On apprend que Ndèye Khady Guèye semble s’être beaucoup plus rapprochée de Dieu, qu’elle se couvre maintenant de la tête aux pieds, et qu’elle ressemble à une Ibadou (Voir L’As du mercredi 22 janvier 2014). Comme on nous avait appris les mois derniers, la reconversion de Karim Meïssa Wade, qui passerait son temps à lire le Coran, à réciter des Khassaïdes, etc. Un hebdomadaire panafricain avait d’ailleurs rapporté qu’“ au cours des derniers mois, celui que l’on avait davantage l’habitude de voir revêtu d’élégants costumes taillés sur mesure s’est mis à arborer la djellaba et le calot des hadjs” (Voir Jeune Afrique du lundi 28 octobre 2013). Bientôt certainement, si son séjour carcéral venait à se prolonger, on nous apprendra que Aïda Ndiongue, elle aussi, passe ses journées dans des actes de dévotion, etc.
Une probable reconversion de plus. Comme si de telles révélations pouvaient faire oublier ce pourquoi ces personnes ont eu maille à partir avec la justice. Présumées coupables d’enrichissement illicite, elles sont soupçonnées non pas de s’être enrichies honnêtement, à la sueur de leur front, mais d’avoir soustrait frauduleusement l’argent public à des fins personnelles.
Et que l’on sache, le détournement de l’argent public est condamné par toutes les religions révélées. Mais voilà donc, suprême paradoxe, qu’on fait mine d’oublier ce pourquoi ces gens-là se sont retrouvées derrière les barreaux pour nous les présenter comme proches de Dieu. Veulent-ils alors faire croire que la prison est devenue la nouvelle porte d’entrée du paradis ?
L’ancien Directeur général du Cosec poussera d’ailleurs le bouchon un peu loin en faisant l’éloge de la prison. Elargi de Rebeuss à la suite d’une médiation pénale, Amadou Kane Diallo expliquait en effet qu’il avait séjourné dans « une vraie école de vie ». Ainsi avait-il confié : “On passait tout notre temps à prier. Pendant dix jours, nous ne faisons que prier comme si c’était le “Laylatoul khadr ‘nuit où les Musulmans prient pour des actions de grâce Ndlr). Cela, je ne pouvais pas le faire dans la vie courante. Je crois qu’il y a une nouvelle lumière qui m’est venue de la prison. Je suis sorti de la prison avec un plus, j’ai changé en mieux et en bien” (Voir l’Observateur du vendredi 17 août 2013).
Alors il faut arrêter de divertir les gens. Il ne s’agit pas de savoir si Mademba ou Massamba ou Fatoumata se sont reconvertis en prison pour la simple raison que la véritable reconversion c’est d’abord faire preuve de contrition. S’amender, reconnaitre ses fautes, les solder et ouvrir une nouvelle page de son histoire personnelle en essayant autant que faire se peut, d’être conforme aux prescriptions de sa religion, en s’interdisant toute forme de prédation.
Si la proximité divine s’exprime certes par les prières et les actes de dévotion liés à son culte, il se trouve aussi que c’est une manière d’être, de se comporter, en rapport avec l’éthique et la morale. La proximité divine ce n’est pas simplement un chapelet long comme ça ou un front noirci au contact du sol qu’on exhibe fièrement afin que nul n’ignore votre religiosité. C’est certes cela, mais c’est aussi et surtout plus que cela, car il s’agit de cultiver une belle âme. S’appuyant sur les leçons de Tierno Bocar Tall, le sage de Bandiagara, Souleymane Bachir Diagne, auteur de “l’encre des Savants”, souligne à juste titre que pour Dieu, “la seule compétition qui vaille , c’est la compétition dans les bonnes actions pour rendre ce monde meilleur” (Voir Sud quotidien du lundi 6 janvier 2014). Et ce n’est certainement pas la course aux milliards à laquelle on a droit dans ce pays, étant entendu que tous les moyens sont bons. Licites ou illicites qu’importe, pourvu qu’ils vous permettent de remplir vos coffres-forts.
On aurait pu s’attendre à des comportements plus vaillants, mais voilà que le Sénégal est un pays de paradoxe. Des voleurs font les quatre cents coups et prennent l’attache d’un soi-disant marabout pour qu’il les préserve de toute sanction par des prières. D’autres invoquent ces mêmes marabouts pour pouvoir quasiment être invisibles et s’adonner à toutes les forfaitures. Paradoxal on vous dit ! A croire que leur conception d’un Dieu miséricordieux est vraiment spécial puisque tout laisse à penser qu’ils se disent qu’ils peuvent tout faire et que Dieu leur pardonnera leurs fautes. L’effet prévention ne jouant pas pour réguler au préalable les modes d’être.
Dans ce pays qui se targue d’être “de croyants”, on serait plutôt en droit de s’attendre à la promotion des pratiques vertueuses. Que non ! Voilà même que des appels au pardon sont périodiquement lancées sans exiger au préalable que la faute soit réparée si faute il y a. Faut-il alors rappeler que le Sénégal ne pourra pas se construire sur l’impunité au risque de compromettre durablement son développement économique et social. C’est en ce sens que la traque des biens supposés mal acquis, et plus généralement la reddition des comptes, sont une exigence politique et éthique de l’heure.
Vieux Savane
sudonline.sn