En tant qu’acteurs dans le domaine de l’enseignement de la langue arabe, nous ne pouvons que saluer la décision politique de créer un baccalauréat arabe sanctionnant tout un cycle d’enseignement donné à des apprenants, en bonne et due forme. Cette décision est d’autant plus saluée de notre part que la création d’un baccalauréat arabe est le couronnement des efforts et des sacrifices consentis par toute une génération d’hommes et de femmes, depuis l’intégration de l’enseignement de l’arabe dans le système éducatif national.
En effet, enseigner une langue originaire de l’Orient lointain dans le cadre d’un système pédagogique totalement conçu pour l’apprentissage et l’assimilation d’une langue et d’une culture occidentales n’est pas une entreprise aisée. L’une des difficultés majeures que l’enseignant rencontre est la disparité des dispositions chez les apprenants eux-mêmes. Cette disparité est née de la présence ou de l’absence des conditions pré-requises. Si certains candidats proposés à l’apprentissage de l’arabe fréquentaient, dès leurs bas âges, des écoles coraniques implantées ça et là dans leurs localités d’origine, facteur pouvant bien faciliter la tâche à l’enseignant, d’autres n’ont pas eu ce privilège. C’est ainsi que les tentatives de nivellement, d’homogénéisation et d’harmonisation conduisent parfois l’acteur, en dépit de ses bonnes intentions, à des pratiques non orthodoxes du point de vue pédagogique, ou même à des attitudes anti-pédagogiques.
Le volume horaire, en deuxième lieu, a été souvent mis au banc des accusés, d’autant plus que la faiblesse des nivaux était criarde. Pour répondre aux urgences des moments, dans ce contexte de volume horaire réduit, il était nécessaire de procéder, avec une diligence relative, à l’exécution des programmes. Cette diligence nécessitait un système de communication hautement efficace entre l’enseignant et ses apprenants, un système communicatif qui répond à toutes les normes. Inutile de dire que notre système est loin d’être un lieu propice à la mise en place d’un tel système et à son bon fonctionnement. La communication adéquate est l’une des conditions sine qua none du succès dans toute entreprise pédagogique.
Il ne s’agit pas de faire ici le procès de l’enseignement de la langue arabe au sein du système, ni d’ailleurs de recenser, d’une manière exhaustive, toutes les difficultés réelles que l’on rencontre dans le champ pédagogique en question, bien que notre parcours nous le permette légitimement. Nous voulons seulement souligner avec vigueur l’importance que revêt cette volonté politique qui instaure le bac arabe avec lequel, c’est notre plus grand souhait, les écueils énumérés précédemment disparaitront d’eux-mêmes et à jamais. Dans un système d’enseignement donné, le plus gros volume horaire est naturellement alloué aux disciplines dominantes enseignées. Dans un tel traitement de faveur, avec la création du baccalauréat arabe, c’est l’enseignement de l’arabe qui gagne de toute évidence.
Le processus ne s’arrête pas là. Il faudra aller au-delà d’une simple maîtrise de la langue, d’une assimilation des valeurs et de la culture que la langue véhicule. Il ne s’agit pas seulement de maîtriser une langue, à l’occurrence l’arabe. Il faut au préalable préparer le terrain pour une véritable insertion professionnelle des futurs diplômés, et mettre sur pied des structures d’accueil pour les arabisants sortis de ces écoles et créer des structures de formation adéquates sans solution de continuité. Le processus salutaire repose ainsi sur l’indépendance et l’émancipation du système à l’égard des contingences spatio-temporelles. Créer aujourd’hui un cycle d’apprentissage sanctionné d’un diplôme, parce que les circonstances du moment l’auraient exigé, et demain laisser le vent l’emporter, n’est nullement faire preuve d’efficacité et de cohérence dans l’action politique et sociale. Un processus interrompu, notamment celui d’une formation en cours peut regorger de conséquences dangereuses. Un cycle secondaire arabisant à l’instar de celui qui vient de voir le jour, une fois enclenché doit nécessairement aboutir et être mené à son terme, si l’on veut éviter un échec scolaire qui peut se traduire par des conséquences néfastes pouvant aller jusqu’à rendre notre existence problématique à outrance.
Seulement je voudrais mettre l’accent ici sur deux aspects d’un échec éventuel du processus cyclique qui aboutit à l’obtention d’un baccalauréat arabe national. Je ne le fais pas pour dissuader les décideurs ou les décourager. Ce serait contradictoire de ma part que de défendre une cause noble et juste depuis le début de ma carrière, et œuvrer au même moment à la ruiner. Notre espoir est que le processus, une fois entamé, il faut tout mettre en œuvre pour ne pas l’interrompre.
Le premier aspect est lié au contenu du programme enseigné. On le sait, le contenu d’un programme d’enseignement véhicule un système de valeurs. Il est par conséquent salutaire de procéder à son évaluation objective et à son adaptation continuelle au système philosophique et moral prioritaire de la nation. Dans la majorité des cas, l’apprentissage de la langue arabe ne se limite pas aux seules études linguistiques formelles. L’enseignement religieux y est fortement impliqué. C’est ici que nous attirons l’œil vigilent des décideurs. En effet il est fort possible d’inculquer avec efficacité des valeurs religieuses cardinales, mais hautement humanistes, à travers une méthode pédagogique adéquate, tout en bannissant les antivaleurs suicidaires que ne cessent de véhiculer les courants fondamentalistes et extrémistes. Seule une évaluation critique et objective doublée d’un réaménagement continuel du contenu des enseignements donnés permet
l’évitement des conséquences déplorables.
L’autre aspect qui me préoccupe en tant qu’acteur dans le champ de l’enseignement de l’arabe est celui de la finalité. On ne le dira jamais assez : c’est tout au début du processus qu’il a fallu poser la question de la finalité et celle des objectifs fixés pour tout le système éducatif et y répondre en toute clairvoyance. La formulation adéquate de la question de la finalité de l’enseignement de l’arabe et l’identification des réponses idoines permettent d’éviter de vivre des situations catastrophiques que, d’ailleurs, d’autres sociétés ont connues et continuent à connaitre. L’illustration qui me vient à l’esprit est celle du pays du FIS (Front Islamique du Salut). A la genèse de la question algérienne, l’auteur de ces lignes était témoin des faits. L’autorité centrale d’alors dans le pays du FIS, avait misé sur une arabisation intense et tous azimuts de la vie culturelle nationale. L’objectif visé était l’ancrage de la société locale dans l’orbite du monde arabe. C’est dans cette effervescence que des élèves d’écoles coraniques sont acheminés des confins et des zones du désert, afin d’être intégrés dans un système éducatif qui n’était pas fait pour eux. Les enseignants recrutés à l’époque étaient des diplômés de la célèbre université égyptienne d’El-Azhar au Caire. Certains d’entre les enseignants nourrissaient des tendances intégristes et jihadistes. Je parle en parfaite connaissance de cause pour avoir assisté aux cours qu’ils dispensaient. Au lieu de former des arabisants authentiques au service exclusif de la culture arabe et à sa promotion, les azhariens formaient en cachette de futurs jihadistes, des contingents frais émoulus du FIS naissant, prêts à détruire leur propre patrie pour une cause fondamentaliste déterminée et définie en sol étranger. C’est en cours de processus qu’un arrêt subitement décidé par l’autorité politique
centrale avisée certes, mais trop tard, met brusquement fin à tout un vaste système d’enseignement originel. Ce boulet a fait un nombre incalculable de victimes. Ici je peux dire que le rédacteur de ces lignes est l’un des rescapés de ce naufrage collectif. Ces naufragés ont grossi les rangs du FIS. En effet, tous les élèves qui suivaient les cours de l’enseignement originel se trouvèrent renvoyés de nouveau aux confins du désert pour être autre chose que des technocrates habilités à prendre part au partage du gâteau. La déception s’affichait sur tous les fronts. L’unique débouchée qui s’est offerte aux exclus du système fut l’exercice de la violence contre le système politique en place qui a réduit au néant les espoirs de toute une génération. C’est ainsi que le FIS s’est érigé sur les ruines et les décombres du système de l’enseignement originel.
Que faire pour éviter l’apparition d’une crise semblable ? Voila l’exigence du moment. Elle est très simple. La réponse à cette exigence est loin d’être moins simple. Elle consiste à procéder à un remodelage du contenu d’un enseignement arabo-islamique adéquatement choisi, afin de l’adapter à nos valeurs éthiques et humanistes réelles, et non à des valeurs importées, assurer la continuité des structures mises en œuvre pour le fonctionnement correct d’un tel système éducatif, et créer des débouchées en rapport avec les aptitudes des diplômés sortis du système en question.
Le baccalauréat arabe ne se réduit nullement à la seule obtention d’un parchemin. Il y a plus. Un plus qui se traduit par deux possibilités. D’abord celle de mener à terme des études supérieures dans des établissements universitaires prêts à l’accueil du diplômé, et ensuite la possibilité qui consiste à lui ouvrir les portes de l’insertion professionnelle. L’obtention du baccalauréat arabe n’est qu’une phase transitoire. Il est impératif d’aller bien au-delà. A défaut de transcender les étapes transitoires, un monstre peut surgir là où l’on attendait la naissance d’un Educateur, d’un Guide de l’Humanité.
La création des conditions favorables à la naissance et à la germination d’un FIS à la couleur locale, dont le but avoué et/ou inavoué est de gagner la sympathie d’une frange de l’intelligentzia locale, sans aucun souci des conséquences fatales d’une telle désinvolture, est une abomination cruelle. Il ne faut jamais laisser le machiavélisme politique conduire les décideurs à poser des actes si suicidaires.
Babacar Diop