Connais-tu la position du fœtus ? Non ?
C’est dans cette position, pieds et mains liés, que mon père m’a mis sous le chaud soleil, près du puits après m’avoir roué de coups et arrosé avec l’eau du canari
Qu’ai-je fait pour mériter une telle punition ? Mon papa en me frappant me donnait l’impression d’être une autre personne tellement il mettait de la violence dans ses coups.
Ce n’est peut être pas parce que mon ballon a renversé la marmite du voisin que papa est dans cet état là. Aussi loin que je puisse remonter dans mes souvenirs, c’est la seule « bêtise » que j’ai eu à faire dans la semaine ; Si c’est cela, à qui la faute ? Nous n’avons pas de terrain de jeux dans le village.
Au fait, j’allais l’oublier ; je suis le cadet d’une famille de douze enfants mais je vis seul avec mes parents. Les onze autres ? Mon père s’en est débarrassé en leur octroyant des séjours à durée illimitée chez mes oncles, mes tantes et chez de lointains parents.
Lui, le pater se lève tôt pour aller à son travail ; du reste ce qu’il dit être son travail. Son job est de se retrouver avec ses paires sous l’arbre à palabre du village jouant à la dame et discutant à longueur de journée. A midi, il revient à la maison prendre un repas pour la préparation duquel il n’a donné aucun sou. C’est maman qui se débrouille pour faire bouillir la marmite : vendeuse de cacahuètes, lavandière, pileuse de mil…Elle est femme « douze métiers », ma mère ; A qui la faute ?
Elle a été donnée à mon père à ses treize ans donc inutile de te dire qu’elle n’a jamais eu le temps de s’épanouir, de prendre soin d’elle ; Elle a vieilli avant ses vingt ans ; elle qui a passé la moitié de sa vie conjugale à faire des allez et retour entre la salle d’accouchement et la maison. En moyenne, une fois par an. A qui la faute ?
Les onze premières fois, mon père est revenu à la maison mécontent et se demandant comment il a pu faire pour épouser une femme incapable de lui donner un garçon. Il en pleurait même mais à qui la faute ?
Ouf ! disait ma mère à ma naissance « Ndaax yalla ma nopalu » !
Je suis le seul garçon dans ma famille.
J’en oublie même que je suis là ligoté sous un soleil de plomb attendant le retour de mon père. Ce dernier revient vers le crépuscule et lance à ma mère :
– Cette nuit, tu lui prépares sa valise. Je l’amène à Dakar chez un ami ainsi « Gnou nopalu ». Je suis fatigué de nourrir un enfant de dix ans qui ne me sert à rien.
Ma mère ne pipait mot. Ici dans notre village les femmes n’ont pas droit au chapitre ; elles n’osent même pas appeler leur mari par leur nom : c’est un sacrilège !
Le lendemain ,à l’aube, nous prenons lui et moi la direction de la capitale ; voyage mouvementé fait de péripéties dont je t’épargne les détails.
Nous arrivons dans une maison lugubre et dont le décor est pittoresque : de nombreux petits enfants dans la cour, des pots de tomates vides en quantité sur industrielle et des tablettes pour apprendre le coran.
Tout l’après midi mon papa et le maître des séants ont discuté sans faire attention à nous et la nuit ils se sont retirés en me laissant dormir avec les autres enfants ; je n’ai pas fermé l’œil de toute la nuit : je pensai à ma mère ! c’est durant cette nuit que je me suis rendu compte que je ne lui ai jamais dit combien je l’aime alors que mon cœur est rempli d’amour pour cette femme ; A qui la faute ?
A l’aube mon père est retourné au village sans me dire au revoir et c’est le maître des lieux qui vient me voir dans mon coin pour m’expliquer pourquoi je sui là et ce que je devais faire chaque jour. Ce que j’en retiens est que je dois lui donner un versement de cinq cents francs CFA par jour et que je dois arpenter les rues de Dakar pour les trouver ; Pour manger nous devons nous contenter des restes que l’on nous donne par ci et par là. A qui la faute ? Nos parents qui nous ont laissé ici ne font aucun geste pour nous nourrir.
Dans la rue, les personnes qui vous font l’aumône murmurent des litanies inaudibles et crachent plusieurs fois sur la piécette avant de vous la tendre : « AmYalla diox la » ! (Tiens, de la part de ton Seigneur).
Ah bon ! C’est de cette manière que le Seigneur donne ? Non !
Il m’est arrivé, plusieurs fois, d’avoir envie de dire à la personne qui tend la pièce de la garder car j’ai tellement peur que la maladie ou le mauvais sort qu’il essaie d’éloigner de lui se rapproche de moi qui accepte ce qu’il me tend. Mais je n’ai pas le choix car c’est cinq cent francs ou des coups de fouet.
C’est ainsi que je passe ma première année dans cette maison et on ne peut pas dire que j’en ai appris sur le coran : je suis à la cinquième sourate.
Et Dieu sait que j’en ai bavé dans cette maison, Serigne ne rate aucune occasion pour nous punir : vous frapper, vous brûler les genoux avec des tisons…Il sait tout faire.
Tu vas peut être me suggérer de fuguer et de retourner au village ?
Je l’ai fait à deux reprises et à chaque fois, c’est mon père qui me ramène après m’avoir fouetté. La dernière en date, il a menacé ma mère de la répudier si jamais je reviens chez lui.
Je reviens chez le marabout et endure ses mauvaises humeurs, stoïque.
N’en pouvant plus, je le quitte de nouveau pour aller trouver refuge chez les « Fakhmans » (fugueurs ou enfants de la rue) qui ont leur base sous le pont de la Patte d’Oie.
J’y ai tout appris : voler, fumer, inhaler du diluant ou de la colle forte, boire de l’alcool, forniquer…
Personne de ma famille ou de celle de mon marabout n’a cherché à me retrouver ; mon papa l’avait dit : je ne sers à rien !
A coté de la route où l’on avait élu domicile, je pouvais voir tous les matins les enfants qui allaient à l’école accompagnés ou non d’un membre de leur famille. C’était les moments les plus difficiles de mon existence : Ces enfants méritent-ils d’aller à l’école plus que moi ?
N’ont –ils pas dit que l’école est obligatoire et gratuite ? Pourquoi ne font ils rien pour me tirer de là ?
Le « Fakh land » commençait à devenir l’enfer pour moi : des garçons plus forts que moi me violent chaque nuit, me battent, me font voler…
J’ai vécu, ainsi, dans la peur, l’ignorance totale des valeurs cardinales qui sous-tendent une société de gens de bien ; jusqu’au jour où ce qui devait arriver arriva : j’ai été épinglé pour vol en réunion avec usage d’arme blanche.
Et depuis, je moisis ici dans la prison qui n’est rien d’autre qu’une réplique de la vie dans la rue. A qui la faute ?
Tu diras à ma mère que je l’aime et que je pense à elle.
PS : Si tu croises mon papa, respectes le et dis lui que je l’adore : c’est mon père !
A qui la faute ?
Souleymane Amadou LY
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