Les sénégalais, avec le changement de régime intervenu le 25 mars 2012, avaient un grand espoir que les pratiques anti-démocratiques, les violations flagrantes des droits humains et les manipulations politiciennes resteraient un vieux souvenir. Mais que déception et amertume. La préfecture de Dakar vient de commettre une énième forfaiture en sabotant la participation de la coalition nationale lors du 1er mai 2013. Un énième coup est porté aux libertés publiques dans notre pays sans qu’on s’en émeuve.
Il est important, pour une bonne compréhension du régime de protection des libertés publiques dans notre pays, d’évoquer ici le cadre juridique qui régit les manifestations publiques. Il convient de souligner d’abord que la Constitution sénégalaise en son article 10, permet à tout citoyen de manifester pacifiquement : « Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique, pourvu que l’exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l’honneur et à la considération d’autrui, ni à l’ordre public ».
La marche pacifique est donc une liberté publique qui est garantie par la constitution. Une liberté publique est un droit dont le caractère fondamental est renforcé par son insertion dans un texte fondamental (la Constitution). Dés lors, elle ne doit pas être violée et une restriction ne peut y être apportée que pour protéger l’ordre public.
Ensuite, il faut comprendre en ce qui concerne la protection des libertés publiques qu’il existe trois régimes de protection : un régime répressif, un régime préventif et un régime de la déclaration préalable.
Dans le régime répressif c’est la loi qui énumère les actes à respecter et fixe la sanction en cas de violation.
Dans le régime préventif les libertés publiques ne peuvent être exercées qu’avec l’autorisation préalable de l’Administration ;
Dans le régime de la déclaration préalable il est fait obligation aux personnes désirant exercer certaines activités (exemple une marche pacifique) d’informer au préalable la puissance publique (l’Etat) grâce à une déclaration précisant l’objet et les modalités de l’activité envisagée.
Ce régime de la déclaration préalable est celui adopté par notre pays. Donc, tout sénégalais qui désire organiser une manifestation publique n’a pas besoin d’avoir une autorisation pour le faire : la constitution lui a déjà accordé cette autorisation. En revanche, la loi dicte d’en informer préalablement l’autorité publique (le Préfet de la circonscription d’où doit se tenir la manifestation) afin que celle-ci puisse notamment prendre les mesures de sécurité qui s’imposent. Il va donc de soi que pour marcher pacifiquement, organiser un sit-in ou une toute autre manifestation publique, on ne doit pas demander une autorisation au Préfet, on doit juste l’en informer. Il faut rappeler que le dépôt de la déclaration de marche doit se faire 72 heures (3 jours) avant le jour de la marche.
Le troisième élément, c’est que l’autorité publique peut prendre un arrêté d’interdiction de la manifestation dans les situations suivantes :
- En cas d’état d’urgence ou d’état de siège (cf. art. 69 de la constitution et loi 69-29 du 29 juillet 1969, (à noter notre pays n’a presque pas connu ces situations) ;
- Lorsqu’il y a un évènement motivant un déploiement exceptionnel des forces de sécurité et de défense en tel enseigne qu’il est impossible de sécuriser la manifestation programmé, (nous verrons que toutes les marches pacifiques interdites ou sabotées par la Préfecture de Dakar n’ont pas été organisées durant une telle période) ;
- Enfin, lorsqu’il y a menace sérieuse de trouble à l’ordre public. Ce risque doit être avéré et ne doit pas être une simple supposition, (cf.art. 52, 77 et 69 de la constitution).
Dans ces trois situations, l’autorité peut légalement porter atteinte aux droits fondamentaux de l’homme (par exemple interdire une manifestation publique) mais cette interdiction doit être motivée et être notifiée aux intéressés. Autrement dit, le Préfet qui interdit une marche, un sit-in ou autre doit dire pourquoi il l’interdit et il doit aviser obligatoirement les organisateurs.
Seulement, depuis un certain temps, le Préfet de Dakar viole de manière flagrante ces dispositions. Elle manœuvre bassement pour interdire, sans raison valable, des manifestations pacifiques sabordant ainsi l’état de droit.
La méthode machiavélique utilisée consiste, quelque soit la date de dépôt de la déclaration de marche, d’attendre la veille de la marche pour imposer une enquête de police qui devait être faite dans les heures suivant le dépôt. Ces manœuvres politiciennes du Préfet de Dakar deviennent monnaie courante. On se rappelle des marches pacifiques du M23 les 05 et 15 février 2012 (interdiction avec des altercations avec la police) ; de la marche du Regroupement des diplômés sans-emplois RDSES du 18 février 2013 (interdit le jour même de la marche sans notification) ; de la marche du PDS du 23 avril 2013 (avec restriction sur l’itinéraire), du défilé de la Coalition Nationale pour l’Emploi du 1er mai 2013 (réduction du trajet, changement d’itinéraire, sans notification) et tant d’autres.
S’il est vrai, selon l’article 9 de la constitution que « Toute atteinte aux libertés et toute entrave volontaire à l’exercice d’une liberté sont punies par la loi », le Préfet de Dakar doit être sanctionné. Il fait ce que bon lui semble, en violant la loi à tout bout de champ, en piétinant l’état de droit. Ce qui engendre souvent des malentendus entre les citoyens et la police. Il est tant que la Préfecture arrête ces enfantillages.
Le Président de la République est directement interpellé. Il a promis la rupture au peuple sénégalais, il ne doit donc en aucun cas admettre que les droits des citoyens sénégalais soient violés par un petit Préfet impunément.
Les organisations de défense des droits de l’homme et la Société Civile sont également interpellées.
Les citoyens sénégalais eux-mêmes ne doivent plus accepter ces atteintes à leurs libertés fondamentales.
La constitution est et doit rester au dessus des volontés polico-politiciennes et de la gestion des carrières personnelles.
Babacar Ndour
Doctorant en droit privé/ Coordonnateur RDSES
Membre de la Coalition Nationale pour l’Emploi