Dernièrement, un agent vétérinaire ayant une expérience de plus de 20 ans de service, avec qui je discutais politique, m’a dit que Macky Sall aurait grand intérêt à laisser madame Aminata Mbengue Ndiaye à sa place, parce que la corporation à laquelle il appartient constate, pour s’en féliciter, que la dame est en train de faire du bon travail ; et dans la foulée, mon interlocuteur m’apprendra que les meilleurs ministres de l’élevage du Sénégal ont souvent été des gens, à la base, étrangers au milieu.
A l’appui de sa révélation, il me donnera le cas de Modou Diagne Fada, qui a été presque unanimement salué, en son temps, comme l’un des meilleurs ministres de l’Environnement, et dont l’une des touches novatrices révolutionnaires aura été de “militariser le corps des Eaux et Forêts”.
Pour marquer mon entière adhésion à sa thèse, j’ai alors, pour ma part, évoqué le cas de Mamadou Bousso Lèye, qui fut sans doute le meilleur ministre de la Culture sous l’ère libérale, et dont l’éviction inattendue fut sentie par l’écrasante majorité des acteurs culturels comme un mortel coup de hache à leurs espoirs. Et pourtant, cet homme était un vétérinaire !
“Thèse fantaisiste”
Vous aurez deviné que ce détour anecdotique a pour objet de réfléchir, avec vous, sur une thèse plus ou moins fantaisiste, malheureusement largement partagée, et selon laquelle quand on n’est pas du milieu politique, on a peu de chances de réaliser des exploits dignes de ce nom dans le cadre de l’exécution des responsabilités que vous confie le Maître de la Cité.
La fraîche éviction de monsieur Abdoul Mbaye de la Primature a donné à ce type de commentaire un effet de grossissement qui, à mon sens, dépare lamentablement d’avec son niveau de pertinence. Avec des gymnastiques hypothético-déductives à forts relents de subjectivisme, “certains analystes politiques” ont essayé de nous vendre l’idée selon laquelle l’absence d’épaisseur politique d’Abdoul Mbaye est, dans une large mesure, responsable de son échec supposé dans l’exécution de la haute mission républicaine qui lui était dévolue ; autrement dit, le “technocrate froid” qu’il est (dans l’opinion publique, ils le sont presque tous et toujours ! c’est aberrant quand même !) ne pouvait que laisser des plumes dans la chaleur de “l’été politique” où est intervenue sa nomination. Modou Diagne Fada a défendu cette thèse dans quelques radios de la place, et a avancé des justifications qui sont censées requérir notre indulgence.
Il est moins évident d’admettre qu’un éminent journaliste comme Pape Samba Kâne (ça lui arrive rarement, franchement !) puisse s’inscrire dans une telle perspective analytique (notamment dans son éditorial du lundi 02 septembre dans “Le Populaire”, intitulé “Penser juste, ce n’est pas danser juste”).
“De l’entraîneur comme du PM”
Personnellement, ma conviction est éloignée de cette vision. Je crois que le culte de l’efficacité ne peut guère forcément être lié à l’appartenance ou non de l’individu au milieu où il est circonstanciellement invité à faire valoir ses compétences. Il en va de l’entraîneur comme du Premier Ministre : l’expression de leur génie, s’ils en ont, s’arrête aux rebords du terrain !
Ce sont les acteurs pressentis pour la tâche qui doivent jouer le jeu en “ mouillant le maillot “, comme on dit trivialement. Abdoul Mbaye a beau être animé de toutes les volontés du monde qu’il n’aurait pas pu impulser un souffle exceptionnel à la vie culturelle sénégalaise, ou arrêter les eaux des inondations avec ses bras à la place de ses collègues, son homonyme Abdoul Aziz Mbaye et Khadim Diop.
Aujourd’hui, Mimi est à la station primatoriale ; si l’attelage qu’elle a la charge de conduire, manifeste la même “”passivité”, la même “lenteur”, que personne ne s’attende à des miracles.
Vous comprendrez donc que, pour moi, ce qui nous arrive, c’est-à-dire la “lenteur” supposée dans l’exécution des tâches, n’est et ne peut pas être imputable à un défaut de coaching.
Aucun des ministres qui ont été sous la direction de monsieur Abdoul Mbaye n’en savait moins que lui sur l’exigence d’efficacité et la célérité avec laquelle Macky Sall, dès l’entame, souhaiterait qu’on exécute les points de son programme. C’est comme nos respectables prêcheurs : tout ce qu’ils s’exercent à nous répéter en termes d’orientation, nous l’écoutons et le recueillons par simple élégance morale ; mais chacun d’entre nous connaît les grandes lignes du Bien et du Mal inscrits dans le Grand Livre de ce Dieu au nom duquel ils prennent la parole.
De ce point de vue, je suis fondé à croire que même un étudiant comme Premier Ministre, le Sénégal peut franchir bien obstacles, à la seule condition que l’équipe à sa disposition soit dotée d’une réelle volonté de réussir, d’une importante marge de manoeuvre et d’une véritable capacité d’anticipation.
Le nouveau premier Ministre a résumé le sens du choix porté sur sa personne en martelant qu’elle prend le bâton pour accélérer la cadence de réalisation du “Yoonu Yokouté” ; autrement dit, que la “lenteur” dont faisait preuve son prédécesseur était contraire à la crudité des urgences.
Bel argument. Mais à son tour, elle devra bien se battre pour imprimer à son action un rythme équilibré, au risque de se voir reprocher de danser plus vite que la musique…
“Abdoul Mbaye salsero ?
Et alors !” Je voudrais terminer en parlant un peu des erreurs prêtées à monsieur Abdoul Mbaye dans de récentes opérations de communication où il se serait emmêlé les pinceaux. A travers des railleries à peine voilées, nos brillants “analystes politiques” ont voulu reprocher au “banquier” le fait de s’être étalé sous les projecteurs sur son passé de fêtard, d’amateur et de danseur de salsa.
Franchement, il est temps qu’on arrête ! Il est outrageant de constater que sous nos tropiques, des censeurs surgis de nulle part se permettent de défendre à nos dirigeants d’avouer leur attachement à la vie, leur inclination au bonheur. Où est le problème si Abdoul Mbaye avoue, en riant, qu’il fut un grand danseur de salsa ?
Où est le problème si ses amis d’enfance témoignent que l’homme a été, dans sa jeunesse, un bourreau de coeurs féminins ? Je préfère de loin ce genre de charmante confession à l’attitude distante de certains de nos politiciens qui, dans leur jeunesse, ont foulé tous les territoires de la joie et du plaisir et qui, aujourd’hui, devant les caméras, cherchent coûte que coûte à donner l’impression qu’ils sont trop sérieux et trop absorbés par leurs nouvelles responsabilités étatiques pour se permettre d’être gais ou d’exhiber le film survolté de leur passé.
Tant qu’on n’aura pas la grandeur d’esprit et le niveau de modernité nécessaire pour permettre à nos dirigeants, dans des circonstances limites, d’enjamber l’espace de parfaite crispation dans lequel les confinent leurs charges publiques, nous ferons peser sur eux une pression malsaine non propice à l’expression des performances attendues de leur part.
Waly BA
Professeur de français
Walyba701@yahoo.fr