On en parle beaucoup, très souvent, depuis longtemps, sans lui donner un contenu précis permettant de la prendre du bon coté pour lui apporter la bonne solution.
Il s’agit de la réforme foncière.
En 1996, un Plan d’action foncier a été émis à la demande du Ministère de l’Agriculture et soumis, en 1999, pour avis, au secteur privé, aux élus locaux et aux producteurs ruraux.
En 2004, la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale revient à la charge en déclarant dans son article 23 qu’ « une nouvelle politique foncière sera définie et une loi de réforme foncière sera soumise à l’Assemblée nationale dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi. » Ce qui entraina la mise en place, en 2004, par le Ministère de l’agriculture, d’un groupe de travail sur la thématique foncière.
Une Commission chargée de la Réforme du Droit de la Terre fut constituée sous la présidence du Professeur Serigne DIOP médiateur de la République. Le Document n°03- une partie de la synthèse de ses travaux – est intitulé « quelques propositions de Réforme sur la Gestion foncière en milieu rural. »
Tout récemment, en 2013, une Commission nationale chargée de la réforme foncière a été créée par la président Macky SALL et placée sous la présidence de Me Doudou NDOYE
A la lecture des différents documents produits sur la question de la réforme foncière, l’impression qui s’en dégage est celle de savoir si les autorités qui en ont la charge cernent bien ses contours. C’est une confusion totale qui se dégage de leur approche et qui laisse penser qu’elles tournent en rond, d’année en année, de structure en structure.
Les objectifs de la réforme sont plus développés que la réforme elle-même.
Le Plan d’action foncier a mis en avant la facilité d’accès au crédit, la sécurisation des investissements et la participation des populations à la gestion foncière.
La loi d’orientation agro-sylvo-pastorale a mis l’accent sur la sécurité foncière des exploitations agricoles, l’incitation à l’investissement dans l’agriculture et la dotation à l’Etat et aux collectivités locales de ressources financières suffisantes.
La Commission nationale de la Réforme du Droit de la Terre a conclu à la protection des droits d’exploitation des acteurs ruraux et des droits fonciers des communautés rurales, à la cessibilité encadrée de la terre pour permettre une mobilité foncière, à la transmissibilité successorale des terres et à l’utilisation de la terre comme garantie pour l’obtention du crédit.
Dans d’autres études, ces thèmes sont repris et présentés sous d’autres formes avec des développements portant sur la création de vastes zones d’investissements intensifs et la promotion du plan d’occupation et d’affectation des sols (POAS) présenté comme outil pertinent de gestion foncière pouvant contribuer à la pacification de la cohabitation agriculteurs/éleveurs.
Mais tout cela a un préalable qui est la réforme foncière proprement dite. Ces objectifs largement mis en avant par les différents intervenants ne pourront être atteints qu’à la suite de la réalisation de la réforme foncière.
A l’étape historique que traverse notre société cette réforme foncière ne peut avoir un autre but que de d’apporter une solution réelle au problème de fond qui caractérise la gestion des terres sous la forme d’une cohabitation de deux régimes fonciers distincts, à savoir, le régime de l’immatriculation et celui relatif au domaine national. La clé de la réforme foncière recherchée, celle qui résoudra nos « maux » fonciers – réside dans la solution de cette cohabitation structurellement installée depuis 1964 par la loi 64-46 du 17 Juin 1964 relative au domaine national.
Cette cohabitation est le résultat de la rencontre entre le régime foncier dit coutumier qui était en vigueur avant la colonisation et celui introduit et développé par le système colonial après son installation.
Le régime coutumier comprenait fondamentalement les différents droits qu’étaient : le droit de feu, le droit de hache, le droit de culture et le droit de redevance avec un régime de propriété familiale, tribale ou communautaire excluant toute forme de transaction et d’aliénation.
Avec la colonisation, la puissance colonisatrice en installant son pouvoir, a introduit son droit de propriété privée et, en l’appliquant dans la mobilisation et la gestion des terres, a mis en place un nouveau régime dit d’immatriculation qui repose sur la délimitation, le lotissement, la constatation de son droit de propriété au livre foncier et l’affectation aux particuliers.
A titre d’illustration on peut rappeler :
– L’Arrêté du 11 Août 1933 relatif aux lotissements spéciaux des villes qui prévoyait en faveur des indigènes la délivrance de permis d’habitation gratuit ; conférant le droit d’installation et d’habitation, à l’exclusion de tout droit de propriété ;
– La Convention du 25 Juin 1925 aux termes de laquelle les Chefs de la Collectivité léboue, agissant au nom de cette collectivité et comme portant fort, ont remis à l’Etat des terrains situés à Dakar, au lieu dit « Tound », sous la stipulation qu’il sera procédé sur ces terrains un lotissement à usage de village spécialement alloti pour les besoins de la population indigène, ces terrains ont été immatriculés au nom de l’Etat français ;
– L’Arrêté 1487 bis du 24 Novembre 1934, concernant l’affectation et les conditions d’occupation des terrains du village indigène de Médina à Dakar ; terrains représentés par le titre foncier n°3016/DG
– L’Arrêté n° 4701/SDE du 29 septembre 1949 concernant l’affectation et l’occupation d’un village de paillottes dénommé « lotissement de la zone A1 »
– L’Arrêté ministériel 7304 MFAE/DID en date du 10 Juillet 1972 fixant les conditions d’attribution des parcelles du lotissement de Dagoudane-Pikine (Titre foncier 3682/DG)
– Le Décret 89-1221 du 16 octobre 1989 portant approbation et rendant exécutoire le plan d’aménagement des zones de grand Yoff et Patte d’oie.
Délimiter, lotir, immatriculer au nom de l’Etat et attribuer individuellement les parcelles issues des lotissements, telle fut la démarche introduite par le pouvoir colonial dans la mise en œuvre de la gestion des terres ; démarche appliquée essentiellement dans les zones urbaines pour répondre à l’installation et à l’extension des villes qui accompagnaient la conquête et l’occupation du pays par le colonisateur.
L’Etat dans lequel se trouvent aujourd’hui les espaces cités ci-dessus – village indigène ou village de paillotes (le vocabulaire colonial fait sourire) – est assez édifiant pour le chemin à emprunter pour la réalisation de la réforme foncière tant attendue. Tous les objectifs agités par ceux qui s’y penchent s’y trouvent réunis : sécurité, transparence, tranquillité, mobilité, cessibilité, transmissibilité successorale et accessibilité au crédit.
Le régime de l’immatriculation a ainsi démontré sa supériorité qualitative sur le régime du domaine national. C’est cette constatation irréfutable qui fonde notre conviction que la reforme foncière que réclame notre pays ne peut être que l’unification de ces deux régimes en présence, au profit du régime de l’immatriculation. Le paradoxe d’ailleurs est que nous vivons une réforme foncière permanente par le fait que tous ceux qui commencent par se faire affecter des terres du domaine national se dépêchent de s’en sortir par la voie de l’immatriculation au nom de l’Etat et l’obtention d’un bail qui peut aller jusqu’au titre foncier individuel.
Tout bail accordé par l’Etat sur un terrain du domaine national à la suite de son immatriculation à son profit est une reforme foncière partielle en faveur de l’immatriculation.
Chaque avis favorable émis sur une demande de régularisation foncière par la Commission de Contrôle des Opérations Domaniales est une manifestation de cette reforme partielle.
Chaque avis d’enquête de commodo – incommodo publié par un Receveur des domaines est un jalon allant dans ce sens.
Chaque décret, pris, prescrivant l’immatriculation d’un terrain du domaine national en vue de son attribution par voie de bail correspond concrètement à un jalon dans la voie d’une réforme foncière concrète.
C’est la contradiction qu’on peut relever dans les propos de Monsieur Amadou Moustapha LO publiés dans le journal le Quotidien du Jeudi 14 Mars 2013. Après avoir fait l’éloge de la loi relative au domaine national et plaidé chaleureusement pour son maintien, il nous apprend qu’il bénéficie d’un bail emphytéotique de 99 ans sans dire sur quelle superficie. Le bail emphytéotique ne peut porter que sur un terrain immatriculé. En conséquence, Monsieur LO est bien sorti des terrains dépendant du domaine national par la voie d’une réforme foncière concrète.
Ainsi ce qui se passe sur le terrain concret, la masse des réformes foncières partielles intervenues depuis 1964 indique bien la voie à suivre pour réaliser enfin la grande réforme foncière qui demeure la préoccupation centrale des pouvoirs publics.
Notre réponse à ceux qui brandissent l’épouvantail de la privatisation massive des terres est l’immatriculation de toutes les terres du domaine national non au nom des particuliers – groupes ou familles – mais à celui des collectivités locales. Les terres des zones des terroirs au nom des communautés rurales et celles des zones urbaines au nom des communes qui vont les gérer et les administrer au nom des populations. Les terres des zones pionnières seront immatriculées au nom de l’Etat. Ce qui constituera enfin une réconciliation du coutumier et du moderne, créant ainsi les conditions favorables à une bonne insertion du Sénégal dans la mondialisation.
Les collectivités locales seront les lamanes d’aujourd’hui qui seront seulement gérantes et non propriétaires comme le furent les lamanes d’hier.
Un lamanat moderne pour un Sénégal dans la voie de l’émergence.