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Organisation Du Pèlerinage à La Mecque : Pourquoi La Privatisation Est La Solution

Organisation Du Pèlerinage à La Mecque : Pourquoi La Privatisation Est La Solution

En matière de gestion du pèlerinage à la Mecque, l’Etat a souvent changé de fusil d’épaule. Mais toujours est-il que devant la persistance des problèmes, les éternelles questions reviennent : Faut-il tout remettre à l’Etat, maintenir le statuquo avec un quota pour le privé et un quota pour le Commissariat ou alors tout privatiser ?

Par coïncidence ou comme s’il avait lu dans la pensée du président de la République, à la veille de la nomination d’un général d’armée à la tête du Commissariat général au pèlerinage, un ami, ancien ministre, me disait ceci : « Pour réorganiser le Commissariat au Pèlerinage, il faudrait confier sa gestion à une équipe de militaires : ils sont les meilleurs managers et ont l’habitude de gérer des foules en déplacement ». Compilons toutes ces données pour en examiner les résultats.

RAPPEL

La gestion du pèlerinage à la Mecque a connu plusieurs formes d’organisations au Sénégal.

A partir de 1937 l’administration coloniale initie la formation d’un convoi semi-officiel pour accompagner les pèlerins et y associe des chefs religieux. Entre 1930 et 1940 le nombre de pèlerins enregistré a varié entre 26 et 47.

A partir de 1944, le gouverneur général désigne un délégué général de l’AOF (Afrique Occidentale Française) pour le pèlerinage.

En 1954, un Sénégalais, le commandant Amadou Fall, est nommé Commissaire du gouvernement pour le pèlerinage. Cheikh Ibrahim Niasse délégué général de l’AOF et maître Babacar Seye, délégué du Sénégal. Les pèlerins évalués à 1750 dont 602 Sénégalais devaient s’adresser aux compagnies privées ou agences de voyage agréées.

L’organisation du pèlerinage de 1960 fut marquée par une meilleure implication du gouvernement sénégalais portant sur la répartition des 1165 pèlerins entre les agences de voyages retenues et la constitution de la mission officielle d’accompagnement.

En 1961, quatre agences de voyage avaient été autorisées à convoyer 890 pèlerins recensés : la Société Sénégalaise de voyage et de tourisme, l’agence de voyage Nassar, l’agence tropicale de voyage et de Tourisme, et l’agence Nasrallah.

Le Président du Conseil, Monsieur Mamadou Dia, avait personnellement participé à ce pèlerinage pour une meilleure gestion de son organisation.

A partir de 1963 avec la nomination du Commissaire général au pèlerinage El Hadj Mass Diokhané, l’Etat prend totalement en charge l’organisation du pèlerinage.

A partir des années 90, l’Etat autorise petit à petit le retour des privés pour répondre à la demande croissante des pèlerins qui aspirent à un meilleur traitement quitte à payer plus cher.

LES TENDANCES DE 2000 à 2013

Les statistiques et les faits montrent que le Commissariat général au pèlerinage a gagné en efficacité quand le nombre de ses pèlerins a été réduit. En 2005 le nombre de pèlerins passe à 8551 dont 5051 encadrés par le commissariat et 3500 par les voyagistes privés. A partir de 2009 la tendance est inversée : sur 10.500 pèlerins, le Commissariat général en prenait en charge 4000 et le privé 6.500.

En 2013 sur 8500 pèlerins, les 2500 reviennent à la commission nationale et les reste, les 6.000, aux voyagistes privés.

La réduction progressive du quota du Commissariat général au pèlerinage, au profit des organisations privées, résulte bien d’une volonté claire de l’Etat en faveur d’une privatisation du Hajj mais les facteurs politiques ont eu tendance à la freiner. Depuis toujours, l’organisation du pèlerinage a été une aubaine pour les différents régimes pour récompenser à la fois les militants, parents, amis et religieux qui participent ou qui soutiennent l’action gouvernementale.

Pourtant ils pouvaient et peuvent encore récompenser qui ils veulent en leur octroyant des billets sans travestir le service public par une sélection inappropriée de missionnaires dont la plupart n’avait aucune connaissance du terrain.

EVALUATION DU COMMISSARIAT GENERAL ET CONTROLE DU PRIVE

Au fait, qui se charge de l’évaluation de la mission dévolue au Commissariat général au pèlerinage et du niveau de satisfaction des pèlerins qu’il a convoyés ? Les médias et l’opinion publique ? L’inspecteur général d’Etat, le ministère des Affaires étrangères ou alors le Commissaire au pèlerinage lui-même ?

* L’opinion publique à travers les médias qui relatent le déroulement du pèlerinage, a toujours été un indicateur de satisfaction qui pouvait coûter à certains commissaires leur poste et propulser d’autres à leur place avec bien sûr une dose d’aspect politico-religieux. Malgré tous ces avis et toutes ces actions, l’os résiste toujours à la cuisson et la problématique des missionnaires, d’un encadrement religieux approprié, de la restauration des pèlerins, du parcours Mouna-Arafat-Mousdalifa-Jamra-Mecque, demeure inflexible.

* Le ministère des Affaires étrangères qui est la tutelle du Commissariat général au pèlerinage gère ce volet par l’entremise d’un chef du Bureau Pèlerinage qui souvent a cumulé cette fonction avec celle de chef de cabinet du ministre. Le volume de travail de cette dernière fonction peut-il s’accommoder avec l’immensité des tâches qu’appelle la supervision du Commissariat général au pèlerinage ?

* L’Inspection générale de l’Etat, qui supervise le Hajj pour le compte de la Présidence ne prétend guère déployer une équipe en grand nombre pour mettre les pieds partout afin de dénicher à temps toutes les zones d’ombre dans la chaîne complexe du pèlerinage. Elle produit des rapports qui risquent de dormir longtemps dans les tiroirs de la Présidence, malgré la pertinence de leur conclusion, faute aux enjeux politiques et religieux d’une telle décision.

* Le Commissariat général peut-il s’auto-évaluer et en tirer les conclusions objectivement ? Quant au management du Hajj par l’armée, la contrainte principale se trouve dans le contraste entre les deux milieux: un Général d’armée déroule sa stratégie à travers un commandement dans un environnement de disciple totale et de ressources humaines préparées et prêtes à l’exécution. Reproduire les mêmes méthodes dans un milieu contraire, hétéroclite, non formé et surtout spirituel, risque d’être un coup d’épée dans l’eau.

LA CRAINTE DES ABUS DE CERTAINS PRIVES

Des contre-exemples, il y en a dans toutes les corporations. Si la portée de leur degré de nuisance diffère d’un milieu à un autre, c’est parce que les uns les neutralisent tandis que les autres leur laissent libre cours.

La crainte de leurs agissements au détriment des pèlerins ne peut être une raison suffisante pour l’Etat de garder le statuquo et demeurer dans le cercle vicieux d’un système qui garde jalousement ses tares malgré toutes les tentatives de réformes. Au contraire, il faut sortir de ce cercle et trouver une nouvelle voie plus sécurisante. En vérité, l’expérience a montré que tous ceux qui aspirent à effectuer un pèlerinage dans des conditions plus acceptables tant sur le logement, le suivi que l’encadrement religieux, ont montré leur préférence pour le privé. C’est la progression de ce phénomène qui justifie en grande partie le fait qu’aujourd’hui 70% des pèlerins soient convoyés par le privé. Si des personnes ou des structures satellitaires mal intentionnées, si minime soit leur nombre, se sont engouffrées dedans et portent atteinte à la bonne marche, c’est qu’elles ont su exploiter les failles du système. Elles se sont rendu compte que le Commissariat général au pèlerinage, plutôt préoccupé par la gestion de son quota de pèlerins, n’avait pas pour priorité, encore moins le temps d’un contrôle systématique sur tous les acteurs du processus du Pèlerinage.

Des problèmes avec des privés ou encore ceux qui se font passer pour tels, causant des préjudices aux pèlerins, le Sénégal en a connu. Mais la raison fondamentale est que l’Etat s’est toujours positionné en aval pour constater les dégâts et chercher à sanctionner les fautifs après coup. Or, la solution aurait été de mettre en place un système à même d’empêcher tout mal intentionné d’agir du début à la fin.

Dans leur majorité, les organisateurs privés du pèlerinage à la Mecque ont suffisamment prouvé leur aptitude à prendre en charge convenablement l’organisation du Hajj en fonction des quotas jusqu’ici alloués. Ils ont réussi à détourner de la mission nationale tous ceux qui aspirent à un Hajj qualitatif.

LA SOLUTION

Ce qui a toujours fait défaut, c’est un organisme de suivi, de surveillance, de contrôle de toutes les étapes et de toutes les composantes du processus du pèlerinage. Imaginez un Commissaire de police et son équipe, chargés de la circulation, s’impliquant au premier plan dans le transport en commun des passagers! Si ce n’est pas absurde comme cas de figure, c’est à coup sur une équation qu’aucun génie ne parviendra à résoudre en obtenant à la fois une circulation fluide et des passagers satisfaits.

La seule façon de corriger cette distorsion, réside dans la gestion privée du pèlerinage sur la base d’une feuille de route ou cahier de charges définie par l’Etat à travers le Commissariat général désormais hors de la mêlée et élevé au rang de superviseur officiel du Pèlerinage.

Le Commissariat général au pèlerinage représentant l’Etat, devenu plus autonome, se contenterait de la supervision des agences privées avec des quotas limités entre cent et trois cents pèlerins par voyagiste ou regroupement de voyagistes. Garant du transport aérien donc du respect des heures de vols et régulateur du prix du billet, il défendrait sans distinction les intérêts de tous les pèlerins auprès de l’Etat saoudiens notamment pour le respect des contrats de logement, de transport et la fin du calvaire de la restauration. Une équipe de missionnaires aguerris chargés de contrôler le travail des voyagistes et le niveau de satisfaction des pèlerins serait sous la responsabilité du Commissaire général ainsi que les services communs tels que les missions médicales et administratives. Ceci éviterait le phénomène si connu des missionnaires-pèlerins qui échappent aujourd’hui à la vigilance du Commissariat.

Les meilleurs voyagistes du privé seraient motivés par une subvention, des primes ou une augmentation de quota là où les contrevenants seraient sanctionnés par une peine financière, la réduction du quota ou la radiation. La gestion deviendrait plus souple, l’encadrement mieux maîtrisé, le budget de l’Etat réduit, le coût moins important, les pèlerins mieux assistés et le résultat plus probant.

Privatiser le pèlerinage ne signifie nullement que l’Etat ne mettra plus aucun sou pour la participation de ses ressortissants dans le plus grand rassemblement annuel du monde. Il ne signifie pas non plus qu’il va s’en laver les mains et exposer les pèlerins au bon vouloir des organisateurs privés. Ce sera l’occasion de rationnaliser le budget d’un milliard qui n’est pas ressenti de la même matière selon que l’on est convoyé par le privé ou le commissariat. Avec la privatisation du pèlerinage, l’Etat va simplement se départir de ce qu’il faisait mal et de ce qui n’était pas son rôle pour se consacrer désormais à sa véritable fonction de manager général.

CONCLUSION

Après plusieurs pèlerinages à la Mecque, votre serviteur a senti la nécessité d’apporter sa pierre à cet édifice noble afin d’aider à redresser la barre à travers des articles dans la presse écrite et en ligne (blog : www.xalimablog.com/cheikhbambadioum http://bambadioum.seneweb.com/), puis par la création d’un G.I.E YOONU MAAKA et enfin par la production d’un ouvrage sur le Hajj à paraître pour bientôt inchalla.

Ces précisions sont apportées pour dire à ceux qui seraient tentés de penser que ce ne sont que les hommes d’affaires qui défendent la privatisation, qu’au contraire, il ne s’agit là que de patriotes qui ne font que dire leur intime conviction pour le grand bien de la nation. Nous savons que le syndrome de privatisation de certaines de nos sociétés nationales cédées à des étrangers peut provoquer toute sorte de supputations et de méfiance, mais celui qui veut faire le meilleur choix doit éliminer les amalgames, les préjugés et tendre vers l’objectivisme.

En résumé, avant 1960, ce sont les privés étrangers qui ont géré le pèlerinage avec une représentation officielle de l’administration coloniale mais sans un véritable service continu de suivi et d’appui aux pèlerins.

A partir des indépendances jusqu’aux années 80, l’Etat à géré cahincaha tout seul le pèlerinage.

De décembre 1992 à aujourd’hui, il y a eu la présence mixte du Commissariat et des voyagistes privés nationaux.

En conclusion, nous disons que le gouvernement qui réussira le mieux l’organisation du pèlerinage, sera certainement celui qui osera rompre d’avec les systèmes classiques qui, 54 ans durant, n’ont pas permis de voir le bout du tunnel, pour se tourner vers celui qui reste la seule alternative : la privatisation.

 

Cheikh Bamba DIOUM

bambadioum@yahoo.fr

*Cette contribution est extraite du livre à paraître : « Les Chemins du Hajj » par le même auteur.

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