« Que chacun dans la loi cherche en paix la lumière ; mais la loi de l’Etat est toujours la première. Je pense en citoyen, j’agis en empereur ; je hais le fanatique et le persécuteur » (Voltaire)
1. Dans le microcosme politique, la préparation, des élections locales du mois de juin 2014, a bien commencé, avec le débat autour de l’établissement et, de la publication de la liste très controversée de la commune de Touba. Selon nous, les nombreuses interrogations et, inquiétudes autour de cette liste, nullement paritaire, révèlent simplement, les faiblesses et, l’impuissance du pouvoir politique, face au pouvoir spirituel (musulman), avide d’étendre ses prérogatives. Et, la déclaration du Ministre de l’intérieur (Abdoulaye Daouda Diallo), selon laquelle « la liste de Touba ne gêne pas les acteurs politiques », confirme non seulement cet état de fait, mais elle est très inquiétante, dans l’affirmation de l’autorité de l’Etat.
2. Portant singulièrement atteinte aux fondements de la République, l’acte posé par le forcing de Touba, avec la complicité bienveillante de l’exécutif, nous révulse foncièrement. Ainsi, l’exception, acceptée et avalisée par l’Etat, pour cette liste, constitue au mépris de toute légalité, un sérieux et, un dangereux précédent dans le fonctionnement des institutions de la République, qu’il sera difficile de corriger. Parce que, la puissance publique, a pour devoir de faire respecter l’application ou, l’applicabilité de la loi sur tout le territoire national. Pourtant, nous pouvons constater que, son attitude équivaut à une soumission, voire, une abdication, face au diktat implicite « de citoyens comme les autres », selon une formule du Chef de l’Etat Macky Sall.
3. A notre avis, l’affaire de la liste de Touba est spécifiquement politique (au sens de direction, d’administration et de gestion de la cité), et juridique (au sens de respect, d’application et, de prééminence de la loi), et point religieux (au sens de foi, de croyance religieuse, d’appartenance ou, de pratique). De plus, la recherche du suffrage des électeurs, dans le cadre d’un processus démocratique, pour les représenter dans une instance, de surcroit publique (Assemblée nationale, Mairie, Région…), est par essence une démarche purement politique. En conséquence, ceux qui véhiculent ou, défendent la thèse « oulématique », tendraient subtilement à nous enfermer, dans le piège d’une certaine panégyrie confrérique. Tout comme, ils chercheraient, à corrompre nos consciences, en voulant nous empêcher de contester, de dénoncer, ou de critiquer, voire de débattre de la véritable question de fond, à savoir, l’application sans exception de la loi républicaine dans tout le pays.
4. L’argument selon lequel la commune de Touba bénéficierait d’un statut, éminemment spécifique, n’est nullement recevable juridiquement, étant donné qu’il ne relève d’aucun texte. D’ailleurs, un tel avantage particulier, serait contraire au dernier alinéa de l’article 7 de notre constitution qui prévoit qu’il n’y a au Sénégal « ni sujet, ni privilège de lieu de naissance, de personne ou de famille », mais encore, aux dispositions « préambulaires », notamment, celle qui énonce que « (…) les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale ».
5. L’article premier, de la loi n° 2010-11 du 28 mai 2010 ; instituant la parité, dispose « la parité absolue homme-femme est instituée au Sénégal dans toutes les institutions totalement ou partiellement électives ». Et selon les alinéas 1 et 3 de l’article 2 de cette même loi « les listes de candidatures sont alternativement composées de personnes des deux sexes ». Mais encore « les listes de candidatures doivent être conformes aux dispositions ci-dessus sous peine d’irrecevabilité ». De ce qui vient d’être formulé, il convient de rappeler, que la loi sur la parité absolue n’est que l’affirmation pratique des dispositions de l’alinéa 5, de l’article 7 de la constitution affirmant que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ».
6. La loi sur la parité absolue se suffit à elle-même, par sa clarté, toutefois, pour plus d’intelligibilité nous relevons. D’une part, l’adjectif qualificatif « absolue » employé dans l’alinéa 1, de l’article premier de cette loi n’est pas neutre et équivaut, à une application sans limite et sans entrave, des règles formulées par ce texte. D’autre part, est qualifié d’irrecevable un acte qui ne remplit pas les conditions posées par une loi, ce qui implique qu’il (l’acte) doit faire l’objet d’un rejet, sans examen au fond. D’où, en validant par l’inaction la liste de Touba, l’exécutif introduit un précédent extrêmement préoccupant.
7. Ainsi, cette loi en prescrivant la parité homme/femme, comme condition essentielle à remplir par toute liste, et en qualifiant d’irrecevables celles qui ne la respectent pas, n’a nullement entendu introduire la moindre dérogation. Donc, décider que la liste de Touba malgré le fait qu’elle soit illégale, pouvait néanmoins concourir, aux prochaines élections communales, c’est non seulement contrevenir sciemment aux dispositions constitutionnelles, mais encore, c’est donner, à une simple décision administrative une autorité supérieure à celle de la loi.
8. D’ailleurs, l’irrecevabilité n’est que la résultante de ce que fixe comme objectif de corriger la loi n° 2010-11 du 28 mai 2010, à savoir la sous-représentation des femmes dans les instances décisionnaires du pays. Et cela est exprimé dans l’exposé des motifs, qui fonde son esprit, dont les principes fondateurs sont d’élimer « toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes » étant donné qu’elles (les femmes) « restent encore minoritaires parmi les élus et leur participation à la prise de décision politique est loin de correspondre à leur contribution effective à la société et à la vie politique ». Et toujours selon l’exposé des motifs, il est en pareil cas, paru nécessaire « de prendre des mesures concrètes à même de corriger rapidement cette sous représentation en assurant l’égalité absolue des candidatures des hommes et des femmes dans toutes les institutions totalement ou partiellement électives ».
9. « Là où la loi ne distingue pas, nous ne devons pas distinguer » (Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus), dit l’adage. Donc, pour l’application de la loi républicaine, et la primauté de celle-ci, sur toute considération futile, l’Etat devait se résoudre à faire respecter la loi sur la parité absolue, et engager une procédure d’irrecevabilité, contre la liste du marabout. Et, de notre point de vue, le pouvoir exécutif avait l’obligation d’enjoindre à la ville de Touba de refaire sa liste, pour répondre aux exigences légales, que d’introduire une exception. De plus, juridiquement, la participation de la liste du marabout, présentement déposée, pour les prochaines élections locales, entrainera forcément le prononcé de la nullité des dites élections dans cette ville, par la saisine du juge, puisque l’illégalité d’une telle liste ne souffre l’ombre d’un doute.
10. A notre avis, en ne faisant pas prévaloir l’autorité de l’Etat, et en s’empêtrant dans un déni de droit, le président de la République Macky Sall porte une lourde responsabilité, d’avoir cautionner cet état de fait, qui tendrait à l’affaiblissement de la puissance publique. Son attitude, dans la gestion de cette affaire est une véritable transgression, des lois et règlements du pays, vu qu’il lui revient de veiller à leurs respects et à leurs applications. Nonobstant, ce qui vient d’être exposé, dès lors que, dans un Etat de droit, le dernier mot appartient au pouvoir judiciaire « gardien des droits et libertés définis par la Constitution et la loi » (art. 91, de la constitution), gageons que, la prééminence de loi républicaine saura être rétablie, si le juge venait être saisi.
Daouda N’DIAYE
Juriste/Analyste politique (France)
* Article dédié à Ndofène FALL