Le Conseil des Ministres de l’UEMOA a , au cours de sa réunion du 28 juin 2013 adopté « la loi uniforme portant définition et répression de l’usure » ainsi que, « la loi uniforme relative au taux d’intérêt légal » . Il a aussi décidé de la baisse du taux de l’usure qui représente le plafond de taux effectif global (TEG) applicable aux crédits accordés par les établissements de crédit (banques , établissements financiers et systèmes financiers décentralisés) de la Zone , à compter de janvier 2014.
La baisse décidée de 3% du taux de l’usure fera ainsi passer de 18% à 15% le taux applicable aux établissements de crédit et de 27% à 24%, celui applicable aux systèmes financiers décentralisés.
Cette décision longuement revendiquée suscite de légitimes appréhensions de la part des usagers des banques et des services financiers, du fait de son fondement discutable (I) ainsi que, des risques de sa non effectivité à l’instar des diverses mesures de baisse des taux d’intérêts débiteurs antérieures (II) ; appelant ainsi, une mobilisation des usagers pour la défense de leurs intérêts (III).
I. Le fondement économique et éthique de la décision est discutable
Dans les années 1980, les taux d’intérêts des crédits étaient calculés sur la base des taux de refinancement de la BCEAO (un taux d’escompte normal applicable à tous secteurs et un taux d’escompte préférentiel applicable à des secteurs jugés prioritaires comme l’agriculture). Sur ces bases, la marge d’intermédiation financière des banques était d’autorité, fixée à 5 points. Pour pallier les risques et protéger les consommateurs, l’autorité avait mis en place un plafond au delà duquel tout prêt consenti serait considéré comme usuraire, constituant ainsi un délit.
Au cours des décennies suivantes, dans un contexte marqué par la libéralisation du secteur qui posait le principe de la libre négociation des taux entre la clientèle et l’établissement de crédit et, par la rareté des ressources financières qui faisait que l’essentiel des ressources des banques provenait du Marché Monétaire de la BCEAO ; les taux plafonds d’usure en cours avaient été fixés par décision du Conseil des Ministres du 3 juillet 1997 , afin de permettre à la fois, un sain financement de l’économie et une intermédiation financière rentable.
De 1998 à 2013, soit pendant quinze années, les taux d’usure des crédits sont restés immuables alors que ses principaux déterminants ont changé avec la reforme du marché monétaire entrainant le remplacement des taux d’escompte par les taux directeurs du marché monétaire qui varient actuellement de 3,25% à 3 ,75% ; la gratuité des dépôts à vue de la clientèle qui constituent plus de 80% des ressources sur lesquelles, les établissements de crédit prêtent ; et qui rompent l’équité qui devrait régir la relation banque – client . Cette rupture sera encore plus prononcée, avec l’avènement prochain de la gratuité des dépôts en comptes d’épargne qui fait actuellement l’objet d’un intense lobbying des établissements dépositaires de comptes d’épargne.
Dans un contexte dit de « libéralisation » de la relation, comment l’autorité monétaire censée réguler le secteur a-t-elle pu pendant aussi longtemps, priver l’une des parties (le client) d’une juste rémunération de ses avoirs ? et permettre à l’autre partie (établissement de crédit) de se faire rémunérer aussi grassement sur la transformation de ces mêmes avoirs ?
Aujourd’hui en décidant d’une baisse de 3% du plafond des crédits qui n’est pas toujours respecté par les établissements de crédit, l’Autorité semble chercher à se donner bonne conscience, après tant d’années de passivité.
Cette décision comme celles qui l’ont précédé ne garantiront ni une baisse des intérêts appliqués à la clientèle, ni le respect du taux d’usure par les établissements de crédit.
II. La mesure risque d’être sans effet sur les taux des crédits à la clientele
En dehors de la fixation du taux plafond d’usure, le principal instrument d’administration et ou de régulation de la politique de crédit au sein de l’UEMOA est la fixation du taux de soumission aux appels d’offres d’injection de liquidités et au taux de guichet de prêt marginal à partir desquels, les établissements de crédit se refinancent au niveau de la BCEAO. Or rien qu’en 2013, le Comité de Politique Monétaire de la BCEAO a décidé de plusieurs baisses des taux directeurs qui ne se sont pas reflétées sur les taux applicables aux crédits consentis à la clientèle.
En effet, la « Revue Economique et Monétaire de la BCEAO en son numéro 1 » admettait « qu’en dépit des baisses régulières des taux directeurs du marché monétaire, les taux d’intérêts n’ont cessé d’augmenter de 2005 à 2012 »
Dans le même temps, la note de conjoncture économique de mars 2013 de la Direction de la Prévision et des Statistiques Economiques (DPEE) du Ministère de l’Economie et des Finances (MEF) affirmait « qu’entre octobre 2012 et mars 2013, les taux directeurs ont connu deux baisses de 0,25 points chacune alors que, les taux des crédits au secteur productif ont crû de 0,59% ; ceux aux particuliers de 0,35% et ceux aux entreprises individuelles de 1,17 » (soit plus de 4 fois la baisse décidée).
Pour corroborer ces sources, les autorités de la BCEAO, devant une dénonciation du Président Macky Sall du niveau élevé des taux d’intérêts dans certains secteurs économiques (agriculture, habitat social et financement des femmes et des jeunes) lors des cérémonies du symposium du cinquantenaire de la BCEAO en Novembre 2012,se sont contentés de déclarer « partager le constat que les taux d’intérêts sont anormalement élevés en Afrique » ; alors que leur institution est censée y pallier .
Ces constats des plus hautes Institutions et Autorités en la matière, ainsi que des Usagers des services bancaires, ont fini de démontrer les limites des principaux instruments de politique de crédit dans la baisse des taux d’intérêts applicables aux crédits. Ces derniers étant plus guidés par des objectifs de stabilité de cadre macroéconomique et financier ; de stabilité de système financier et de maitrise de l’inflation dans la Zone.
Au lu de ce qui précède et à l’instar des diverses tentatives infructueuses de baisse des taux d’intérêts débiteurs précédentes, la mesure de baisse actuelle du plafond de l’usure risque de n’être suivie d’aucun effet sur les crédits contractés par les usagers qui continueront à subir le diktat des établissements de crédit, sous la surveillance passive des Autorités.
Le manque d’efficacité des instruments de politique de crédit conduit à la situation paradoxale où sur des années d’observation, les résultats des établissements de crédit croissent plus rapidement que ceux des entreprises qu’ils sont censés accompagner du simple fait de l’application de taux d’intérêts exorbitants sur lesquels, les Autorités monétaires elles mêmes, se rémunèrent.
III. La nécessaire mobilisation des usagers pour la cessation d’un enrichissement sans cause
Devant l’inefficacité avérée des mesures administratives, la bonne organisation de la défense de intérêts des établissements de crédit à travers leurs organisations professionnelles, la présence d’un Observatoire de la Qualité des Services Financiers OQSF qui, bien que financé sur des deniers publics revendique sa neutralité entre les usagers et les établissements de crédit ainsi que, la conjonction d’intérêts entre les établissements de crédit et les Autorités (étatiques et communautaires) ; seule une mobilisation des usagers autour d’associations fortes d’usagers de banques et de services financiers, pourra défendre les intérêts des usagers qui aujourd’hui, sont laissés à eux-mêmes , sous le couvert d’une libéralisation sans régulation qui met en présence , dans une relation très déséquilibrée , des acteurs fortement outillés (les établissements de crédit) et très peu avertis (les usagers) .
Cette mobilisation permettra de lutter efficacement afin d’obtenir une juste rémunération de leurs dépôts ainsi que, des niveaux raisonnables de taux d’intérêts qui leur sont appliqués contrairement à ceux actuels et qui, au niveau des particuliers érodent leur pouvoir d’achat, les appauvrissent et les entrainent vers le surendettement et au niveau des entreprises, plombent leur compétitivité et leur rentabilité.
Au-delà de la question centrale sur l’application des intérêts créditeurs et débiteurs, la mobilisation des usagers permettra aussi de lutter contre toutes les formes d’abus dont ils sont victimes dans leur relation quotidienne avec les établissements de crédit et à la prise de conscience qu’ils constituent le socle du système financier et ne sauraient continuer à se confiner à une position de « victime » d’un Système qu’ils ne cessent de décrier, sans essayer de le connaitre , de le soutenir parfois et de le dénoncer, à chaque fois que de besoin.
Pour une amélioration du Système dans le sens de la satisfaction de ses besoins et dans des conditions optimales , les usagers (entreprises privées , particuliers, institutions et entreprises publiques ) devront occuper pleinement leur place dans le Système et ne savoir compter que sur eux-mêmes pour obtenir des acquis à l’instar des associations consuméristes des pays du Nord comme l’Association des Usagers de Banques de France (AFUB) qui a été à l’avant-garde de la lutte contre les abus et de belles avancées dans la qualité et les coûts des services bancaires et financiers en France.
L’Etat du Sénégal, garant de l’intérêt général, devrait aussi appuyer cette mobilisation qui sera salutaire pour l’économie nationale à travers l’amélioration de la compétitivité des entreprises et la protection du pouvoir d’achat des populations.
Aucune entité ne mènera ce combat pour le compte, et à la place des usagers !
Cheickh Mbacké Diokhané
Secrétaire exécutif de l’Association Sénégalaise
des Usagers de Banque et de Services Financiers
ASUBSF