Depuis le début des années 80, le Sénégal cherche à améliorer son système éducatif à travers l’accès, la qualité, et la gestion. Elle l’a essayé à travers le Projet Education IV, le PDRH II et le PDEF. Des améliorations notables sont enregistrées dans le domaine de l’accès. La gestion connait des débuts de progrès mais, elle ne connaît pas encore la transparence qui devait la caractériser. La gestion financière qui devait revenir aux IDEN, dans la troisième phase du PDEF, n’a jamais connu un début de réalisation. Dans le même temps, s’agissant de la qualité, malgré le volume des ressources investies, tous les acteurs sont unanimes à reconnaître que les efforts tardent à produire les effets attendus. Ces derniers temps, le discours des autorités de l’école met l’accent sur leur volonté de donner un coup de fouet à son développement.
Récemment, le Ministre de l’Education nationale a lancé officiellement le nouveau projet intitulé le PAQUET-EF.
Monsieur le Ministre en parle avec beaucoup d’enthousiasme. Mais, cet optimisme, à la limite candide, devrait être tempéré. Les germes de l’échec sont contenus dans l’impréparation du projet.
Dans l’émission POINT DE VUE du dimanche 12 mai 2013 de la RTS, il a reconnu lui-même qu’il a fallu aller très vite, pour un programme qui dure douze ans, qui engage l’avenir de plusieurs générations d’apprenants et en conséquence toute la nation. Cet aveu, à lui tout seul, suffit pour contredire l’affirmation selon laquelle le projet a été élaboré de manière participative.
Car en effet, des sessions de partage ont été organisées avec les principaux acteurs que sont les inspecteurs d’académie, les inspecteurs de l’éducation et de la formation, les syndicats et les élus locaux. Or, une démarche participative exclut un besoin de partage car incluant tous les acteurs, dès le départ, dans une dynamique appropriative.
La démarche de partage, à mon avis, est assimilable à l’une des huit formes de manipulation que l’on enseigne. C’est une opération dans laquelle il est souvent demandé aux participants de se prononcer sur un document de plusieurs dizaines de pages, en en prenant connaissance dans des délais très courts. Ainsi, on vous donne l’impression d’avoir participé à la prise de décision alors que celle-ci est déjà prise ailleurs.
La grande question que je me pose et que je pose à Monsieur le Ministre de l’Education Nationale est, à quand la grande concertation sur l’école ? En effet, si le PAQUET-EF, sur les douze ans à venir, a fini de diagnostiquer les problèmes de notre école et de proposer des solutions pertinentes, à quoi servirait dès lors une concertation ? De mon point de vue, notre école manque de vision. Je l’ai dit dans un précédent article, je le répète et je le maintiens. En outre, la définition de cette vision ne doit pas être du ressort de bailleurs de fonds ou de quelques techniciens du système, quelques soient leurs compétences. Pour l’avenir de notre école on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion approfondie impliquant tous les acteurs.
Ce sera un pas décisif vers la décolonisation de notre école. Nous devons travailler à nous donner un modèle d’école contraire à une école où chaque bailleur nous vend son projet.
Cela fait trente deux ans que notre école n’a pas été auscultée or, selon certains spécialistes, c’est tous les dix ans qu’il faut revisiter les options en les confrontant aux transformations intervenues dans le monde et dans la société.
Cela dit, dans cet article, ma réflexion porte sur la qualité du système éducatif. Le prétexte est le nouveau projet intitulé « Programme d’Amélioration de la qualité, de l’Equité et de la Transparence Secteur Education et Formation 2013-2025 » (PAQUET – EF).
La question de l’équité n’est pas une nouveauté dans le système. Dans LE PROJET Education IV comme dans le PDRH II, l’équité a été recherchée dans l’axe de la réduction des disparités entre régions, entre sexes, entre le milieu rural et le milieu urbain. La recherche de la qualité, quant à elle, a traversé tous les programmes déroulés depuis 1984.
Mais, il faut se rendre à l’évidence. Les déclarations d’intention ne suffisent pas. L’Afrique a parlé d’une éducation de qualité pour tous, une dizaine d’années avant Jomtien.
Oui, La recherche de la qualité est une vieille quête des systèmes éducatifs africains.
La conférence des Ministres de l’Education et des Ministres chargés de la Planification Economique des Etats membres, réunie à Hararé au Zimbabwé, du 28 juin au 3 juillet 1982, disait dans le 5è point de sa déclaration : « des mesures ont été prises pour améliorer la qualité de l’éducation, de former un plus grand nombre d’éducateurs et d’élever leur niveau de formation, d’adapter les programmes aux exigences nouvelles et de mettre au point de nouveaux matériels pédagogiques et d’utiliser les techniques modernes »
Dans le 10è point de la même déclaration on y lit : « assurer à tous une éducation d’égale qualité » Cette déclaration a alimenté la plupart des réformes qui ont eu cours dans nos pays.
Aujourd’hui encore, une trentaine d’années après Hararé, la quête de la qualité reste permanente. Cependant, elle n’a jamais fait l’objet d’un management particulier.
Nous sommes dans le domaine social et en dehors des erreurs que les responsables ont pu commettre il s’agit d’admettre que nous sommes dans un environnement scientifique et technique en perpétuel changement.
La globalisation de l’économie mondiale a affecté le fonctionnement de toutes les institutions publiques et privées. La technologie, la compétitivité et le management sont au cœur des sociétés performantes et l’école n’échappe pas à cette réalité.
Dès lors, il faut admettre que la notion de qualité renvoie à celle de compétitivité, approche tournée vers le CLIENT.
C’est un concept emprunté au langage de l’entreprise sans que les démarches associées, les processus et les outils ne soient toujours importés. Ainsi, on fait du neuf sur du vieux.
Il en est de même des concepts comme le système, la stratégie, « la direction participative par les objectifs », autre nom donnée à la GAR, le poste, la transparence, les zones de performance, le contrat de performance et les processus… Il ne suffit donc pas de proclamer le développement de la qualité pour la réaliser mais, surtout, de mettre en place les conditions de son avènement. La qualité, ce sont des normes, de la mesure, une structure de pilotage, au besoin externe à l’organisation, un responsable de la qualité, un contrôle interne et externe, des réglages continus pour minorer la non qualité.
Elle possède ses règles particulières de management qui renvoient au concept de système de management de la qualité –SMQ-
La mise en œuvre de ce SMQ passe, d’abord, par la désignation d’un responsable qualité.
Le responsable qualité est non seulement garant de l’application des dispositions du système qualité, mais également de son suivi et de son perfectionnement.
On lui attribue des missions, on lui donne l’autorité et la responsabilité associées, des moyens nécessaires pour gérer et optimiser le processus dont il a la charge.
L’approche processus nécessite de faire véhiculer les objectifs de manière transversale, et non verticale. Chacun doit être conscient de son rôle et de son utilité vis-à-vis de l’objectif global. La tendance fortement centralisé de notre système est un obstacle à une telle exigence. Il est vrai qu’une volonté de déconcentrer et de décentraliser constitue l’un des piliers sur lesquels le système compte s’appuyer mais, cette tentative n’est pas nouvelle. Le document d’orientation sur la gestion de la qualité, élaboré par la DPRE en août 2005 avait relevé « l’absence d’une vision globale explicite, cohérente et prospective…, …une tendance centralisatrice marquée de la part du système éducatif ainsi qu’un souci quasi marginal de communication. »
Le constat n’a pas été suivi d’effets car aucune correction n’a été apportée dans ce sens.
Aujourd’hui encore, cette tendance reste très prégnante dans notre système éducatif. Or, notre école gagnerait à s’orienter vers une véritable gestion de la qualité en mettant en œuvre une démarche qui intègre « les besoins de ses clients, optimise et diminue ses coûts de fonctionnement, améliore sa productivité interne, pilote de bout en bout selon une véritable stratégie, formalise ses procédures, ses modes opératoires, fait de l’amélioration continue un principe de fonctionnement, entre dans une démarche améliorant le professionnalisme, limite les problèmes liés aux interfaces, améliore sa réactivité dans le traitement des anomalies, permet à tous de se situer au sein de l’organisation et de mieux appréhender les finalités de ses activités. »
Elle est certes difficile à mettre en place et dure à comprendre sans préparation. Mais, le gain que l’on peut en tirer mérite qu’on s’y engage. Seulement, on ne doit pas s’y engager sans mettre à contribution les ressources du management moderne.
Ainsi, le pilote se dotera d’un tableau de bord du processus, outil de conduite qui lui permet de visualiser les données de surveillance, de mettre en évidence les tendances d’évolution et d’expliquer les valeurs anormales et les tendances significatives.
Il aura comme repère les quatre type d’indicateurs ci-dessous, qui lui permettent d’apprécier la qualité du système. Ce sont :
– Des Indicateurs d’activité : quantités réalisées, quantités consommées, activité générée
Ils permettent d’ajuster les ressources du processus aux fluctuations d’activités
– Des Indicateurs de résultat : atteinte des objectifs du processus, conformité du produit ou du service
– Des Indicateurs de perception : perception qu’ont les clients et les autres parties prenantes
– Des Indicateurs internes du processus : déroulement et fonctionnement du processus pour des prises de décisions qui auront un impact sur le résultat lorsqu’il est encore temps (pilote).
En clair, la qualité doit faire l’objet d’un management approprié. L’enseignement supérieur semble l’avoir compris en créant une Agence Nationale de l’Assurance Qualité pour le Supérieur. (ANAQ-SUP) C’est une chance peut être pour notre système car, si l’enseignement supérieur veut obtenir les produits attendus, il faut que l’on joue sur les paliers inférieurs. Si les bacheliers qui leur arrivent ne manifestent pas les pré-requis nécessaires, il leur sera difficile de conformer les produits aux attentes fixées. Un alignement stratégique s’impose immanquablement.
Mais, cela suffira-t-il ? Le Sénégal n’envisage la qualité que sous l’angle des résultats scolaires. C’est une dimension de la qualité qu’il faut envisager certes, mais il n’est pas suffisant pour permettre d’apprécier les performances du système. D’ailleurs, il faut être très circonspect par rapport à ces résultats car, depuis 2000, beaucoup d’élèves ont été admis en sixième sans avoir le nombre de points requis. On a souvent tordu le cou aux faits.
Et, même si ces résultats devenaient acceptables, la qualité externe devra retenir notre attention. Sinon, nous pourrions toujours continuer à nous plaindre d’avoir des sénégalais aussi dénués de sens civique. Cette tare est aussi grave que le manque total d’intelligence sociale qui se manifeste dans la communauté nationale. Nos hommes et nos femmes politiques nous en donnent l’exemple tous les jours.
D’un autre point de vue le fonctionnement du système doit également attirer l’attention des pilotes si nous voulons arriver une qualité totale.
En tous les cas, nous engageons une nouvelle phase de la vie de notre système éducatif. Elle peut être décisive pour sa relance. Mais, celle-ci ne sera possible que si, avant de démarrer, on mette tous les atouts de notre côté, en limitant les impréparations et les errements. Seule une organisation efficace et performante pourra nous permettre d’obtenir une qualité interne et externe qui réalise un alignement entre le type de citoyen et les orientations de notre société.
Magatte Samb
Inspecteur de l’Education et de la Formation à la retraite
TOP MANAGER
E-mail: magattesamb@yahoo.fr
Tél : 77 557 44 88