Leadership, leadership… la clameur nouvelle! Comme d’autres apories d’une modernité décevable, c’est la nouvelle « glosse » de la classe technocratique africaine et africaniste pour dissimuler son échec multiséculaire. « L’Afrique a besoin d’un nouveau leadership », clamerait-on! Sans un tel leadership, ce Godo qu’il ne voit jamais pointer à l’horizon, sauf dans les rêves des plus incrédules et dans l’optimisme pudique des désespérés, elle serait perdue pour de bon. On aurait grand besoin d’une nouvelle génération de leaders ; comme si l’histoire était devenue incapable de placer ses charnières entre ses séquences par lesquelles nous l’expérimentons. Comme si l’échec devait rester une éternelle transition vers lui-même. Comme si la mouvance du réel n’était qu’un surplace au cœur de l’irréel.
Pourtant, depuis des décennies l’expérience pratique, celle qui est impassiblement éloignée des chantiers rabattus de la classe de l’élite, n’a pas cessé de produire des peuples et des individus assoiffés de citoyenneté, des sujets qui veulent transiter vers la citoyenneté, le seul pouvoir qu’un peuple un et multiple est en mesure de posséder. L’expérience pratique est celle de peuples et d’individus maintenus dans l’invisibilité malgré eux par des générations et des générations de leaders, bref par le « leadership »; qu’il s’agisse du discours ou de la pratique. Cette expérience est bien celle de peuples et d’individus qui ont compris qu’il n’est plus sage d’attendre Godo, mais d’aller vers lui.
Pour cette raison, je jurerais, s’il était permis ou utile de le faire, que ce dont l’Afrique manque c’est bien un peuple souverain. Seule la souveraineté d’un peuple lui garantit le « leadership » dont il a si grand besoin. Car au lieu d’avoir à être bon ou mauvais, un « leadership » est bien obligé de faire son travail face à un peuple souverain. Un leadership produit et reproduit au sein d’un peuple souverain est forcément un leadership contrôlé et, par voie de conséquence, un leadership soumis et dénué de toute indifférence et d’arrogance. Voila pourquoi je pense, je crois, que du fait de la curiosité des uns et l’incapacité des autres, ce mot « leadership » se trouve dans l’une des pages les plus froissées du bréviaire de la ruse de la dictature. A force d’usages expéditifs et de paresse incontinente.
En d’autres termes, c’est ce bréviaire qu’il convient de disposer aux musées où il sera consulté gratuitement, en reconnaissance du droit des sujets à se souvenir de l’échec pour ne jamais le supporter, et du devoir des dictateurs de s’en rappeler pour ne plus jamais s’y prendre à l’aise de nouveau.
Pourquoi un peuple souverain se choisirait-il des leaders s’il avait le luxe de placer à sa tête des serviteurs désignés en son sein ? Pourquoi un peuple confierait-il son bien à autrui s’il était capable d’en prendre soin lui-même ? Pourquoi un peuple attendrait-il d’autrui la garantie de sa sécurité et de sa survie, fut-ce une classe de technocrates, s’il détenait par devers lui-même cette garantie ? Voyons!
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