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L’agrobusiness, Une Orientation épineuse

L’agrobusiness, Une Orientation épineuse

La montée de l’insécurité alimentaire dans le monde témoigne de l’intérêt particulier accordé, de plus en plus, à l’agriculture et l’alimentation dans les politiques internationales de développement.

Cette insécurité alimentaire combinée au défi d’améliorer les revenus des producteurs ruraux, surtout dans les pays d’Afrique au Sud du Sahara, amènent les Etats à repenser les stratégies de développement agricole et à tenter de nouvelles options.C’est dans cette optique que le gouvernement du Sénégal a annoncé récemment son option pour l’agrobusiness. Ce choix interpelle les théoriciens du développement qui doivent y réfléchir et donner leurs avis. C’est tout le sens de cette contribution sur la façon d’aborder l’agrobusiness.

Est-il un moyen de relever le défi de la sécurité alimentaire ? A-t-on suffisamment pensé aux effets et impacts sur la gestion du foncier notamment par rapport aux espaces agricoles et pastoraux ? Les emplois qu’il est susceptible de créer sont-ils à la hauteur de l’accaparement des terres qu’il engendre ? Les petits producteurs ruraux qui constituent l’écrasante majorité des acteurs du secteur en seront-ils bénéficiaires ? Autant d’interrogations qui interpellent nos décideurs qui s’orientent vers cette option.

1. L’agrobusiness suppose une agriculture, une industrie et un marché interconnectés et coordonnés.

La situation agricole et industrielle du pays est devenue des plus alarmantes. Notre agriculture en souffrance qui ne nourrit pas son homme. L’industrie est quasi-inexistante du fait d’un environnement de libre marché qui ne protège pas nos entreprises de transformation mais plutôt ouvre la voie à l’importation de produits finis. La plupart des entreprises pourvoyeuses d’emplois à partir de produits agricoles locaux ferment ou sont en décadence.

Tout cela dénote d’un manque d’articulation entre les secteurs de l’agriculture, de l’industrie et du marché. C’est dire donc qu’aujourd’hui, les relations entre ces trois volets en jeu, méritent d’être élucidées pour promouvoir une politique de développement agroindustriel durable reposant soit-elle sur l’agrobusiness.

Les actions des régimes précédents dans ces trois secteurs, ont souffert d’une pratique de séparation des pôles et d’un manque de coordination.

C’est donc sous l’angle d’une vision intégrée de cette triptyque que le Sénégal doit s’engager et non pas sur une approche sectaire ou sectorielle des questions industrielles et agricoles.

Les pays qui semblent avoir connu des cas d’expériences réussies (success stories) en agrobusiness en Afrique, ont intégré l’idée d’une synergie indispensable de ces pôles. Le Sénégal ne semble pas à l’état actuel rouler vers cette option. Ne parlons même pas de l’industrie mais, les secteurs du primaire (agriculture et élevage entre autres) souffrent d’un manque de synergie dans leurs actions. L’idée d’un grand ministère du développement rural répondant à un souci d’intégration de ces différents secteurs, une des orientations du programme des services agricoles et organisations de producteurs du gouvernement financé par la banque mondiale, semble être mise aux tiroirs.

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2. Promouvoir des investissements maitrisés et profitables aux producteurs

La plateforme de Yonou yokouté met pourtant bien en évidence l’importance de l’option de l’agrobusiness. Mais dès qu’il s’agit de passer à l’action, les politiques peinent sérieusement à concorder l’action à la parole. Il urge donc de repréciser cette option dans les politiques publiques et de fournir un argumentaire plus convaincant aux acteurs. Les producteurs ruraux doivent être rassurés que les investissements à réaliser leur seront profitables et qu’ils seront pleinement accompagnés dans la mise en oeuvre de ce nouveau processus.

La promotion de l’agrobusiness suppose des investissements préalables et des changements sociaux.. L’Etat doit se donner les garanties que les investissements qui se font s’adaptent aux contextes locaux. Pour ce faire, il doit tenir compte des potentialités des zones et veiller a ce que les investissements profitent aux vrais producteurs ruraux. C’est le gage d’une poursuite et d’une pérennisation des acquis même si les investisseurs se retirent. Qui plus est, cela répond à un souci de transparence et de justice sociale dont se réclame le nouveau régime. Certains des producteurs nationaux ont les moyens de pouvoir être performants en agrobusiness, pourvu que l’environnement financier qui pourrait faciliter leur accès aux facteurs de production soit amélioré à travers des initiatives de promotion de véritable banque de développement, les « agri-Bank » et de protection sociale des agriculteurs.

L’incitation indispensable du privé national à investir dans les pôles de son choix et l’assouplissement des règles d’engagement des investisseurs privés qui sont aujourd’hui les seuls à même de lever des fonds conséquents sur les marchés de capitaux est une piste à explorer.

3. Améliorer l’environnement institutionnel

En prenant l’option de l’agrobusiness, l’Etat se veut compétitif. L’Etat compétitif est celui là qui facilite le climat des affaires dans une logique hautement patriotique. Aujourd’hui, il est temps de mettre fin à l’ère des prébendes et des dessous de table, et de s’orienter vers une nouvelle ère de ce qu’Aristote appelle la politique rendue noble. Il exhortait les politiques à servir l’intérêt général et à avoir comme objectif de trouver des solutions aux besoins de la cité. Puisque la transparence fait partie des principes de gouvernance du nouveau régime, celui-ci doit clarifier sa nouvelle vision de l’agrobusiness et surtout rassurer les petits producteurs que cette nouvelle orientation n’est pas pour les contourner encore moins pour ignorer leurs petites exploitations. Mieux, elle se fera avec et pour eux tout en restant ouverte aux apports externes possibles car les enjeux de sécurité et d’autosuffisance alimentaire sont énormes.

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4. Lever les craintes des producteurs ruraux

Ne pouvant pas affirmer l’opposition des petits producteurs à l’agrobusiness dans sa théorie, je reste persuadé que la pratique actuelle de nos gouvernants avec les investisseurs ne milite pas en faveur de la justice et de l’équilibre social. Les octrois de terres sans concertation préalable laissent de mauvais augures à l’agrobusiness qui se décrète. Les producteurs expriment beaucoup de crainte à ce niveau et l’Etat doit réagir avec détermination et fermeté pour que l’agrobusiness se fasse avec les producteurs ruraux en leur facilitant l’accès aux facteurs de production et non plus comme cela semble prendre la tournure, un accaparement des terres par une élite d’entrepreneurs agroindustriels. Les collectivités locales en charge des délibérations de terres sont également interpelées et doivent faire preuve de respect pour leurs populations locales et veiller à l’intérêt de leur communauté locale dans l’octroi des terres.

5. Encourager les responsables paysans à plus d’engagement dans les services d’appui à la production

Oui nous pouvons être les vrais promoteurs de cette agrobusiness, dirons certains producteurs, mais à eux aussi de travailler à renforcer leur légitimité pour qu’on leur accorde de la confiance. Leur environnement se caractérise par une pluralité de plateformes qui ne parlent pas le même le langage, des leaders inamovibles et parfois déconnectés de leur base, une absence de démocratie dans le fonctionnement de leurs instances. Aujourd’hui les leaders paysans assument beaucoup plus leur fonction politique de représentation que celle d’appui à la production de leurs organisations de base et des petits producteurs ruraux. Cet équilibre entre les deux fonctions est à renforcer pour qu’ils puissent jouer pleinement leur rôle d’interface vis-à-vis de l’Etat et des autres acteurs et influer sur les orientations en matière de politique agricole. Une concertation interne au sein du mouvement associatif est nécessaire pour sa restructuration en vue d’un meilleur positionnement sur les questions agricoles au sens large.

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Le nouveau régime doit faire preuve d’une réelle volonté politique pour soutenir cette restructuration voire réorganisation du mouvement associatif et reprendre la concertation avec lui. C’est inacceptable que pour des raisons d’attrait uniquement des investisseurs étrangers que nos gouvernants se laissent à leur merci pour qu’ils nous dictent leurs priorités. Certes l’investissement étranger peut être profitable mais suppose que le gouvernement exige que sa contribution à la résolution du gap de l’autosuffisance alimentaire et à l’amélioration durable des revenus des paysans soit avérée.

6. Enfin, bâtir une vraie politique agricole

Pour un pays comme le Sénégal dont l’agriculture est à plus de 90% constitué de petites exploitations familiales, l’option exclusive de l’’agrobusiness est à la fois risquée et hasardeuse. L’agrobusiness et le soutien à l’agriculture familiale ne s’excluent. L’expérience du Brésil qui a su allier les deux, à travers la création de deux ministères, l’un est orienté vers l’agrobusiness, l’autre appelée ministère du développement rural destiné à accompagner et soutenir durablement les exploitations familiales rurales doit faire école chez nous. Il semble indispensable de retourner aux fondamentaux qui consistent à bâtir une vraie politique agricole fondée sur la concertation de tous les acteurs (Etat, collectivités locales, secteur privé et producteurs ruraux…) y compris ceux de l’industrie, maillons d’une même chaine que l’agriculture. Tous ces secteurs sont interconnectés qui doivent être analysés de façon holistique et intégrale. La concertation est inéluctable et exige un vrai débat qui se fait dans le respect mutuel des acteurs concernés et une prise en compte des avis des uns et des autres. La réalisation du développement n’est pas une course contre la montre ou un cours de rattrapage, mais un processus qui se construit avec et pour les acteurs qui le vivent et auxquels il est destiné.

Bâtir une vraie politique agricole avec une vision concertée, claire et largement partagée et non une juxtaposition de programmes et de projet sans lien commun doit être le défi, si notre pays veut faire de l’agriculture, le moteur du développement.

 

Babacar THIAW

Sociologue – consultant

Léona Nord Bambey

thiawbabacar2000@yahoo.fr

Tel. 77 652 07 64

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