Partout dans ses conclaves interminables de cols blancs, le gouvernement affiche fièrement une volonté ferme de résorber le chômage, comme si cela pouvait être vrai, de résoudre sensiblement la question de l’emploi. Sans vraiment avouer qu’il s’agit en réalité pour lui et ses partenaires d’apprendre, ou plutôt d’inciter les aspirants, à trouver eux-mêmes les voies et moyens de se « caser » de leur propre chef. On nous parle de trouver des « niches » d’emplois, comme si le marché de l’emploi que le statisticien ne voit qu’à travers ses chiffres souvent fabriqués est visible et accessible au regard non averti des aspirants. Implicitement, le présupposé est que l’emploi n’est plus à créer, le marché plus à réguler et à assainir, mais qu’ils sont tous les deux à trouver dans le décor du capitalisme d’Etat, d’une manière assez semblable à celle du promeneur qui ramasse des cailloux dans la nature béate.
Ce qui est encore plus alarmant, c’est le mensonge d’Etat sur la situation de l’emploi. On fait croire aux populations que seuls 12% des 14 millions de sénégalais seraient au chômage. Un chiffre qu’aucun calcul démographique (qui n’a d’ailleurs jamais eu lieu dans notre pays) ne corrobore, encore moins une cartographie exhaustive et souveraine de notre tissu socio-économique. Ces 12% ne peuvent pas spécifiquement rendre compte de la situation des chômeurs (sans emplois), des emplois précaires, de l’auto-emploi, de l’auto-emploi précaire, et d’autres cas de figures difficiles à capturer et à modéliser dans la quantophremie autoritariste du capitalisme de sous-développement. On ne nous dit jamais combien de sénégalais ont un emploi précaire, temporaire, s’auto-emploient ou se font exploiter tout simplement, le plus souvent par des prête-noms et des esclavagistes de l’investissement étranger. Ne serait-ce qu’un continuum des seuils dont la variation n’est pas à vrai dire si terrible lorsque le tissu économique est maitrisé. En revanche, ce qui importe c’est une capacité de prédiction statistique de ces variations qui sont du reste inhérentes au marché. C’est tout de ce dont nous manquons! Mais en parler reviendrait à embarrasser les détenteurs de capitaux, les employeurs. Comme on peut le deviner, de telles données auraient en effet outré plus d’un, alarmé les ménages et les syndicats, et par conséquent ajouté de la pression à un gouvernement quelque peu lent à faire suivre l’acte à la parole. Pourquoi diantre ce gouvernement-là donne-t-il l’impression d’être plus préoccupé à trouver des tirelires humaines aux trafiquants de capitaux nouvellement enrichis ou faisant œuvre de courtage et de procuration au profit des investisseurs étrangers, plutôt qu’à faire s’émanciper le prolétariat urbain et les oubliés des campagnes ?
Par ailleurs, il est assez curieux que l’on semble vouloir délier la question de l’emploi des autres critères, peut-être même plus pertinents, de l’économie réelle et domestique. Certains ménages ont un taux interne d’emplois relativement sécurisant d’un point de vue strictement statistique, lors même qu’ils demeurent soumis à de violentes inégalités internes été externes en raison notamment de la faible masse et de l’irrégularité des revenus. L’employabilité qui impacte d’une manière ou d’une autre sur la situation de l’emploi et sur le revenu des ménages n’est pas non plus envisagé du point vue des employeurs. Du point de vue des « objectifs du sous-développement » de la communauté internationale à la satisfaction desquels s’est candidement commis notre gouvernement ces ménages auraient l’impression de bien se porter, à l’abri d’une moindre pauvreté.
Le fait est que les passe-droits, les ententes illicites, la sensibilité au gré à gré en haut lieu, la tolérance pour l’irresponsabilité sociale des employeurs ainsi que la générosité fiscale injustifiée sont toutes des pratiques qui désignent les employeurs et le patronage complice de l’Etat comme des variables qui ne cessent d’influer très négativement sur les équilibres du marché de l’emploi et du travail. En dépit de son caractère structurel cette situation est laissée intacte depuis des décennies, même si elle a grand trait à l’état social des travailleurs, tâcherons, serfs et autres sans emplois divers. Il est peut-être grand temps que l’on nous pourvoit de « statistiques démocratiques » et exactes qui ne parleront plus seulement des victimes, mais également des bourreaux ainsi que, surtout, des moyens de la reproduction de la situation de forfaiture sociale qui n’a que top longtemps prévalu.
Aboubakr TANDIA
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