette « transculturation » qui n’est en réalité qu’un métissage culturel voient leurs enfants devenir des Wolofs. Je puis dire, comme mes beaux-parents lébous le théorisent par rapport à eux-mêmes, qu’être wolof n’est pas une appartenance ethnique, mais bien « un état d’esprit », une volonté d’adoption d’une dénomination générique. C’est plus simple, n’est-ce pas ? D’ailleurs, beaucoup vivent leur « wolofité » en gardant des pratiques héritées de leur culture originelle.
Rapport affectif !
Souffrez donc que je vous taquine, que je vous dise que je suis le meilleur, le plus beau, le plus, le plus, etc. parce que si vous ne le dites pas au sujet de vous-mêmes, vous le pensez si fort que votre cri intérieur transperce mon être. En critiquant les Wolofs, ne sous-entendez-vous pas que vous êtes meilleurs qu’eux ? En général, en médisant des autres, on cherche sinon à les rabaisser, du moins à rehausser sa propre image. Souffrez que je vous dise « sama naar bi, sama pël bi, etc. » parce que je n’introduis pas ainsi un rapport de sujétion ou de domination, mais plutôt un rapport affectif. Car, en vérité, je n’utilise pas ce possessif avec n’importe qui, mais seulement avec les personnes qui me sont familières, que j’aime bien. Vous n’avez pas remarqué que je n’ai pas de parent à plaisanterie ? Mais voilà ! Faites de moi le parent à plaisanterie universel ! A votre tour, usez de gouaille envers moi parce que, en réalité, au-delà des dérapages de quelques balourds des miens qui n’ont rien compris à la vie, je suis juste trop taquin par nature.
Faites de moi un parent à plaisanterie universel et vous verrez ! Mais oui ! Ainsi, je le crois, la paix en Casamance n’aura plus besoin de négociations ! Ça ira de soi. En effet, on ne s’entre-tue pas entre parents à plaisanterie. Entre Sérère et Diola, entre Diola et Pulaar, entre Pulaar et Sérères (Vous voyez : Soundjata nous aurait oubliés dans son dispatching !). J’aurais d’ailleurs pu en dire de même pour les musulmans entre eux ou pour des musulmans qui vivent en bonne intelligence avec les membres des autres religions. Mais, cela, malheureusement, les faibles d’esprit et les ignares l’ont remis en question comme l’on a remis en question le badinage entre mourides et tidianes qui trouve sa source dans les relations de parenté qui unissent les guides des deux confréries qui sont cousins issus de germain.
Mais n’hésitez pas à vous gausser de mes prétentions et de mes fanfaronnades pour me ramener à des positions moins aériennes. Dites donc ! Plutôt que de nous fâcher ou de nous frustrer, rions gentiment les uns des autres. Comme j’ai l’habitude de rire de mes cousins njobéen dont l’un a oublié son grand boubou après avoir fait honneur à un repas que je suppose gargantuesque à Tivaouane. Il ne me doit pas un boubou, il me doit une valise, celui-là. Pendant que j’y suis, les Ndiaye sont des Diatta, des Diarra, des Konaté, les Diop des Traoré, etc. Cela veut dire qu’on me refuse la parenté à plaisir quand je peux user du cousinage pour transcender les ethnies. Pourquoi pas les frontières ?
Idées préconçues
On me reproche – je signale qu’au-delà des frontières, toi, Sénégalais, de quelque ethnie que tu sois, tu es un Gòorgi donc un Wolof – d’appeler les étrangers Ñak. Il y a parfois de la méchanceté dans cette appellation, mais les surnoms pullulent partout au monde pour les étrangers, sans compter les idées préconçues du genre : « Wolofo mañi » (le Wolof – entendez le Sénégalais – est méchant ou le Wolof est un mauvais bougre), « les Gòorgi sont des truands » (dans des contrées où sévissent les plus grands escrocs et les plus grands criminels). Il faut faire avec ! En effet, s’il fallait prendre la mouche chaque fois qu’un Bambara (Dioula) me traite de « Wolofo djon » ou qu’un Baoulé de « kanga » (esclave), je n’aurais pas assez de mon temps pour vendre lunettes et autres bibelots dans les rues de Bamako, d’Abidjan et de toutes les cités du monde.
On me reproche de me considérer comme le premier partout et en tout. Ah bon ? Pourtant, quand les Américains en font le moteur de leur suprématie sur le monde, on les trouve géniaux. D’ailleurs, est-ce que les Maliens ne disent pas à tout bout de champ : « Anga Mali ba ! » (Notre grand Mali !) ? Bien sûr qu’il est vaste, le Mali ! Bien sûr qu’il est sur le site des grands empires du Ghana et du Mali ! Et alors ? Est-ce que les Ivoiriens ne présentaient pas un tableau paradisiaque de leur pays, comme un lieu où les étrangers venaient calmer leur faim, étancher leur soif et « voler » des biens ? Ça frise le chauvinisme, mais mettons cela sur le compte d’un nationalisme exacerbé, sinon d’un patriotisme trop fortement assumé. Mais demandez « hôtes étrangers parmi nous » si ce que je suis prêt à faire pour eux, je peux l’avoir chez eux. Vous voyez ? Moi aussi je m’y mets, parce que nul n’a le monopole du chauvinisme.
Nous avons tous nos qualités et nos défauts, mais nous avons un socle sur lequel nous pouvons bâtir une nouvelle cohésion, une nouvelle cohérence, de nouveaux sens. Et si on faisait mieux en revenant sur les fondamentaux de « la Charte du Mandé » ? Faites-moi donc universel parent à plaisanterie et je vous ferai adeptes d’Henri Lopès qui a conceptualisé le pleurer-rire. Et le Niger sera ce grand sourire qui illuminera l’Afrique de l’Ouest.
Saër NDIAYE