L’image des centaines de personnes agglutinées aux grilles du Bulding administratif, tous les jours depuis le début de l’année, pour déposer leur candidature aux emplois ouverts dans la Fonction publique n’est pas agréable à voir et devrait nous amener à nous interroger sur la désuétude des procédures de recrutement en vigueur dans l’Administration sénégalaise. La décision d’ouvrir des centres de dépôt de candidatures au Stade Iba Mar Diop, à compter du lundi 25 février, ne fait qu’amplifier cette amertume née du peu de respect accordé aux candidats et de l’absence d’un apparent souci de préservation de leur dignité. Ces images, que nous trouvons bouleversantes, poignantes et humiliantes, doivent nous obliger à nous poser un certain nombre de questions dont deux me semblent cruciales et qu’il faille y répondre de manière urgente : à quoi ont servi les milliards de francs CFA dépensés par l’État, au cours de ces dernières années, pour moderniser et informatiser l’Administration sénégalaise ? Est-ce que cette procédure, consistant à exiger la présence physique des demandeurs et le dépôt d’un dossier aussi étoffé, sont de nature à garantir l’égalité de tous les citoyens ainsi que le recrutement des meilleurs ?
Beaucoup de milliards investis dans la modernisation et l’informatisation de l’État
L’État a mis en place l’Agence de l’Informatique de l’État (ADIE) dont la mission est de permettre à l’Administration « de se doter d’un dispositif cohérent de traitement et de diffusion de l’information, répondant aux normes internationales en matière de qualité, de sécurité, de performance et de disponibilité » notamment « de fournir aux citoyens et aux entreprises une interface décentralisée d’accès à l’Administration ». Beaucoup de choses ont été accomplies par l’ADIE dont la création, en 2006, d’un site exclusivement dédié à la réalisation des démarches administratives par les citoyens et les entreprises. C’est un beau travail que l’ADIE a réalisé à travers ce site (http://www.demarches.gouv.sn) tellement on y trouve, à portée de main, toute la documentation appropriée aux procédures généralement utilisées par les citoyens dans le cadre de leurs rapports avec l’Administration notamment dans le domaine de l’emploi. N’empêche que ce site, en dépit de ses qualités, reste un site purement informatif et ne permet pas d’accomplir les démarches décrites comme, par exemple, celles de déposer des dossiers de candidature à des emplois ouverts dans la Fonction publique. Peut-être, nous répondra t-on que ce n’était pas sa vocation. Peu importe, au regard des moyens de l’État et des ressources consacrées à la modernisation et à l’information de l’Administration au cours de ces dernières années, cela devait être possible ! En effet, dans notre entendement, ce site n’était qu’une étape devant mener à la réalisation d’un véritable système de recrutement en ligne au sein de la Fonction publique sénégalaise avec la possibilité, pour tout(e) citoyen(ne) sénégalais(e), où il ou elle se trouve dans le pays ou en dehors de celui-ci, de déposer sa candidature aux postes ouverts dans la Fonction publique en remplissant, simplement, un formulaire électronique. Bientôt, sept (7) années se sont écoulées, sans que cette phase ne soit effective. C’est cette situation d’immobilisme apparent nous vaut, aujourd’hui, de voir des centaines de personnes faire la file quotidiennement dans la rue sans aucune mesure visant à préserver leur anonymat. Pourtant, l’ADIE fait partie des services de l’État qui ont eu à bénéficier de « beaucoup de moyens » comparativement à d’autres entités publiques. Comme beaucoup de gouvernements dans le monde, le Sénégal, avec la qualité de ses ressources humaines en informatique qui le caractérise, devait figurer dans le lot de pays qui disposeraient d’un système de recrutement en ligne. Plusieurs sociétés privées de la place font déjà recours à ce type de moyen de sélection. Le dépôt de plusieurs dizaines de milliers de demandes d’emplois en version papier va demander l’utilisation d’un personnel supplétif et, surtout, la mise en place d’un dispositif de stockage, de conservation puis de destruction des dossiers gardés au-delà des délais requis. En somme des coûts non apparents qui risquent de peser lourds. Le fait de créer un attroupement quotidien de plusieurs centaines de personnes dans une zone aussi sensible qu’emblématique qu’est le cœur de la capitale sénégalaise donne une mauvaise impression, celle d’archaïque, à l’Administration sénégalaise en dépit des nombreux efforts entrepris pour sa modernisation.
Les demandeurs d’emploi, comme tout citoyen, ont droit à une confidentialité dans leurs démarches notamment celles visant à obtenir un emploi. Cette confidentialité est nécessaire à la préservation de la dignité humaine tout court. En effet, une demande d’emploi, aussi bien dans le secteur public que celui du privé, est par essence une démarche individuelle. Elle requiert la fourniture de données personnelles (date et lieu de naissance), médicales (certificat médical d’aptitude) et judiciaires (certificat de bonne vie et mœurs) qui relèvent toutes de la vie privée des candidats. À cet égard, nul ne doit savoir, à l’exception des personnes impliquées dans le processus de recrutement, qui postule ou non à un emploi. Une personne à la quête d’un emploi ne doit pas se sentir ni humiliée ni se voir obligée de se cacher des mauvais regards pour déposer sa candidature. C’est une personne qui a d’un certain nombre de compétences qu’elle cherche à mettre à la disposition d’un employeur comme l’Administration, par exemple. Cette dernière doit la traiter avec égards, recueillir et instruire sa demande dans la plus grande confidentialité. Les grandes foules, dossiers en mains, qui ont envahi le Building administratif contreviennent à ces principes. Cela est anormal et mériterait d’être corrigé. L’ouverture de centres de dépôt des candidatures au stade Iba Mar Diop ne fait que déplacer le problème et non le résoudre.
Une façon de faire qui ne garantit pas l’égalité et le recrutement des meilleurs
En exigeant que les candidats déposent leur dossier auprès des services ouverts à cet effet, l’État ne garantit pas l’égalité de tous ses citoyens devant ces 5 500 emplois à pourvoir. En effet, la procédure de recrutement exclut, par exemple, les sénégalais vivant et/ou étudiant à l’étranger. Bon nombre d’entre eux souhaiteraient rentrer et se mettre à la disposition de leur pays et que ces recrutements constitueraient une excellente opportunité d’obtenir un emploi et, subséquemment, de rentrer au bercail. Malheureusement, la procédure instituée les exclut d’office des emplois à pourvoir faute ne pouvoir venir, physiquement, faire le rang en vue de déposer leur dossier.
Cette procédure ne garantit, non plus, le recrutement des meilleurs. Beaucoup de candidats qui disposent de compétences avérées et éprouvées et qui sont tentés par la perspective d’une carrière dans l’Administration pourraient ne pas être intéressés, en définitive, à déposer leur dossier dans les conditions humiliantes actuellement en vigueur. En effet, faut-il rappeler que ces emplois ne s’adressent pas seulement aux seuls jeunes chômeurs uniquement. Tous les sénégalais âgés de moins de 35 ans peuvent faire acte de candidature. Face aux conditions de dépôt des candidatures actuelles (après une longue attente dans la rue ou un stade), seules, les personnes les plus endurantes, les plus jeunes et les plus téméraires accepteront de s’exposer ainsi. Certaines personnes essaieront de contourner tous ces désagréments en tentant de déposer leur dossier avec l’aide de leurs connaissances ou parents qui travaillent dans l’Administration en général et au sein du Ministère de la Fonction publique en particulier. Cela relèverait d’une autre entorse à l’égalité de tous les citoyens devant la procédure de dépôt des dossiers mise en place.
Une procédure de recrutement qui mériterait d’être revue
Le dossier de candidature à un emploi dans la Fonction publique est généralement constitué, outre une demande manuscrite, d’un extrait de naissance datant de moins de 3 mois, d’une photocopie certifiée conforme de chaque diplôme obtenu, d’un extrait du casier judiciaire datant de moins de 3 mois, d’un certificat de bonne vie et mœurs et d’un certificat de visite et de contre-visite médicales. Sa constitution demande beaucoup de temps et beaucoup d’argent (timbres fiscaux, dépenses en photocopie, frais de déplacement, etc.) pour les candidats. Sur les dizaines de milliers de dossiers qui seront déposés, seuls, 5 500 (correspondant aux emplois à pourvoir) justifieront, en définitive, la production de toute cette paperasse qui s’avérerait coûteuse et inutile. Dans les pays développés, en particulier au Canada, la procédure de sélection dans la Fonction publique (aussi bien fédérale que provinciale) est plus allégée, ce qui n’enlève en rien à l’efficacité du processus : les candidats font acte de candidature en remplissant, en ligne, les formulaires prévus à cet effet. Ceux qui satisfont tous les critères sont convoqués à des tests écrits puis, en cas de réussite, sont invités à des entretiens oraux. Les candidats définitivement retenus verront leur nom inscrit sur des listes de réserve de candidatures dans lesquelles l’Administration puisera, sur une période allant d’un à deux ans, pour pourvoir les emplois vacants. C’est lors de ces dernières phases qu’on exigera des candidats retenus la fourniture des originaux de leurs diplômes, si nécessaire, sans préjudice au droit, pour l’Administration, de saisir directement les écoles ou universités ayant délivré ces parchemins en vue d’en attester la véracité. Grâce à ce système, seules, les personnes qui ont une grande chance de se faire recruter seront exposées à des dépenses onéreuses dans la constitution de leur dossier au complet. Ce souci de préserver le pouvoir d’achat des demandeurs d’emploi dans les pays développés devrait être une préoccupation plus prégnante dans nos pays en voie de développement, particulièrement au Sénégal où beaucoup de personnes rencontrent des difficultés pour constituer leur dossier. Elle pourrait se traduire par une simplification de la procédure de recrutement en allégeant le dossier de demande d’emploi tel qu’il est prescrit actuellement. En effet, quelle est la pertinence d’exiger d’un candidat la production d’un certificat de visite et de contre-visite médicales alors que ses chances de ne pas être convoqué à un entretien sont plus nombreuses que celles de sa réussite ? La réponse à cette question et, à bien d’autres, ouvrira, peut-être, de nouveaux chantiers visant à moderniser les procédures de recrutement dans la Fonction publique sénégalaise à l’ère de la numérique et de l’informatisation de masse.
Cheikh Faye
Montréal
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