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Emploi : Entre Absence De Vision Et Mauvais Choix Stratégiques

Emploi : Entre Absence De Vision Et Mauvais Choix Stratégiques

Les différentes initiatives et politiques mises en œuvre dans le domaine de l’emploi, au cours des deux dernières décennies, pour résorber le chômage des jeunes ne se sont pas révélées, tout au moins, concluantes. Ces initiatives et politiques ont fait l’objet de multiples critiques qui pointent leurs insuffisances et leur manque d’efficacité. La plupart de ces critiques et analyses sont cantonnées à des considérations organisationnelles (émiettement des services chargés des questions de l’emploi), de gouvernance (dirigeants politisés pas forcément compétents, absence de procédures fiables, déficience des contrôles, etc.) et managériales (mauvaise gestion des ressources matérielles, financières et humaines, détournements d’objectifs, etc.).

Nombreuses étaient les personnes qui croyaient cette époque révolue depuis mars 2012, mais un bref regard sur les nouveaux chantiers et priorités de l’État dans le domaine de l’emploi n’autorise guère l’optimisme. Nous allons prendre l’Agence Nationale d’Assistance à la Sécurité de Proximité (Anaps) pour illustrer notre propos. En effet, la manière et la célérité avec lesquelles la décision et l’implantation de cette agence ont été effectuées dénotent une absence de vision ainsi qu’un mauvais choix stratégique, lesquels portent en eux-mêmes les germes d’un échec prévisible.

L’ANAPS : un programme volontariste qui ne fait que différer le règlement du chômage des jeunes

L’ANAPS, selon son Directeur général, créera 10 000 emplois « dans le domaine de la sécurité de proximité en relation avec les autorités de police et les forces de sécurité (Police et Gendarmerie) et participera, ainsi, à la mise en œuvre de la stratégie nationale de gouvernance sécuritaire de proximité.» C’est une initiative qui vise à concilier deux choses : d’une part, la prévention et la lutte contre la délinquance et, d’autre part, la création d’emplois en réponse à la demande sociale. En fait, il s’agit d’une pâle copie d’une vieille trouvaille française, à savoir les Contrats locaux de sécurité (CLS) qui se voulaient beaucoup plus comme une tentative de réponse à la délinquance et à la violence qui sévissaient dans certaines collectivités locales françaises qu’à toute autre chose. Certes, des initiatives comme celle de l’ANAPS offrent aux jeunes des emplois, mais seulement à court et moyen termes. Cela contribuera, tout de même, à réduire le chômage des jeunes, le temps que durera cette agence (son financement et la volonté politique de la maintenir seraient largement tributaires des changements de régimes, car sa pertinence ne fait pas l’unanimité). Les emplois qu’offrira l’ANAPS n’ont pas vocation à devenir des occupations permanentes. Ce sont des emplois qui visent simplement à mettre les pieds à l’étrier aux jeunes à la recherche d’un premier emploi. C’est dire qu’il s’agit d’emplois de transition qui devraient, en principe, leur offrir plus de chances pour une véritable insertion dans le marché du travail. Pour cela, les temps de service (temps d’engagement) doivent être mis à profit en vue de rendre les jeunes recrues plus qualifiées. Autrement dit. l’ANAPS a l’impérieux devoir de valoriser les dimensions formatrices du travail (pas uniquement la formation pour exercer l’emploi d’assistant de sécurité). Cela signifie, tout simplement, que le travail précaire et occasionnel qu’elle va offrir devrait être en mesure, en principe, de servir à la construction de situations professionnelles. Malheureusement, tel ne semble pas être le cas à la lumière des premières déclarations du directeur général de l’ANAPS. Ce dernier laisse croire que les jeunes qui seront recrutés seront davantage des éléments supplétifs aux forces de sécurité (Police et Gendarmerie) que toute autre chose et seront formés dans cette seule optique.

Un programme peu ou pas articulé aux autres politiques de l’État

Dès le tarissement des sources de financement de l’ANAPS ou la décision politique de ne plus la maintenir, tous les jeunes engagés seront jetés, de nouveau, dans la rue sans qu’ils ne soient préparés ni aptes à occuper d’autres emplois qui requièrent des qualifications professionnelles différentes. On peut affirmer d’ores et déjà, sans aucune volonté de jouer aux oiseaux de mauvais augure, que ce sera le cas des 10 000 agents de sécurité de proximité qui seront recrutés à travers ce programme. En effet, l’absence de dimensions formatrices (formations qui prépareraient les recrues à occuper des emplois autres que ceux d’agents de sécurité), ferait que peu d’entre eux auront la chance de sortir, à temps, de ce dispositif précaire et de se trouver un emploi plus rémunérateur et plus stable. De plus, l’ANAPS ne peut pas offrir, à ses recrues, le bénéfice d’une progression professionnelle, car étant confrontée à l’impossibilité de bâtir des plans de carrière dans le domaine de la sécurité et de la prévention de la délinquance  (l’accès aux emplois dans les différents corps des forces de l’ordre sont réglementés de façon très strict). Dans ces conditions, il est parfaitement envisageable que tous ces jeunes retourneront, à nouveau, au chômage dès que s’estomperont les sources de financement ou la décision d’abolir l’ANAPS prise pour des raisons politiques ou autres. Une telle situation n’ira pas sans conséquences sur la paix sociale et sur la stabilité sécuritaire du pays. Imaginez 10 000 jeunes occupés aux tâches de supplétifs des forces de l’ordre lâchés dans la rue suite à une perte de leur emploi. Au minimum, ils s’organiseront en un mouvement de pression qui ne manquera pas de poser sur la table moult revendications dont la moindre serait la garantie et la valorisation de leurs emplois. Nous avons déjà vu ça avec les corps émergeants : de volontaires ils sont en train de passer fonctionnaires après avoir été agents contractuels grâce à une forte et agissante syndicalisation qui a crée beaucoup de dysfonctionnements dans le système éducatif sénégalais.

Par contre, si on avait fait le choix stratégique de dédier ces 10 000 postes à des emplois de soutien scolaire dans les quartiers (un vrai besoin !), cela aurait permis, outre le relèvement du niveau des élèves, donc l’amélioration de notre système éducatif, la facilitation d’une planification des parcours professionnels des recrues. Ces dernières pourraient se voir offrir, parallèlement à leur travail de soutien scolaire, la possibilité de se former et de passer les examens professionnels qui donnent accès aux différents corps de métiers de l’enseignement. Ainsi, les recrues pourraient, grâce à des actions spécifiques définies et intégrées à leurs tâches de soutien scolaire, faire de leur travail des situations professionnalisantes, c’est-à-dire des situations qui les préparent à occuper d’autres emplois. Cela ne sera rendu possible que lorsque le programme ciblé serait en mesure, sur le plan stratégique, de jouer, à la fois, les rôles dune organisation formatrice (développer, enrichir, voire élargir les compétences individuelles des recrues), d’une organisation qualifiante (encourager et faciliter les formations diplômantes tant à l’interne qu’à l’externe de la structure) et d’une organisation apprenante (progression collective des compétences). Tel ne semble pas être le cas de l’ANAPS.

 

Cheikh Faye

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