A bien des égards les marabouts jouent un rôle prépondérant dans la société sénégalaise. Il se trouve que depuis quelques temps, le statut de « serigne » est presque banalisé par tout le monde. Cela est dû au fait que n’importe qui s’autorise à se proclamer guide religieux.
Il suffit de naître dans une famille maraboutique ou d’en être proche pour avoir des disciples (talibés). Le peuple ne s’intéresse plus à savoir qui sait quoi ou qui fait quoi. Il se focalise sur des noms de familles pour dire que celui-là est authentique et que tel autre ne l’est pas.
Or, ceci s’inscrit à l’encontre de la tradition islamique. Souvenons-nous quand abou bakr (un des « Rachidun ») demandait aux gens de le suivre tant qu’il respecte les préceptes divins et de le délaisser le jour où il s’en écarte. Au Sénégal, être marabout correspond au fait d’appartenir à une famille « maraboutique ».
Aucune loi religieuse n’admet une telle hypothèse. Au contraire, la tradition nous donne même des leçons à ce niveau. Le prophète Mohamed disait à sa fille Fatima qu’il ne pouvait rien faire pour elle si cette dernière ne respectait pas les enseignements. La preuve en est que Abou talib, abou Lahab, Abou Jahl tous des oncles du prophète sont en enfer comme cela a été rapporté. Dans les écritures bibliques comme dans la tradition coranique, on rapporte aussi que la femme de Loth, celle de Noé et son fils, le fils d’Adam, le père d’Abraham résident dans la géhenne. Alors au nom de quoi, un fils de marabout s’autorise t-il à se proclamer marabout ?
S’il existe une démocratie dans l’islam, c’est que tout le monde né au même pied d’égalité devant Dieu. Le meilleur, c’est le plus pieux ni plus ni moins. Nul ne peut justifier, à travers des versets, qu’être apparenté à un saint suffit pour se sauver soi-même ou sauver (un autre). Mais la raison d’un tel délire est à trouver dans l’histoire profonde du pays. Comme la plupart des africains, les sénégalais aussi ont évolué dans une société hiérarchisée où les rois étaient considérés comme des seigneurs. D’ailleurs, il suffit de se rendre dans les milieux animistes pour se rendre compte de ce phénomène.
A la suite de la destitution des rois par les colonisateurs, les marabouts ont remplacé sur le plan symbolique ces derniers. Le peuple avait besoin de parrain, de guide, de repère. Dans la tradition royale, le fils remplaçait son père ainsi de suite… Et quand la classe des marabouts s’imposa (de manière pacifique, il faut le rappeler aussi), le peuple y a vu une certaine incarnation de la classe féodale. Ainsi, les marabouts ne sont pas seulement des guides religieux, ils rappellent aussi l’ordre social déjà établi. Cette nostalgie basée sur le « sang pur» (j’allais dire sur la race) explique de fond en comble la réalité. Avant, on faisait allégeance au Roi, aujourd’hui, on fait allégeance au « Serigne ». Sur le fond, le rituel est resté le même. Chacun fait tout pour prouver que son « serigne » est du « bon sang ». Ils oublient que Moise était un descendant d’esclave et que c’est pour cela que Pharaon ne l’a pas écouté comme le martèle le coran S. 23 V.46-47 (Joseph était captif, David un forgeron, Luqman un esclave noir) et que Mohamed est fils de Agar la servante de Sarah.
L’histoire de Fouta Toro suffit à elle seule à justifier ce constat. Souvenons-nous encore une fois quand les « Almami » (les imams) ont pris le pouvoir au Fouta vers 1776, ils ont imposé un nouvel ordre social basé sur la piété. Dans le testament d’Abdel Kader Kane et de Thierno Souleymane Baal, il est clairement inscrit que le pouvoir ne s’hérite pas et que celui qui dirige doit être le plus savant. Ils ont allé plus loin en créant le concept de « torodo » qui, dans son sens vulgaire, veut dire mendiant (mais dans le sens figuré signifie celui qui maîtrise le coran).
Ces vaillants protestants à savoir Baal et Kane voulaient complètement éradiquer l’ancien ordre social basé sur l’ignorance animiste et l’arrogance pathologique des dynasties « Déniyankobés » (ou Soninkés, Mandingues qui dirigèrent le Fouta avant ces derniers). Malheureusement, après leur mort, il y’a eu une récupération vicieuse du concept. Aujourd’hui, « Torodo » ne signifie plus celui qui maîtrise le coran mais celui qui descend de telle ou telle famille, une histoire inventée de toute pièce.
De la même manière, la plupart des familles religieuses sénégalaises cherchent leurs origines chez les arabes comme si être d’origine noire est une honte en soi. Tout le monde se dit « cherif ». Le professeur Aboubakri Moussa Lam a fait un travail excellent dans ce domaine. Malheureusement, nous ne pouvons pas revenir de manière scientifique sur cette question ici.
Ce qui est clair, c’est que les noirs donnent toutes les raisons aux autres de les mépriser. En Occident, le racisme est scandaleux ; mais en Afrique, les noirs eux-mêmes ne se respectent pas. L’ethnocentrisme et les génocides sont des bassesses qui n’existent encore qu’en Afrique noire. Il est clair que tout cela est causé par l’esprit tribal : le concept de « Nation » pose encore problème dans la mentalité africaine. Bref, toutes les grandes civilisations ont cherché à trouver leur gloire dans leur propre histoire, mais en Afrique noire, on cherche l’origine d’un homme digne ailleurs. C’est pourquoi, récemment, l’ambassadeur d’Iran au Sénégal, pour plaire à la communauté mouride, disait que le père fondateur avait des racines en Arabie, sous entendant par là qu’une origine exclusivement nègre ne valorise pas un homme comme Cheich Ahmadou Bamba.
Malao KANTE