Le Sénégal ne peut émerger tant que l’environnement des affaires sera morose. L’investissement privé ne peut prospérer avec un cadre juridique, fiscal et administratif teinté d’incertitudes repoussantes. Les initiatives de réformes au sommet dans la singularisation des entités ne seront que d’un impact négligeable. L’efficacité requise pour encourager les initiatives privées et renforcer l’attractivité des territoires ne pourront être au rendez-vous dans le confort suffisant et condescendant de nombreux agents des services publics.
L’initiative par l’activité économique, vecteur d’émergence, ne peut se développer avec des institutions financières voraces traitant les entrepreneurs du haut de leur formalisme désuet et de leur frilosité coupable. Les réformes entreprises n’apporteront que de piètres résultats sans effort d’information des publics, de communication au niveau institutionnel, d’éducation des agents et d’incitation des acteurs économiques, de contrôle et de suivi dans la mise en œuvre. Les meilleures réformes n’auront que peu d’impacts si les réels concernés n’en savent rien ou éprouvent les pires difficultés s’ils essayent de s’informer afin de se les approprier.
Toutes ces considérations, de toute évidence, sont un secret de polichinelle. Elles postulent une seule exigence, l’urgence d’agir pour la mise en œuvre de réformes vigoureuses pour un environnement des affaires saint, lisible et favorable à la prise de risques. L’imprévisibilité économique fait que la gestion du risque d’entreprendre est tellement précaire au Sénégal que, se retrouvant sans protection, sans accompagnement, l’image parfois ternie à jamais, l’entrepreneur est livré à lui-même, à son drame personnel et parfois familial.
Autant la question de la prévisibilité du risque pour la sécurité de l’investisseur est un défi, autant celle de l’emploi est un défi majeur pour le gouvernement actuel. L’Etat, ne pouvant isolément en offrir en quantité suffisante, doit davantage promouvoir des initiatives pour construire la confiance qui développe l’initiatique économique génératrice d’emplois et de richesses.
Des réformes sont en cours, en l’occurrence le PREAC (Programme de Réforme pour l’Amélioration de l’Environnement des Affaires). Suivant leurs axes stratégiques et leurs mesures prioritaires, elles paraissent abonder dans le bon sens et vont sans doute devoir s’accélérer et se renforcer pour favoriser l’assainissement de l’environnement des affaires à l’horizon 2015. Néanmoins, il convient d’identifier les perspectives, sans lesquelles, celles-ci resteront lettres mortes ou serviront uniquement de faire valoir pour appâter les partenaires extérieurs au développement. Il s’agit de :
Promouvoir la logique d’actions transversales
Le dédoublement ainsi que la singularisation dominant chez les différents acteurs du public traduisent une logique de gestion sectorielle. C’est la confusion entre l’être et la raison d’être qui crée une vaine résistance obstruant les efforts de mutualisation au niveau des doublons impertinents. Il est nécessaire de sortir chaque acteur important du confort de sa singularisation et de le mettre dans une logique d’actions transversales sans lesquelles il sera difficile de produire les résultats escomptés.
Promouvoir une telle logique permet d’assurer la convergence des actions pour un partenariat stratégique renforcé entre acteurs au bénéfice de tous. A ce titre, l’exigence de cohérence voudrait résolument, avec la mise en place à côté de l’APIX de deux entités supplémentaires, à savoir le MPIP (Ministère de la Promotion des Investissements et des Partenariats) ainsi que du BOSSE (Bureau Opérationnel de Suivi du Plan Sénégal Emergent), une institutionnalisation de leur collaboration avec une claire définition d’un cadre d’impulsion et de coordination.
Notre seul problème est celui de l’organisation et de la mutualisation des entités existantes afin de les rendre plus opératoires. D’où l’enjeu de la transversalité.
Fixer le cadre d’impulsion et de coordination
La transversalité et la complémentarité des actions requièrent la définition d’un échelon pertinent pour réussir les dynamiques d’unité au service de l’initiative économique, de l’emploi et du développement territoriale. Pour ce faire, il faudrait évidemment œuvrer en vue de casser les logiques de pouvoirs parcellaires pour une logique de fédération des énergies. Un seul impératif, co-construire des réponses adaptées en vue de produire les résultats désirés.
Pour ce faire, un leadership doit être défini à l’image du guichet unique de l’APIX, une innovation majeure, pour la facilitation des procédures administratives.
En effet, sans leadership il sera difficile d’impulser les initiatives nécessaires à l’implication des différents acteurs, à l’échange d’informations rendant plus efficace l’allocation des ressources, à la collaboration à travers des mécanismes pérennes et au renforcement de la coordination. C’est le leadership acté qui permet d’institutionnaliser l’action collective et de rendre lisibles les stratégies et mesures de gouvernance.
S’orienter vers un guichet unique
«Les composantes de la société ne sont pas les êtres humains, mais les relations qui existent entre eux.» dit l’historien Arnold Toynbee. Dans un monde de réseaux et en réseau, l’essentiel est dans l’économie relationnelle. La dynamisation du flux d’échanges permet de rendre les initiatives interopérables et de susciter, à travers le réseau, des alliances entrepreneuriales au service de l’initiative.
A ce propos, le guichet unique offre un repère et un interlocuteur à l’investisseur. C’est donc à partir d’un point de repère, qu’il convient d’organiser le flux d’échanges par la mise en réseau et la mutualisation des énergies rendant possible la convergence des actions pour un service public apportant des résultats plus satisfaisants.
Promouvoir le volontariat, la capacitation et l’insertion à l’échelle locale
Le territoire est de plus en plus le lieu de définition des problèmes publics. Partir des initiatives locales nous parait donc une échelle pertinente dans la recherche de solutions. A ce niveau, la valorisation des compétences acquises dans un cadre non-formel et associatif est une étape pour l’intégration à la vie socio-économique et de participation au dynamisme du territoire.
Une bonne perspective serait de restructurer et de redynamiser les associations sportives et cultures (ASC) vidées aujourd’hui de leurs substances et d’en faire des espaces d’accueil servant de prétexte à accompagner les publics de jeunes en rupture vers des parcours de réussite socio-professionnelle. Dès lors, les ASC deviendront de moins en moins le lieu où la jeunesse perd son temps et son âme. Elles seront plutôt des lieux pour susciter des vocations, détecter des talents et développer de nouvelles pratiques dans le sens d’accompagner, d’émanciper et d’insérer. Plus globalement, les associations sont des relais formidables pour engager et promouvoir l’initiative par l’activité économique et culturelle.
Il s’agit, en combinant l’action publique-privée à l’échelle locale, de construire une chaine de valeurs d’utilité et d’impact socio-professionnels : valorisation-capacitation-insertion. Dès lors, à travers des projets individuels ou collectifs simples et innovants orientés vers les emplois sur la matière (agriculture, pêche, élevage, etc.) ou sur la culture, ces jeunes peuvent bénéficier d’un accueil et d’une orientation menant au succès. Un axe à méditer : fixer le cap de « l’exode urbain » à travers des contrats de volontariats collectifs autour de projets agricoles.
Attaquer la problématique du chômage et de l’oisiveté autour de « la tasse de thé » en incitant vers des projets structurants donnant vie à des territoires isolés et victimes de l’exode rural. Donc renverser la tendance de la surpopulation et du désœuvrement dans les villes qui sont sources de criminalité vers une politique volontariste d’accompagnement vers la ruralité. Une perspective qui pourrait intéresser les ministères de l’agriculture, de la jeunesse, des collectivités locales et éventuellement des forces armées. Tout est dans le volontariat et la transversalité.
En résumé, savoir partir de la proximité des activités de quartier pour mettre en place des dispositifs de soutien à l’entreprenariat et aux métiers du terroir.
Appuyer l’artisanat local
Notre génie local, l’artisanat, est laissé à lui-même, parfois méprisé. Or, c’est un moteur fécond de créativité, générateur d’emploi et porteur d’images, un passage obligé pour notre émergence. Organiser, former et faire confiance est le triptyque autour duquel il est impérieux d’engager l’appui à ce secteur. La plupart de nos artisans se sont formés dans l’informel. Dès lors, il est d’intérêt public de les organiser en valorisant leurs acquis non-formels, de les former à un certain niveau de standard afin de les rendre plus compétitifs et surtout de leur faire confiance dans la commande publique.
Prenons l’exemple de la filière de la menuiserie et du bois. Il est inconcevable de constater les énormes fonds publics engagés dans l’importation de mobiliers destinés à l’administration. Nous gaspillons l’argent du contribuable à recevoir du matériel de moins bonne qualité, en l’occurrence ‘’la poubelle’’ de Chine ou d’Europe, en lieu et place de nous engager dans la voie de valorisation de nos talents, de qualification de nos artisans, d’importation de la technologie, et surtout de renforcement d’un secteur d’activité avec possibilité d’ouvrir de sérieuses perspectives vers l’exportation.
Notre projet d’industrialisation, un impératif pour notre émergence, passe par notre savoir-faire qui ne peut pas être déconnecté de notre artisanat. Ce secteur a besoin d’une rupture sérieuse dans les politiques publiques afin de mieux contribuer à la création d’emploi, de richesses et à l’émergence de notre industrie.
Donner un sens et une puissance à la coopération locale
La coopération au niveau local n’est pas suffisamment utilisée dans la recherche des solutions à l’emploi et à la création d’activités. Nos territoires ne sont pas suffisamment dotés de ressources financières, donc ce n’est pas avec les budgets actuels et les dotations financières qu’il faut espérer les transformer. Tout est dans le génie du management territorial. Avoir la capacité d’impliquer et de faire concourir l’ensemble des acteurs économiques, culturels et scientifiques locaux à la vie du territoire. C’est là une nouvelle vision de la gouvernance territoriale permettant de renforcer les liens entre entités locales (collectivités, services déconcentrés, entreprises, universités, associations, etc.) pour co-produire des solutions répondant aux problèmes du territoire.
Les énergies et ressources pour développer le territoire sont au sein du territoire et pas ailleurs. Donc partir des ressources et compétences endogènes pour envisager le développement et rompre avec l’attitude attentiste notée chez la plupart des acteurs locaux : attendre énormément du pouvoir central ou désespérément de la coopération décentralisée. Etat, collectivités locales, entreprises privés, fondations, ENSEMBLE pour co-investir dans des projets structurants. Y’a-t-il une meilleure perspective pour l’emploi et l’émergence ?
Que ne gagneraient les collectivités en sortant les grandes écoles et universités du confort de l’élitisme vers la recherche de solutions opérationnelles pour le développement autour de partenariats stimulant la recherche-action ce, à travers la mise en place d’incubateurs ou de pépinières d’entreprises, ou encore l’orientation de certains projets de recherches et de stage au service des besoins du territoire.
Quid des entreprises dans un isolement non-citoyen ou improductif pour le territoire. Au lieu de penser d’abord à leur offrir des services de localisation physique et de les accompagner vers la consolidation de leurs activités, les collectivités et les services déconcentrés entretiennent une relation à la fois vicieuse et exécrable avec elles en les considérant comme des « vache à lait » à traire fiscalement.
Pour conclure, nous estimons qu’une bonne prise en compte de la question de l’emploi et de la création à partir de nos territoires peut constituer un important facteur de dynamisme et d’émergence. Les réformes en vue d’un environnement saint des affaires au Sénégal ne doivent pas constituer une affaire d’élites et de technocrates ayant une bonne maîtrise de leur dossier, ou encore de faire valoir pour une bonne indice au ‘’doing business’’.
Elles n’auront de sens que dans la mesure où elles seront perceptibles auprès des acteurs et des cibles, impacteront dans leur quotidien et favoriseront très sensiblement l’initiative par l’activité économique. L’enjeu est donc dans l’effort de communication, de partage, de démocratisation de l’information, de participation, de transversalité et d’institutionnalisation des actions collectives afin de produire des résultats rendant plus attractifs nos territoires et donc notre pays. Engager la bataille de l’émergence sur le front de l’emploi, une condition majeure pour le succès du projet PSE.
Saliou DRAME
saliou.drame@gmail.com
Chef d’entreprise / Spécialiste en Management Public et en Développement Territorial