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Plutôt Que De Nous « Réveiller », Nous Avons Besoin De Nous Ré-Éveiller! 

« Nous avons réussi à vous coloniser parce que nous avons amené nos savoirs contre les vôtres. Au Sénégal, d’une certaine manière, vous avez réussi à vous décoloniser avec plus de succès que les autres parce que vos élites étaient devenues aussi avides de nos savoirs que nous ne l’étions à un moment donné ».

« Pourquoi vos populations pauvres préfèrent-elles nos vivres plutôt que nos livres et leurs savoirs traditionnels, alors que s’ils sont pauvres c’est que quelque part notre histoire s’est imposée à la leur grâce à ces mêmes livres et à ce que nous y avons fait de vos traditions » ?

Telles sont les deux phrases qui se sont plantées comme des piques dans ma cervelle après un long palabre avec un ami franco-britannique. Quelle belle coïncidence d’ailleurs qu’il appartienne aux deux patries qui ont réussi à faire de l’Afrique ce qu’elle est devenue aujourd’hui : une civilisation dont le portrait le plus parfait est celui ou la misère est plus spirituelle que matérielle. Bien sûr, non seulement tout n’est pas si évident dans ces deux phrases, mais la spiritualité à laquelle nous faisons référence ici relève moins de l’ordre de la religion que de celui de l’éthique et de la connaissance. L’Afrique est assez bien connue pour sa diversité et son effervescence religieuses. Cela dit, il y a de quoi réfléchir et méditer dans ces deux phrases plutôt suggestives. Ce que je veux m’employer à faire en vue d’un partage avec le lecteur qui voudra bien me consacrer un peu de son temps pendant quelques minutes.

Nous sommes souvent nombreux à penser que notre sort, notre destin, pour parler plus sénégalais, se joue sur la recherche effrénée de la fortune et du succès. En vérité le destin des africains se joue dans la recherche du savoir en général, dans la lecture en particulier. L’Afrique est le seul continent où la recherche du savoir n’est pas parvenue à impacter de manière significative et durable sur les autres aires de la planète. Ce processus avait commencé à un moment donné, mais il a été brutalement interrompu par les invasions étrangères et des catastrophes naturelles et anthropiques comme l’esclavage. Mais c’est cela le défi de l’Afrique : arriver à faire redémarrer ce processus comme l’ont fait toutes les autres civilisations qui ont été confrontées aux mêmes brusqueries de l’histoire et de la nature.

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Tant que nous n’aurons pas développé une « volonté de savoir » inébranlable et une éthique de la vie basée sur la connaissance, nous resterons d’éternelles victimes de notre propre goût pour le raccourci et le rattrapage, c’est-à-dire en vérité la paresse. Savoir ce qui se décide en notre nom, qui en décide? Où et comment? Pourquoi? Car le monde n’est pas régi par la démocratie, les droits humains ou la compassion? Il est mu par la décision et la responsabilité. Et ces choses-là s’exercent très rarement en conformité avec la démocratie. L’affaire Julian Assange, celles de Ben Laden et de Mouammar Kadhafi hier; celles de Mehdi Ben Barka et de Patrice Lumumba et Thomas Sankara avant-hier, celles de Peter Snowden, de Laurent Gbagbo, du Mali et de la Centrafrique aujourd’hui.

Notre destin se joue dans les rapports et les documents de politique des gouvernements étrangers, les études des ONGs et autres organisations internationales, les rencontres secrètes qui se tiennent derrière les rideaux des sommets médiatisés de nos dirigeants avec les dirigeants du monde. Notre destin se joue dans la lecture, la quête effrénée de la connaissance et de l’information vitale.

Toutes les informations sont utiles bien sûr, comme savoir si son lutteur a triomphé ou pas. Mais toutes ne pèsent pas de la même façon sur notre destin et sur celui de nos enfants et du monde que nous devons et voulons leur léguer. Comme le disait un ami kényan, « je me demande si quelqu’un mérite un succès qu’il n’est pas sûr de pouvoir léguer à ses enfants ». En me posant certaines questions, je ne peux m’empêcher de me ressasser en tête le discours de notre vénéré guide Serigne Cheikh Tidiane Al Maktoum lors du dernier Gamou à Tivaouane: quel est ce malheur qui risque de nous surprendre? De quel coté viendra t-il? Pourquoi? Qu’avons-nous fait de notre existence collective et des atouts dont Dieu nous a fait gracieusement don? Quelqu’un en sera t-il épargné ? Se pourrait-il que nous soyons nous-mêmes la source de ce malheur? Arrivera t-il en punition? Punition de quoi? Qu’est ce que cela signifie t-il de souffrir individuellement et collectivement dans l’histoire et le monde pendant que les autres bâtissent chaque jour leur bonheur sur notre sueur et notre sang ? Devons-nous rester indifférent à cela ? Méritons-nous ce sort de « fléau de l’humanité » et de « risée du monde » ? Cela ne nous gêne t-il pas d’apparaître aux yeux du monde comme une famille de malheureux ignorants qui dorment et s’entre-tuent chaque jour sur une mine d’or ?

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Eh bien la seule raison pour laquelle nous n’avons aucune gêne à apparaître comme tel c’est que nous ne sommes pas encore conscients de l’ampleur de la destruction et de la souffrance qui nous guettent. Et cette conscience-là ne s’acquiert qu’avec une volonté de savoir ? Savoir que tout le secret de la souveraineté de soi et sur soi, le secret de la liberté, réside dans la capacité à décider entièrement de tout ce qui nous concerne. Or qui ignore ce que décident ou veulent décider les autres, ce qu’ils sont prêts à faire et jusqu’où ils sont prêts à aller, ne pourra jamais décider par lui-même et pour lui-même. Certains seraient tentés de me rétorquer ceci : « l’essentiel n’est pas comment les autres nous voient, mais comment nous nous voyons nous-mêmes ». Précisément, comment nous voyons-nous ? Savons-nous qui nous sommes et ce que nous voulons pour chacun d’entre nous et pour nous tous collectivement ?

Quelle est notre mémoire ? En avons-nous une précisément? Si Oui pourquoi n’arrivons-nous pas à prendre les bonnes décisions ? Si Non, devons-nous perdre encore un seul instant pour en bâtir une ? Car en définitive, on ne décide pas ex nihilo, les décisions qui font vivre et survivre les nations libres sont toujours celles qui sont inscrites dans une mémoire collective, et les civilisations matures et autonomes sont celles qui savent de l’histoire isoler et sauvegarder la mémoire pour en faire leur force collective et celle de chaque citoyen. Or il se trouve que de la volonté de savoir les autres civilisations ont fait résulter leur volonté de puissance pour parvenir avec un grand succès à s’accommoder de notre volonté d’impuissance.

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Aboubakr Tandia

Aboubakr TANDIA

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