Le décret no 2013-1225 du 04 septembre 2013 portant répartition des services de l’État, pris à la suite du remaniement ministériel intervenu le 02 septembre 2013 consacre la mort de la Délégation à la réforme de l’État et à l’assistance technique (DREAT) et sa résurrection sous son ancienne appellation, Bureau organisation et méthode (BOM), au sein du Secrétariat général de la présidence de la République. Dans sa livraison du 13 septembre 2013, le quotidien Le Soleil nous informe qu’en dépit de ces changements, les missions du BOM restent identiques à celles de la défunte DREAT et seront même renforcées. Il nous apprend aussi que certains conseillers en organisation ont bien accueilli cette mesure qu’ils saluent et considèrent comme « un gage de retour à l’orthodoxie ». Pourtant, à y regarder de près, ce changement pourrait s’analyser comme un retour en arrière et, dans la pratique, risquerait de poser beaucoup de problèmes.
Un retour en arrière
La création du BOM, en 1968, s’inscrivait dans le sillage des théories du Management scientifique caractérisées par le « one best way » de Frédéric Taylor et l’organisation administrative du travail (OAT) de Henri Fayol. L’objectif premier des organisations notamment des Administrations qui s’inspiraient du Management scientifique était l’accroissement de la productivité, la rationalisation et l’efficacité de l’organisation du travail. Cela correspondait aux besoins et au contexte du Sénégal d’alors : nous venions d’accéder à l’indépendance et avions besoin de conforter les acquis de l’administration coloniale reçue en héritage, mais aussi d’asseoir une administration fonctionnelle et efficiente.
Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Le contexte et les besoins qui étaient à la base de la création du BOM ont évolué. Le concept de «Nouveau management public» s’est progressivement imposé en inspirant les actions visant à améliorer les performances de l’administration. Le «Nouveau management public» prône ainsi le recours aux pratiques de gestion issues du secteur privé en valorisant, entre autres, le service à la clientèle, la flexibilité et l’imputabilité. Aujourd’hui, les défis auxquels notre administration est confrontée ont pour noms, sans prétention d’être exhaustifs, la flexibilité, la satisfaction de la clientèle (accessibilité aux services, satisfaction, etc.), la bonne gouvernance (reddition de comptes, etc.) et surtout la nécessité d’avoir des pratiques de gestion adossées sur une véritable éthique. Vu sous cet angle, le retour de l’appellation «BOM», qui renvoie au taylorisme, ne cadre pas avec les nombreuses évolutions constatées dans le domaine du management de l’administration. Il s’y ajoute que, le fait de continuer à placer le BOM dans l’espace présidentiel, et non sous l’autorité du Premier ministre, ne faciliterait pas la réalisation d’une des principales missions assignées à l’ex-DREAT à savoir «développer dans l’administration la culture de responsabilité, de performance, de qualité du service public, de bonne gestion et de transparence, conformément à la politique de bonne gouvernance de l’État». En effet, après plus de 45 ans d’existence (sous des appellations diverses), il est arrivé le temps de faire évoluer le BOM, d’une structure «administrative d’étude, de conseil et d’assistance», vers une entité opérationnelle transversale ou interministérielle gouvernementale autonome ou placée sous l’autorité directe du Premier ministre pour espérer arriver à des résultats probants. Rien que l’implication souhaitée et souhaitable du BOM dans processus de mise en œuvre de l’acte III de la décentralisation justifierait pleinement la décision d’ériger cette structure en une entité opérationnelle gouvernementale. Il est temps de mettre fin aux réflexions et études interminables (dont peu servent aux prises de décisions des autorités) et de passer à l’action !
L’exemple de la France, qui nous inspire souvent, est là pour prouver la pertinence d’un tel choix opérationnel (qui n’exclut pas la conception). A côté d’un Ministère de la réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique, existe un secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, une instance de coordination, directement placée sous l’autorité du Premier ministre afin de mettre en exergue le caractère interministériel de la réforme de l’État français. Loin de nous l’idée de copier bêtement la France. À travers cet exemple, nous voulons démontrer que nous pouvons trouver une formule opérationnelle adéquate et adaptée pour rendre plus utile le BOM. Tout cela nous fait croire qu’une opportunité vient d’être ratée et, qu’en vérité, la résurrection du BOM et le fait de le placer sous la tutelle du secrétariat de la présidence de la République constituent un retour en arrière.
Des difficultés en vue
L’ex-DREAT était structurée autour d’un certain nombre de directions, de bureaux (documentation et finances) et de projets notamment le programme national de bonne gouvernance. Comment toutes ces structures vont-elles se retrouver dans le nouveau BOM ? Il serait curieux et intéressant d’entendre les arguments que vont nous servir nos éminents conseillers en organisation pour justifier l’absorption de directions nationales par un simple bureau même s’il a une appellation mythique comme le BOM ! L’autre difficulté tiendrait au non renouvellement du discours des responsables du BOM et l’inadaptation de cette structure aux réalités actuelles du Sénégal. En effet, à force d’écouter certains responsables du BOM, nous avons l’impression de n’entendre que des discours stéréotypés axés exclusivement sur le leadership quoique cet élément soit une dimension importante du management. Il nous semble ainsi, que ces responsables du BOM ont la conviction de croire que lorsqu’on parvient à asseoir un leadership, tout ira bien. Ceci n’est pas toujours vrai. Peu de responsables de l’administration sénégalaise font preuve de leadership comme le prouve le récent rapport de l’inspection générale d’État (IGE) sur l’état de la gouvernance publique, lequel mentionne «il est plus fréquent que les rapports de vérification relèvent, pour le déplorer, l’absence de leadership de certains gestionnaires». Il est temps que le BOM élargisse son paradigme d’intervention en ne se focalisant plus seulement sur le leadership (dans toutes ses dimensions et avec tous ses styles) et en intégrant, par exemple, une perspective moins centrée sur une seule personne (le leader) et plus axée sur le collectif comme la mobilisation, la gestion axée sur les résultats, la gestion du changement, etc. Lorsqu’on parle de mobilisation, on met l’accent sur l’ensemble des travailleurs d’une organisation, d’une entité administrative. Elle peut se définir, entre autres, comme un haut degré d’intérêt que manifestent les travailleurs pour leur travail et pour leur organisation lorsqu’ils acceptent de fournir les efforts nécessaires à l’atteinte des objectifs. La mobilisation implique, donc, tous les travailleurs dans le but de créer un environnement de travail performant (qualité de travail) et dans lequel ils pourraient s’épanouir (qualité de vie). La mobilisation tend à rendre les travailleurs plus participatifs, plus proactifs et plus productifs parce toutes les énergies étant concentrées vers des buts communs. Enfin, la mobilisation ne devrait pas être confondue avec la motivation laquelle est davantage liée à l’intérêt que l’on porte à son travail. Dans cette optique de mobilisation, c’est beaucoup plus un leadership d’animation (qui vise la participation et la contribution de tout le monde à la réalisation des objectifs partagés) que nous avons besoin. Quant à la gestion axée sur les résultats, le BOM en fait, déjà, un de ses axes d’intervention, mais devra faire l’objet d’une intensification et d’une généralisation. Il devra veiller à ce les conditions de mise en œuvre d’une gestion axée sur les résultats soient remplies au préalable. En effet, la gestion axée sur les résultats repose, d’une part, sur la responsabilisation, c’est-à-dire la latitude d’action fondée sur l’éthique et la transparence et, d’autre part, sur la reddition de comptes sur les résultats obtenus en fonction des ressources disponibles. Pour qu’elle soit possible, il faudrait un certain nombre de pré-requis notamment une définition claire et précise des missions, une détermination d’objectifs atteignables et mesurables par des indicateurs connus d’avance ainsi qu’une bonne maîtrise des processus de service à la clientèle.
Cheikh FAYE
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