Dans son adresse à la Nation, faite le 31 décembre 2012, le chef de l’État s’était engagé de « générer 30 000 emplois directs par an ». Il a, de nouveau, confirmé cet engagement le mardi 12 février 2013 lors de son passage à Fatick sur le chemin de Koung Koung Sereer. Il a précisé, à cette occasion, que les 5.500 agents qui seront recrutés dans la Fonction publique ne rentrent pas dans le décompte des 30 000 emplois à créer avant la fin de l’année 2013. Cela porte son engagement, en 2013, à 35 500 emplois directs à créer. Il compte ainsi, dit-il, générer 300 000 emplois au terme de son quinquennat. Il s’est fait beaucoup plus précis, deux jours plus tard, en décidant, au cours de la séance du conseil des ministres du 14 février, la création « d’une Agence Nationale de Sécurité de Proximité, au sein du Ministère de l’Intérieur avec comme vocations, de répondre aux besoins sécuritaires au sein des communautés de base et d’être une action significative de lutte contre le chômage des jeunes ». Dans le contexte actuel et vu le déroulement des choses, la réalisation d’un tel engagement serait difficile à réaliser voire serait un pari impossible.
Une politique de l’emploi en faillite reçue en héritage
Les différentes politiques mises en place, au cours de ces dernières années, se sont avérées inefficaces pour ne pas dire qu’elles se sont soldées par un échec. Ceci est un fait. Selon la récente situation économique et sociale dressée par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), le taux de chômage, en 2011, a connu une légère hausse par rapport à celui de 2005 et est estimé à 10,2% au plan national. Concernant les jeunes de 15 à 24 ans, le taux de chômage de 2011 est estimé, au plan national, à 12,7% avec des variations accentuées d’une région à une autre : il est de 23,6% à Diourbel, 23,5% à Saint-Louis et 20,1% à Louga. Le sous-emploi est quant à lui estimé à 32,0%. L’un des principaux indicateurs qui témoignent du manque de progrès du Sénégal dans le domaine de l’emploi au cours des dernières années est celui du taux d’activité : il a connu une régression en passant de 50,7% en 2005 à 48,8% en 2011.Le Premier ministre a admis cet échec avec les mots qui sont les siens à l’occasion de la cérémonie d’installation du Comité de pilotage de la préparation et de l’organisation du Forum sur l’emploi en affirmant que « la question de l’emploi a toujours été une brûlante préoccupation. Différentes réponses, et des projets et programmes variés et divers, lui ont été consacrés sans produire, outre mesure, des résultats probants. » Sans poser un diagnostic exhaustif sur les raisons qui ont mené à cet échec, il en a cité une, c’est-à-dire « les démarches politisées et cosmétiques ainsi que les statistiques tronquées et galvaudées ». Cette cause, pointée du doigt, est révélatrice des mauvaises habitudes des responsables politiques sénégalais, tous bords confondus, d’hier et d’aujourd’hui. Les causes de l’échec ne se limitent pas à la seule politisation d’une question d’importance comme celle de l’emploi.
Il y a plusieurs autres causes notamment l’éparpillement institutionnel des services et organismes chargés des questions de l’emploi. En effet, plusieurs structures s’activent dans ce domaine en fournissant des services de placement aux jeunes demandeurs d’emploi à la promotion de l’auto-emploi en passant par l’accompagnement des entreprises et l’octroi de subventions : Cellule d’Appui à la Promotion de l’emploi (CAPE), Fonds National de Promotion de la jeunesse (FNPJ), Fonds National d’Action pour l’Emploi (FNAE), Agence Nationale pour l’Emploi des jeunes(ANEJ), Programme de promotion de l’emploi des jeunes en milieu urbain (PEJU/GTZ), Agence d’Exécution des travaux d’Intérêt Public(AGETIP), Office pour l’Emploi des Jeunes de la Banlieue (OFEJBAN), Agence de Développement et d’encadrement des Petites et Moyennes Entreprises (ADEPEME), etc. C’est ainsi que la dispersion des actions et des ressources contribuent, pour beaucoup, à l’inefficacité des différentes initiatives mises en place avec comme corolaire une absence de leadership institutionnel au sein de l’État. La preuve peut être fournie avec les résultats dérisoires obtenus par l’ANEJ : seuls 3 668 jeunes ont fait l’objet d’un placement dans les entreprises ou ont été aidés à créer leur propre emploi de 2007 à 2010, soit en quatre années ! Ce résultat frise le ridicule comparativement aux moyens dégagés quant on sait que plus de 100.000 nouveaux demandeurs d’emplois âgés entre 15 et 34 ans inondent le marché du travail annuellement.
Un début de gestion de l’emploi chaotique, partisan et sans vision
Dans l’interview qu’il a accordée au quotidien « Le Soleil » le 12 février 2013, Benoit Sambou, le ministre de la Jeunesse, de l’Emploi et de la Promotion des valeurs confirme que les 30 000 emplois directs prévus cette année seront effectifs « en s’appuyant sur un certain nombre de vecteurs tels que le recrutement dans la Fonction publique, mais aussi en engageant les jeunes dans des programmes et projets. Il consistera aussi de renforcer certains secteurs comme la sécurité, le nettoiement, le bâtiment, où il y avait des défaillances ». Cela veut dire, en termes clairs, que le gouvernement compte s’appuyer, principalement, sur l’Administration et ses démembrements pour créer les emplois annoncés. Cela serait grave et procéderait d’un manque de vision quant on sait que l’État ne peut pas être, indéfiniment, le principal pourvoyeur d’emplois au risque d’avoir des effectifs pléthoriques dans la fonction publique avec comme conséquences beaucoup de ressources publiques consacrées au paiement de traitements et de salaires au détriment des investissements productifs. C’est cette logique qui aurait, certainement, dicté la décision de recruter 5 500 agents dans la fonction publique avant même d’essayer de rationaliser le travail au sein de l’Administration notamment en identifiant les agents sous-employés en vue de les réaffecter dans d’autres services où ils seraient pleinement utilisés. L’exemple, très récent, du Ministère de l’Éducation devait inciter à la prudence avant de prendre la décision de recruter 5 500 nouveaux agents. En effet, le Ministre de l’Éducation a révélé, au cours d’une conférence de presse tenue le 18 janvier 2013 sur les résultats du recensement du personnel enseignant, qu’il y avait un surnombre de près de 2000 enseignants au niveau de l’élémentaire et du moyen secondaire (1280 enseignants en surnombre dans les collèges et lycées et un surplus de 659 instituteurs et institutrices dans l’élémentaire), alors qu’au même moment certains établissements souffrent de déficits d’enseignants. D’où sa proposition de procéder à des redéploiements, ce qui est tout à fait cohérent et prudent comme démarche.
En décidant la création d’une Agence Nationale de Sécurité de Proximité au sein du Ministère de l’Intérieur pour lutter contre le chômage des jeunes, le chef de l’État conforte cette vision « étatiste » de l’emploi sans tirer toutes les leçons des corps émergents de l’Éducation qui, de volontaires de l’éducation, sont parvenus à imposer un rapport de force syndical qui leur est favorable de manière à obtenir leur reclassement dans la Fonction publique. La conséquence de ces détournements par rapport aux objectifs initiaux est le gonflement des effectifs de la Fonction publique avec un budget principalement consacré à la masse salariale et peu de ressources prévues pour l’amélioration de la qualité de l’enseignement. La même politique des petits pas pourrait inspirer les nombreuses recrues qui seront mises à la disposition du Ministère de l’intérieur à titre d’auxiliaires. Cependant, les conséquences risquent d’être plus graves, car il s’agit ici de la sécurité et qu’une syndicalisation extrême comme celle des corps émergents que les jeunes recrues introduiraient au sein du Ministère de l’intérieur serait de nature à occasionner des troubles préjudiciables aux services de sécurité et à la sécurité de tout le monde.
Enfin, les premières nominations opérées dans le domaine de l’emploi ne sont pas du tout rassurantes (un jeune responsable du parti au pouvoir, ancien travailleur journalier et un parent proche du chef de l’État nommés à la tête de structures chargées de lutter contre le chômage sans qu’ils aient une expérience avérée dans le domaine de l’emploi). La complexité et la technicité de la question requièrent de dépasser les « démarches politisées » comme l’a dit le Premier ministre. Reste maintenant à passer de la parole à l’acte au risque de discourir pour rien sinon faire de la politique politicienne.
Un contexte défavorable
À côté des discours politiques, voire trop politisés touchant l’emploi, le Premier ministre fait preuve d’une grande lucidité lorsqu’il affirme qu’il « importe de poser les termes d’un diagnostic clair, franc et courageux pour bien appréhender les raisons des échecs passés afin d’en tirer d’utiles enseignements [ … ] d’analyser et d’identifier des niches d’emplois immédiats mais il faudra, malgré la grande impatience, toujours se souvenir que la solution de l’emploi de qualité, parce que durable, ne peut être que la conséquence d’une croissance organisée et tout aussi durable». Il a tout à fait bien vu en parlant de la relance du rythme de croissance pour favoriser la création d’emplois durables même si elle n’est pas une condition suffisante. De ce point de vue, plusieurs facteurs hypothèquent toute possibilité d’avoir des niveaux de croissance susceptibles de favoriser la création d’emplois de qualité et durables notamment le manque de ressources humaines qualifiées pour le secteur privé, la faiblesse de la productivité du travail, la faible expansion des PME/PMI et les insuffisances du système d’information sur le marché du travail.
Le manque de ressources humaines qualifiées découle, en grande partie, de l’inadéquation entre la formation et l’emploi, car les jeunes formés et mis sur le marché du travail n’ont pas toujours une formation qui répond aux besoins des entreprises. La faiblesse de la productivité du travail résulte du simple fait qu’on ne travaille pas beaucoup au Sénégal compte tenu des nombreux jours fériés, chômés et payés (on parle d’allonger la liste !), les nombreuses et multiples sollicitations sociales (cérémonies familiales et même de voisinage !), la défaillance récurrente de la fourniture d’électricité, de celle des moyens de transport du fait de grèves impromptues et désorganisées, etc. La faible expansion des PME/PMI renvoie aux difficultés de développement et d’accès au financement de ces entités en dépit de leur importance (plus de 80% des entreprises au Sénégal sont des PME/PMI). Quant aux insuffisances du système d’information sur le marché du travail, la pluralité des sources statistiques sur l’emploi ne permet pas d’avoir des informations fiables, dynamiques et pertinentes pour orienter les prises de décisions à tous les niveaux (personnel, organisationnel et étatique).
Cheikh Faye
Montréal
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