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Instabilité Gouvernementale Comparée : Un Mode D’emploi Et Des Hommes

Instabilité Gouvernementale Comparée : Un Mode D’emploi Et Des Hommes

Dans ce qui suit nous tentons une comparaison verticale—une analyse dans le temps—de ce qu’il convient d’appeler l’instabilité gouvernementale qui semble caractériser le système politique sénégalais depuis les indépendances. Il y a certes des variations contenues dans la manière dont les situations sont gérées par les élites gouvernementales. Cela dit, en dépit de ces variations sur lesquels nous proposons de revenir dans un autre texte, celui-ci étant déjà assez long, il semble que les régimes successifs, les chefs d’Etat qui se sont relayés au sommet de l’Etat, ont affectionné et retransmis les mêmes reflexes et les mêmes rapports au pouvoir et à la politique. Cela en dépit de la spécificité que peut avoir chaque régime et chaque personnalité ainsi que les situations dans lesquelles ils ont du évoluer. On se rend compte en effet que l’instabilité gouvernementale traduite dans le changement et le réaménagement incessants d’équipes gouvernementales est liés aux mêmes facteurs, indifféremment du régime politique ou de l’homme fort. Il s’agit en l’occurrence des crises au sommet de l’Etat en premier lieu : incompatibilité d’humeurs, faible contrôle du Président sur son entourage, absence de consensus autour du chef de l’Etat et/ou du Parti (dominant) au pouvoir, faiblesse de la légitimité du Président ou du régime, succession politique souvent frappée de soupçons d’illégitimité ou entachée par des manœuvres électorales et constitutionnelles.

En deuxième lieu, les équipes gouvernementales sont échafaudées et remodelées sur la base d’interprétations politiciennes des performances électorales. Il apparait que très souvent un réaménagement gouvernemental est destiné à adresser des récompenses et sanctions aux membres des équipes gouvernementales.

En troisième lieu, la mise en place d’équipes gouvernementales semble subir l’influence des luttes politiques intestines au sein des appareils gouvernants, comme le parti ou la coalition au pouvoir, celle des résistances aux mesures disciplinaires induites dans la foulée des plans de rigueur imposés par les bailleurs en raison de leurs incidences sur l’entretien de la clientèle politique et la sécurité des niches de rentes des acteurs dominants du jeu politique.

Au demeurant, le facteur déterminant qui relie tous les autres entre eux est la manière dont ils sont gérés par le Pouvoir. Même si nous ne ferons que l’annoncer ici, les régimes socialiste et libéraux n’ont pas réagi de la même manière, bien que se recoupant quelques parts, à la remise en cause du principe de la distribution néopatrimonial du pouvoir par les changements sociopolitiques auxquels ils devaient faire face. Si certaines de leurs réponses paraissaient être les mêmes à bien des égards, elles n’ont pas eu les mêmes effets en raison de quelques spécificités tenant aux situations de chacun.

Instabilité gouvernementale : un « génie » bien sénégalais

Le Sénégal a connu six (6) Premiers Ministres (PM) de 1957 à 2000, soit en quarante trois (43) ans, contre neuf (9) entre 2000 et 2014, soit en quatorze (14) ans. L’écart est pour le moins abyssal. Il faut signaler qu’entre 1963 et 1970 le poste de PM avait été supprimé, de même que pendant l’intermède allant de 1983 à 1991. Cette suppression s’expliquait en partie par les crises au sommet de l’Etat respectivement entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia (décembre 1962) et entre les ténors du Parti Socialiste dont les conflits survivront même au congrès de 1996 pour déliter le parti en 1998 et lui faire perdre le pouvoir en 2000. En raison de la gravité des crises qui sévissaient au sommet de l’Etat, d’aucuns appréhendaient de nouvelles suppressions du poste après les séparations entre le Président Wade et ses PMs d’alors, en l’occurrence Moustapha Niasse en 2001 et Idrissa Seck en 2004. Ce n’est qu’en 2011 que le Président Wade aurait pensé à une suppression avec la proposition de la loi sur le ticket présidentiel qui aurait été motivée par son plan de succession au pouvoir au profit de son fils Karim Wade.

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Pour les mêmes périodes, notre pays a connu trente (30) gouvernements sous les socialistes, soit une moyenne de 1,43 gouvernement par an, contre dix (10) gouvernements sous les libéraux, soit une moyenne anormalement quasi-égale de 1,40 gouvernement par an.

De treize ministres en 1957 on est passé à vingt huit en 2000 et à trente trois en 2014. Même s’il y a eu de très rares records entre ces dates, avec tout de même des résultats politiques et institutionnels plus importants, il reste que la hausse incrémentale du nombre de membres du gouvernement est allée de pair avec l’intensité de l’instabilité gouvernementale. Une chose qui est loin de se traduire proportionnellement dans les réalisations des régimes les plus permissifs en matière de pléthore ministérielle. Il faut noter en outre l’apparition de plus en plus de profils et de départements ministériels très peu justifiables au vu de l’opportunité et de la légitimité des répartitions ou découpages fonctionnels de l’activité gouvernementale, mais surtout au regard des défis et des urgences auxquels ils sont censés apporter des solutions durables.

Sous les socialistes, le gouvernement du Sénégal a souvent travaillé avec la planification et la centralisation du travail de coordination administrative en se limitant à des postes de secrétariats et de conseillers très limités et logés à la Présidence (Secrétaire Général, Secrétaire d’Etat, Ministre délègue auprès du Président, comme avec le premier gouvernement de 1968 ). Hormis les deux exceptions majeures de 1998 où le gouvernement dit « sénégalais », sans PM, comptait cinq (5) ministres délégués, et celui de 1995 lorsque la constitution du gouvernement de transition dirigé par Habib Thiam—lequel accédait pour la deuxième fois à ce poste après 1981—devait traduire l’esprit et les accords politiques issus du processus du Code électoral consensuel de 1992, piloté à l’époque par feu le juge Kéba Mbaye, afin de mettre fin à la crise politique qui opposait, d’une part, un Pouvoir fragilisé par les luttes internes et les mesures de libéralisations imposés par la seconde phase des programmes d’ajustements structurels (Consensus de Washington) et, de l’autre, une Opposition de plus en plus radicalisée dirigée par Me Abdoulaye Wade qui avait réussi à rallier la quasi-totalité des masses urbaines à son slogan du Sopi.

Longévité et volatilité : Socialistes vs. Libéraux

Depuis 1957 la moyenne de longévité d’un gouvernement sénégalais est de seize (16) mois soit 1,4 an. Un chiffre d’autant plus alarmant et presque incompréhensible que notre pays se targue d’être l’une des rares démocraties en Afrique et prétend à la nouvelle utopie développementale : l’émergence économique. Si l’émergence est un mouvement historique, comme tout mouvement, il requiert une certaine cohérence et une relative stabilité dans la trajectoire des corps (étatiques) qui veulent s’y mouvoir.

Les records de longévité des gouvernements avec des PMs ont été battus par le régime d’Abdou Diouf, avec une moyenne de trente six (36) mois, soit deux (2) années, par gouvernement. Le régime de Wade vient en deuxième position avec vingt (20) mois, soit 1,8 an, devant celui de Senghor avec 11,1 mois soit 0,1 an. Le régime de Macky Sall vient en quatrième position avec une moyenne de longévité des gouvernements de neuf (9) mois, soit 0,9 année. Ce taux en valeur relative pourrait s’avérer moins grave que celui de son prédécesseur si l’on considère que le régime de Sall n’est vieux que de deux petites années, soit vingt et huit (28) mois.

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Rares ont été les gouvernements ayant dépassé de loin la moyenne générale. Il s’agit des gouvernements d’Habib Thiam II (du 29 avril 1991 au 15 mars 1995), Habib Thiam III (du 15 mars 1995 au 3 juillet 1998), soit entre quatre et cinq années de longévité. Il faut noter qu’ils ont tous vécus sous le régime du Président Abdou Diouf, lequel était paradoxalement très éprouvé par les luttes intestines et les injonctions des bailleurs internationaux. Ces mêmes gouvernements ont eu les taux de longévité les plus élevés. Le Premier Ministre ayant demeuré à son poste le plus longtemps possible fut l’ancien Président Abdou Diouf, soit onze (11) années au poste de 1970 à 1981.

Sur la base des données auxquelles nous avons pu avoir accès, le gouvernement de Souleymane Ndèné Ndiaye (du 01 Mai 2009 au 02 Avril 2012) et celui de Macky Sall I (du 23 novembre 2006 au 19 juin 2007) battent les records de longévité sous le régime de Wade. Les records de volatilité (les plus éphémères) sous le régime des socialistes sont battus par les gouvernements de Moustapha Niasse I (du 3 avril 1983 au 29 avril 1983) avec vingt et six (26) jours, des années 1963 et 1970 avant les suppressions du Poste de PM, avec des durées de trois (3) et quatre (4) mois respectivement. Sous le régime de Wade, les gouvernements les plus volatiles ont été ceux de Moustapha Niasse II et de Macky Sall II (du 21 avril 2004 au 23 novembre 2006) avec respectivement onze (11) et huit (8) mois. Le gouvernement d’Aminata Touré bat le record de volatilité sous le régime de Macky Sall avec dix (10) mois contre dix sept (17) mois pour Abdoul Mbaye.

Longévité et volatilité : tentatives d’explication

Il semble que les gouvernements les plus éphémères sont ceux qui sont constitués avant ou après des consultations électorales, élections ou referendum. Dans le premier cas le but du réaménagement gouvernemental est de calmer le jeu politique au sein et entre les partis avec des gouvernements de consensus. Ce fut le cas des gouvernements du 19 décembre 1962 après la crise Dia-Senghor, celui de trois (3) mois du 9 juin 1968, celui de Habib Thiam I (janvier 1981 au 3 avril 1983), et celui de Moustapha Niasse II (du 3 avril 2000 au 3 mars 2001) constitué suite au referendum de janvier 2001.

Dans le second cas, le but semble être de récompenser les alliances victorieuses et les individualités ayant fait la différence dans les compétions électorales, mais aussi de sanctionner les contre-performances du personnel politique. Il s’agit par exemple des gouvernements du 27 décembre 1958, du 9 décembre 1963, celui du 6 juin 1968 (cinq mois seulement), celui de Moustapha Niasse I (du 3 avril 1983 au 29 avril 1983) qui avait d’ailleurs été suivi de la suppression du poste de PM en 1983. Il semble que ce gouvernement de 26 jours de longévité était également destiné à répondre à une crise de légitimité politique au sein du parti et du Pouvoir. Le jeune Président Abdou Diouf faisait face à de fortes contestations au sein de la vieille garde senghorienne.

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En effet, les gouvernements constitués comme des réponses à des crises au sommet de l’Etat ne donnent pas non plus l’impression de pouvoir perdurer. Le Gouvernement d’Abdoul Mbaye n’a vécu que dix sept (17) mois, comparé à la moyenne générale de trente et six (36) mois. Même s’il fut le plus long du régime de Macky Sall. Il a finalement été englouti dans la mélasse laissée par la crise entre le PM et l’entourage du Président, si ce n’est le Président lui-même. Le gouvernement du 6 juin 1968 semble également entrer dan cette catégorie de réaménagement d’urgence si l’ont tient compte du contexte de la crise de Mai 1968 qui avait amené le régime de Senghor à imposer le couvre-feu. Il faut reconnaitre qu’il s’agit là d’une crise politique majeure qui, même si elle mettait en cause le sommet de l’Etat, avait beaucoup de dimensions, allant jusqu’à l’influence de la révolution culturelle mondiale de l’époque. Le gouvernement d’Habib Thiam I ressemble également beaucoup à une volonté du chef de l’Etat de l’époque de résoudre la crise politique née du contentieux électoral de 1988 entre l’Opposition et le Pouvoir. Le rétablissement du Poste de PM semblait représenter une manière pour le chef de l’Etat de décentraliser le pouvoir afin de rassurer l’Opposition avant les élections de 1993. Ce que le Président Diouf refusait de voir comme un gouvernement de transition, pour ne pas ressembler à ses pairs du Benin, du Mali, du Togo et de la Cote d’ivoire en difficultés, était à bien des égards destiné à décrisper le climat politique et à amortir la radicalisation de l’Opposition de l’époque amenée par Abdoulaye Wade.

Le gouvernement d’Aminata Touré passe pour une exception à la règle car n’étant né ni avant ni après une joute électorale. Cependant, il rentre dans la catégorie des gouvernements érigés à la suite des crises au sommet de l’Etat, en l’occurrence la crise de compatibilité d’humeur entre les personnalités du PM et du Président mais aussi en raison des conflits d’intérêts et de positionnement au sein de l’entourage du Président de la République. Visiblement, ce Gouvernement n’a pas résolu les problèmes issus de la cohabitation du parti du chef de l’Etat avec la coalition victorieuse de 2012. Il ne semble pas non plus avoir réussi à contenter les caciques de l’entourage du Président ni renforcé sa légitimité aussi bien celle politique de régulateur premier du parti, que celle démocratique liée à l’efficacité de l’action gouvernementale. Et le gouvernement fraichement constitué de Mouhamed Dionne semble beaucoup plus destiné à tirer les conséquences des dernières élections locales pour le compte du parti plutôt qu’à régler la question de la légitimité ultime, la seule qui vaille, celle de répondre convenablement aux attentes des électeurs.

 

Aboubakr Tandia

Aboubakr TANDIA

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