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La Vulnérabilité Culturelle Des Musulmans Sénégalais !

Le Sénégal, l’un des pays les plus stables sur le plan politique, est entrain d’être gagné, à juste titre, par l’inquiétude du fait de la crise qui sévit au Mali. Ses autorités paniquent et ses sages hésitent à prendre une position claire et nette. Son Président, qui est en même temps celui de l’Organisation de la Conférence Islamique(OCI), indexe et vilipende l’Islam « exogène » qu’il qualifie de salafiste en l’opposant à celui des confréries du Sénégal. Et ses analystes s’évertuent à démonter les thèses et prétextes des groupes dits islamistes en rébellion au Mali, pour renier à leur action tout fondement religieux valable.

Dès lors, l’intervention de la France, qui a retrouvé sa mission civilisatrice, protectrice des faibles et des droits humains, peut être saluée sans beaucoup de gêne. Toutes choses qui font douter de la réalité de nos états et de la consistance de nos nations. Pire, la crise malienne a mis à nu le niveau de désarmement de nos peuples et leur vulnérabilité, surtout culturelle. Là, au-delà des interventions militaires et des attitudes vindicatives, il importe d’approfondir la réflexion afin de cerner les contours de cette fragilité et de mieux connaître ses fondements.

A) La manipulation des concepts islamiques

Il est vrai que les mots ont des sens qui se captent selon les intérêts des uns et des autres. Le lexique islamique n’échappe pas à la règle. Que leurs sources soient d’essence coranique ou de tradition prophétique, les constituants de ce lexique ont toujours fait l’objet de débat. La terminologie des musulmans se tournent souvent dans tous les sens selon les conjonctures et les conjectures. C’est d’ailleurs pour contenir les tensions, qui naîtraient des différences d’acception, que les jurisconsultes ont décrété que « La divergence des oulémas est une miséricorde ! ». Mais, la mondialisation-domination des puissances économiques et militaires lamine les compréhensions et tend à uniformiser les lectures. Seuls les sens que ces puissances donnent aux mots comptent. Ainsi, elles ont imposé au monde de l’information et de la communication l’assimilation des termes Jihaad; Islamisme, Salafisme aux mots fanatisme, extrémisme et terrorisme. Et, comble de malheur, elles sont suivies dans cette œuvre par nos politistes-orientalistes qui opposent comme elles, forces islamistes et forces démocratiques ou confondent états laïc et celui sans religion, salafisme et wahabisme.

Il va sans dire que ces amalgames heurtent les musulmans qui vivent avec ces termes. Ils les utilisent dans leur incantation quotidienne, les entendent dans leur séminaire et les rencontrent dans leurs lectures. Quand l’élite officielle connote péjorativement cette terminologie elle ne fait que creuser l’écart qui le sépare des guides dépositaires de la confiance religieuse du peuple. En effet, Il y a de ces concepts qui sonnent fort dans l’entendement des sénégalais. Jihaad est ce vocable moteur que les universitaires de Pire Saniokhor, sous la direction de Thierno Souleymane Baal ont utilisé pour libérer le Fuuta de la domination des maures, de la tyrannie des dirigeants sans foi. Ils ont exploité ce terme pour fonder cet état islamique qui a fait face à l’esclavage sans faire tomber des mausolées ou couper des bras. Plus tard, d’autres sages sont partis des foyers de savoir, érigés partout dans cet état, pour continuer, chacun à sa façon, la mission de ces universitaires. Cheikou Oumar El Foutiyyou TALL, Maba Diakhou BA, Cheikh Ahmadou Bamba MBACKE, El Hadj Malick SY, etc. Cela dit, peut-on exclure de l’islamisme ou du salafisme ces fondateurs de la nation sénégalaise ?

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Qu’on ne nous abuse pas ! A notre connaissance, ce qui se passe pas au Mali est condamné par tous ceux qui sont épris de valeurs islamiques. Il serait regrettable que nos dirigeants et penseurs rajoutent à la confusion et à la désunion des musulmans en investissent les mêmes termes que ceux qui veulent profiter de la situation malienne pour régler d’autres comptes.

B) La connexion avec le monde arabe

Le 23 juin 2011 fait partie des dates marquantes du Sénégal, un jour de démocratie directe. Les sénégalais ont assumé sans intermédiaire leur responsabilité et ont refusé de faire confiance aux députés qu’ils ont élu pour les représenter. Mais, il n’était pas facile d’isoler cet événement de ce qui se passait dans le monde arabe (Le printemps arabe). La marche organisée par Sidy Lamine NIASSE auparavant et ses velléités de rebaptiser la place de l’indépendance pour lui donner le non de Tahrir, le mouvement Y’en a marre, et la volonté d’aller déloger le Président de la République au Palais que certains affichaient, rappellent à bien des égards ce qui s’était passé en Tunisie et Egypte. Autrement dit, il y a une réelle connexion entre le Sénégal et le monde arabe. Nos concitoyens suivent et accordent une attention particulière à ce qui se passe dans le moyen et proche orient. Cette connexion, pourrait expliquer la bonne réception du discours dit islamiste notée pendant la dernière campagne électorale et la « percée » des candidats qui le portent.

Sur le plan géostratégique, il faut savoir que le Sénégal est considéré par certains idéologues du proche orient, comme l’un des plus importants pays qui constituent la ceinture de sécurité du monde arabo-musulman. Pour eux, tout anti-islamisme (Le laïcisme est pris pour preuve !) semé dans ce pays poussera et portera ses fruits dans le monde musulman. A l’inverse, le Sénégal devrait être investi pour servir comme vitrine de l’Islam pur en Afrique noir. C’est pourquoi ils l’intègrent dans leur champ d’investigation politico-scientifique et suivent de près ses mutations sociétales. Ce qui voudrait dire que le Sénégal est dans le domaine des intérêts du monde arabe, et de plus en plus dans sa zone d’influence économique. De ce fait, il y a lieu de s’interroger sur l’attitude à avoir et la stratégie à développer par les dirigeants du pays.

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Dans cette situation, il est évident que le legs stratégique de l’Occident ne suffira pas. Il devrait être maintenant bien admis que les expériences socio-politiques qui ont conduit au développement économique de cette partie du monde et qui y ont établi des libertés fondamentales sont aux antipodes des nôtres. Par conséquent, nos réalités sont à approcher de manières différentes. Mais, il faut noter que depuis l’indépendance, les dirigeants des pays qui ont subi une double influence culturelle ne font que de l’équilibrisme. Au lieu de faire face à la réalité, ils passent leur temps à la contempler. Jusqu’ici, l’équation à résoudre reste comment sortir le Sénégal de l‘œil du cyclone oriento-occidental ? Quel serait le meilleur ancrage pour ce pays très affecté par deux fortes civilisations ? Il est vrai que le colonisateur occidental a tenté de s’imposer mais son œuvre n’a pu être achevée. La substitution du système éducatif et la mise en place d’un arsenal législatif n’ont pas permis la constitution d’un système social accepté. La société est loin d’être laïcisée et son corps d’élite est partagé et tiraillé dans tous les sens.

C) Le quiproquo inter-élites

Depuis l’indépendance, il n’a pas manqué à nos dirigeants des projets sociodémographiques ainsi que des politiques familiales. Ils ont tout le temps tenté de réaliser ces projets et de mettre en œuvre ces politiques. A cette fin, ils bénéficient de l’appui et du soutien financier sans faille des ONG et autres lobbies. Ils ont mis ainsi la laïcité comme socle de la norme fondamentale du Sénégal en bannissant dans son préambule toutes référence aux textes des religions révélées comme garde-fous protégeant la conscience religieuse des sénégalais. Ils ont votés des lois pour interdire la mendicité, le mariage précoce, l’excision et instauré la parité. Ils ont élaboré pour la société un code de famille, préconisé le planning familial, la limitation des naissances et validé la prostitution. Seulement, sur chacune de ces questions, les recteurs des universités publiques islamiques ouvertes, attendent qu’ils finissent d’argumenter pour déconstruire toute leur thèse. Ce, en utilisant une terminologie moins exogène et en se référant aux sources islamiques.

Ces contradictions publiques sur des questions majeures entre les dirigeants politiques et des leaders d’opinion très respectés ne peuvent que perdre le citoyen sénégalais et le fragiliser. Les effets, de ce quiproquo inter-élites sont incommensurables.

D) Gouvernance et compétence socio-religieuse

Les ratés qui caractérisent les différentes sorties de nos dirigeants politiques à chaque fois qu’ils interviennent dans le champ religieux, poussent à s’interroger sur leur compétence socioreligieuse. On dirait que la culture religieuse, surtout musulmane, constitue jusqu’ici une faiblesse notoire des plus hautes autorités du Sénégal. Elles ont du mal à construire dans ce domaine un discours pertinent et percutent sans vexer les croyants. Les différents ministres de l’intérieurs, chargés des cultes, quand ils ne sont pas la risée des fidèles, perdent souvent leur aisance et dignité républicaines face à leurs hôtes marabouts non europhones ( comme dirait Pr Ousmane Kane). D’où le hiatus (euphémisme!) qu’on constate entre les élites politique et socio-religieuse. Il est évident que ce décalage est né de la tentative de substituer un système éducatif par un autre. Ce qui a conduit à la segmentation de l’élite sénégalaise et à l’éclatement de l’allégeance citoyenne en plusieurs morceaux. Chacune des élites a sa légitimité et ses domaines de compétences. Mais leurs lieux d’intervention et d’opération ne sont pas toujours disjoints. Il arrive même qu’elles prônent des valeurs antinomiques. De la naissance de l’individu à sa mort en passant par son mariage, ses baptêmes et autres célébrations sociales, le connaisseur de la religion est incontournable. Seulement, cet officier de l’État civil ne bénéficie d’aucune légitimité étatique et ceux qui en jouissent sont incompétents dans le domaine religieux. Dans ces conditions, pour préserver sa légitimité, l’élite officielle devra toujours faire preuve de son utilité politico-économique. A défaut, des forces pourraient s’engouffrer dans la brèche et créer des troubles difficiles à gérer. Autrement dit, l’incompétence socioreligieuse peut conduire à tous les dangers. Non seulement elle affaiblit l’autorité étatique, limite sa capacité de mobilisation, mais l’éloigne aussi de la société.

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Tout cela est dû au fait que le Sénégal n’a pas encore construit son École. Quand un système éducatif n’est pas porteurs de valeurs partagées dans les familles, il ne donne pas aux éléments de la société ni des ressources pour agir efficacement, ni des moyens de se protéger contre les agressions étrangères. Ce système est à l’origine du désarmement culturel du peuple sénégalais face aux périls qui le guette. Autrement dit, au lieu de bâillonner les prêcheurs ou promoteur de l’Islam « exogène » et instituer le soupçon entre les musulmans, il vaut mieux préparer les sénégalais à faire face. Pour cela, seule l’éducation, au vrai sens du terme, vaille. Un système éducatif est par excellence le lieu de sublimation des valeurs endogènes et d’exaltation du patrimoine matériel et immatériel de la société. Sans la barricade éducationnelle toutes les faiblesses apparaissent et tous les discours passent. Bien érigée, elle pourrait permettre de lutter contre la sexualité précoce, l’excision. Bien érigée, la barricade éducationnelle aiderait à mieux comprendre le planning familiale et la parité, sans donner l’impression d’être sous la commande de forces étrangères tapies dans l’ombre, veillant à gérer des intérêts nos avoués.

 

Mamadou Youry SALL

Enseignant/Chercheur à l’UGB

Le 27 janvier 2013

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