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Décentralisation Au Sénégal : Le Délicat Passage De L’institutionnel à L’économique

Les incidents qu’avaient générés les découpages fonciers intempestifs de l’ancien régime libéral dans les territoires de certaines collectivités locales ainsi que les protestations des populations locales ayant récemment entraîné la suspension, par le Chef de l’Etat, des réflexions sur quelques aspects importants de l’Acte III de la politique de décentralisation au Sénégal ont montré, à suffisance, la délicatesse du passage entre l‘Acte II et celui-ci et que le moment est désormais venu de prendre des décisions courageuses, de concert avec les populations locales, pour rendre vraiment opérationnelle une telle politique.

Rappelons que l’Acte II de la décentralisation avait deux objectifs majeurs : un objectif institutionnel qui consistait à conférer à la Région le statut de Collectivité locale ; un objectif de développement économique, éducatif, social et culturel d’intérêt régional, communal ou rural que les collectivités locales ont la mission de réaliser.

Si le premier objectif a été aisément atteint, le second qui, réellement, consacrait pour la première fois les populations locales et leurs organes de gestion comme acteurs de la décentralisation ne semble pas avoir été réalisé de façon satisfaisante pour toutes les parties prenantes à cette politique ; ce qui, entre autres causes, est à l’origine des dysfonctionnements constatés dans les travaux de l’Acte III de la décentralisation puisque, pour certaines d’entre elles, les véritables contraintes qui empêchent d’atteindre cet objectif n’ont pas été correctement levées.

Notons qu’à ce stade, la politique de décentralisation sénégalaise est confrontée principalement à deux contraintes : celles relatives aux ressources humaines et aux ressources financières à propos desquelles les collectivités locales, toutes catégories confondues, ont souvent rappelé à l’Etat la nécessité de les renforcer.

Contraintes humaines et financières

S’agissant des ressources humaines des collectivités locales, à l’heure actuelle le Sénégal en dispose suffisamment aussi bien en qualité qu’en quantité et peut en utiliser dès que les moyens financiers nécessaires seront disponibles. Aussi, voit-on que la contrainte la plus dirimante est celle relative aux ressources financières et pour laquelle une solution satisfaisante pour ce qui concerne la politique décentralisation au Sénégal n’a pas été, jusqu’ici, trouvée.

Il est donc temps de cesser d’octroyer à la légère, chaque année, un certain montant de ressources budgétaires au Fonds de dotation de la décentralisation sans tenir compte de l’impact qu’il peut avoir sur la mise en oeuvre des compétences transférées aux collectivités locales. Il faudra désormais être pragmatique dans la recherche des solutions les plus indiquées pour lever cette contrainte afin que la politique de décentralisation devienne opérationnelle.

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Notons que bien avant 1996, cette contrainte a fait l’objet de plusieurs études sérieuses dont les recommandations n’ont jamais été réellement prises en compte par les divers régimes qui ont gouverné le pays. La première d’entre elles est celle effectuée, en 1992, par le groupe de travail sur les finances locales, le budget et la planification institué en vue de préparer les réformes de 1996 sur la décentralisation. Ce groupe de travail, comprenant notamment des spécialistes sénégalais ayant une expérience avérée en finances publiques a étudié toutes les formes possibles de financement susceptibles de supporter les activités de décentralisation au niveau des collectivités locales et a, finalement, opté pour l’institution d’un fonds de dotation.

Pour justifier son option, le groupe de travail affirmait avoir jugé : “prudent et réaliste de déterminer les ressources du fonds de dotation sur la base des impôts effectivement recouvrés par les services de l’Etat et non sur la base des impôts et taxes mis en rôle”. Il avait, en outre, précisé que : “les ressources du fonds de dotation viendraient s’ajouter aux produits des impôts locaux dont le maintien a été proposé”. L’analyse de l’évolution des recettes totales de l’Etat sur les trois années financières 1989-1992 lui avait permis de situer le montant des recettes à allouer à ce fonds entre 55,46 milliards et 92,22 milliards de FCFA.

Malheureusement, en 1996, le Sénégal n’a alloué à ce fonds qu’un montant modique de 4,89 milliards, soit plus de 10 fois moins que la limite inférieure de l’intervalle défini par le groupe de travail. Cet écart extrêmement important entre le montant retenu et celui proposé par le groupe de travail ne pouvait s’expliquer uniquement que par les conditions que nous imposait l’ajustement structurel dont le Sénégal faisait l’objet à ce moment. Cela montrait, plutôt, que l’Etat sénégalais n’accordait pas une priorité suffisante à la mise en œuvre de la politique de décentralisation.

Dès lors, l’enveloppe du fonds de dotation ne pouvait atteindre un niveau acceptable sans une volonté politique avérée. C’est sans doute ce qu’avait compris l’ancien régime libéral en décidant, en 2004, de procéder à une nouvelle étude sur les formes de financement des collectivités locales ; étude dont le financement a été assuré par l’USAID et intitulée : “Etude d’évaluation et de renforcement du système de financement des collectivités locales”.

Coûts des compétences transférées

L’un des objectifs principaux de cette étude portait sur l’évaluation des coûts des compétences transférées en vue de déterminer de manière plus précise l’enveloppe globale du fonds de dotation de la décentralisation (FDD). Après avoir procédé à une analyse de la documentation disponible sur le FDD d’une part, et mené des enquêtes et interviews auprès des collectivités locales et des services publics compétents d’autre part, l’étude a estimé l’enveloppe globale du FDD pour l’année 2002 à 58,146 milliards de FCFA, sept fois supérieure au montant de 8,09 milliards que l’Etat avait, alors, alloué à ce fonds pour la même année.

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Notons que cette enveloppe calculée pour 2002 se situe bel et bien dans la fourchette déterminée par le groupe de travail de 1992 ; ce qui donne une idée de sa pertinence. A la suite de cette dernière étude, des analyses et recherches plus approfondies nous ont permis d’aboutir à la publication, aux Editions l’Harmattan à Paris, d’un ouvrage principalement axé sur ce fonds de dotation et sur son calcul. Cet ouvrage est intitulé : “Financer la décentralisation : Etude du Fonds de Dotation du Sénégal”.

La parution de cet ouvrage a été suivie de l’élaboration d’un logiciel de calcul de ce Fonds de Dotation ; logiciel qui a respecté autant que possible les dispositions des textes législatifs et réglementaires régissant les collectivités locales dans ce domaine et plus particulièrement la loi 96–07 du 22 mars 1996 portant transfert de compétences aux régions, communes et communautés rurales. Ce logiciel multifonctionnel comprend : un bloc de calcul macroéconomique offrant à l’Etat la possibilité d’estimer une enveloppe globale du FDD et de procéder à sa répartition selon des critères choisis.

Dans ce bloc, une fonction “actualisation” permet d’évaluer à partir du FDD d’une année donnée celui de l’année suivante compte tenu de certains paramètres ; un bloc de calcul partiel du FDD donnant aux collectivités locales la possibilité d’estimer, de manière autonome, individuellement et collectivement leur Fonds de dotation. La confrontation des deux résultats, sous l’arbitrage du Comité National de Développement Local (CNDCL) conduira, alors, à retenir une enveloppe consensuelle du FDD.

La deuxième condition pour avoir un FDD performant est que son alimentation soit automatique dès le vote de la loi des Finances. Il est évident qu’une mise à niveau de l’enveloppe globale du FDD est essentielle pour que la politique sénégalaise de décentralisation devienne une politique sur laquelle pourra s’appuyer toute stratégie de développement économique et social local qui aspire à être performante.

Ce qui n’est pas encore le cas. Car, même en 2013, l’enveloppe actualisée du FDD calculé pour 2 002 dans l’étude de 2004 estimée à 72,96 milliards de FCFA est encore supérieure d’au moins quatre fois aux 18,12 milliards de FCFA de la présente année. Comme on le voit, si le FDD était bien évalué, il constituerait le transfert financier le plus important que l’Etat sénégalais accorde annuellement à ses collectivités locales.

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Instrument logiciel

En outre, ce fonds qui n’est pas une subvention de l‘Etat aux Collectivités locales, finance principalement des investissements de développement économique et social local. Il permet notamment de réaliser et d’entretenir des infrastructures de base (écoles, postes de santé, aires de jeux etc..) et, en même temps, de créer sur toute l’étendue du territoire national des activités génératrices d’emplois et de revenus à des coûts plus efficients que ceux d’activités sectorielles classiques.

S’il se décidait à procéder à une évaluation correcte du FDD en aidant les collectivités locales à se doter d’un instrument de calcul simple tel que le logiciel évoqué ci-dessus, l’Etat sénégalais arriverait à réaliser une rupture significative et bénéfique pour les populations locales par rapport à ce qui se faisait dans un passé en ma tière de décentralisation dans ce pays. Ce logiciel d’un maniement for simple contribuerait, alors, grandement à l’instauration de la transparence dans le calcul et dans la répartition du FDD.

Il permettrait, aussi, de disposer de coûts réels des compétences transférées que personne ne peut mieux évaluer que le prestataire de service lui-même qui, en l’occurrence, est ici la collectivité locale. A vec une volonté politique sans faille, le financement adéquat du FDD est bien à la portée de l’Etat sénégalais. Une comparaison de l’enveloppe estimée du FDD pour 2013 (72,96 milliards de FCFA) à celle du budget natio nal du Sénégal de la même année (environ 2.732 milliards de FCFA) le prouve bien; la première ne représentant qu’une part minime de la seconde.

Compte tenu de la situation de pauvreté et de pénurie qui sévit dans le monde rural sénégalais, un fonds de dotation de niveau adéquat contribuera, par les activités qu’il permettra de créer, de relever sensiblement le niveau de vie des populations rurales et facilitera, à coup sûr, le passage de l’Acte II à l’Acte III de la décentralisation au Sénégal.

 

ABDOUL MALICKY SOW

ÉCONOMISTE

ANCIEN DIRECTEUR DE LA PLANIFICATION

ANCIEN DIRECTEUR DE L’EXPANSION RURALE DU SÉNÉGAL

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