Les tâtonnements médiatiques récurrents au sommet de l’État traduisent des carences communicationnelles, et surtout les difficultés d’une autorité politique qui a du mal à définir et à développer sa vision et sa voie pour satisfaire les besoins des populations. L’une des options prises par le régime actuel a été dès le départ de s’entourer des voix les plus en vue sur le champ médiatique. Une stratégie politicienne calculée pour avoir un discours régulé et orienté, en somme une face ‘’lisse’’ de la société. Elle jette cependant un discrédit sur une grande partie des pseudo-intellectuels et de la classe politique à la réputation déjà fortement entachée.
En effet, il est légitime de se demander si une partie de la presse et certains de leurs experts sont devenus propagandistes ou défenseurs d’un certain ordre temporaire ? La tendance vers laquelle se dirigent des professionnels de l’information est inquiétante au Sénégal mais aussi ailleurs dans le monde. Certains journalistes, naguère réputés pour leurs observations parfois justes et décriant les dérives politiques et les maux qui gangrènent la bonne marche de la société, délaissent leur manteau d’observateur et de critique. Les exemples foisonnent et aucun président n’y échappe. Critiques ou ardents défenseurs d’un régime, certains journalistes et éditorialistes troquent leur idéal scriptural pour des convictions politiques saisonnières.
Une pratique présente aussi chez plusieurs acteurs se réclamant de la société civile naguère conceptualisée sous nos cieux par un de leurs anciens pourfendeurs qui soutenait qu’elle « n’existe que par opposition à la société politique qu’elle critique et vilipende, en dénonçant sa logique d’accaparement du pouvoir et de ses leviers. Elle semble vouloir substituer à cette logique une autre qui ne ferait que changer les acteurs du jeu et qui la placerait désormais au cœur de l’événement. Autrement dit, la société civile réclame sa part dans le système de partage, mais non l’émancipation du citoyen ». Difficile de ne pas les retrouver tous dans la même barque.
Après avoir dénoncé plusieurs dérives (corruption, népotisme, enrichissement illicite, homophobie…) sous le régime de Me Wade, ces intermittents de la critique se retrouvent également aux côtés du pouvoir et observent les mêmes manquements sans broncher. Cette tendance à vouloir casser une composante de la dynamique sociale et à l’aseptiser est considérée comme cruciale pour les tenants du pouvoir qui veulent uniformiser les discours et surtout étouffer rapidement toute pensée discordante. C’est certes un jeu, mais qui devient pernicieux et finit toujours par décrédibiliser le pouvoir politique. En effet, l’autorité politique essaie perpétuellement d’entretenir sa légitimité en empruntant une voie dérivée entretenue et servie par les leaders médiatiques. Elle oublie cependant qu’un seul acteur peut consacrer légitimement ce pouvoir, les citoyens. La ressource (image, information) servie aux médias pour cautionner cette légitimité est devenue une denrée instantanément périssable alors que l’exercice du pouvoir démocratique et la satisfaction réelle des besoins des populations s’inscrivent dans la durée et ne peuvent être virtuels. Dès lors, s’engage un tentative permanente de séduction entre cet acteur politique et les citoyens chargés de leur céder temporairement cette autorité.
Au centre de ce processus, se glissent des acteurs dont le travail d’alerte et de veille est de plus en plus remis en cause malgré quelques résistances. Les médias qui font partie de ce processus devraient jouer leur rôle premier qui est d’informer juste et vrai dans toutes ses dimensions et surtout entretenir une distance (posture devenue idyllique) qui leur garantirait toute leur autonomie à l’égard des pouvoirs politique, économique, religieux. L’évolution technologique survenue au cours des dernières décennies et marquée par la frénésie communicationnelle et la boulimie informationnelle, a ouvert de nouvelles opportunités aux médias, mais aussi au public qui cesse d’être un simple consommateur. Elle implique plusieurs paramètres (rythme, redistribution des rôles, critères de validation) dans cette vaste campagne de ‘’dressage’’ et de ‘’contrôle’’ de l’opinion. En effet, les médias et l’instantanéité des nouveaux outils de communication ont fini, pour paraphraser Paul Virilio, par sortir la démocratie du domaine de la réflexion et l’embarquer dans l’univers du ‘’réflexe conditionné’’.
La traitement de l’information et sa diffusion ne sont plus l’exclusivité des professionnels du milieu. Le public n’est plus cet acteur passif et a les capacités à réagir à l’information traitée par les journalistes ou à la produire lui-même. Les critères sont revus et la véracité d’une information semble se mesurer désormais plus par sa portée que par la vérité qu’elle véhicule. Ce pouvoir tyrannisant de l’information utilisée à d’autres fins de séduction et de persuasion emprunte la face lisse et culturellement correcte des outils de la propagande. Il se faufile dans les méandres du vaste champ de la communication politique que les journalistes peinent parfois à distinguer ou n’hésitent pas à franchir en fonction de leurs intérêts ou des groupes de pression avec lesquels ils collaborent.
Cependant, informer, comme le souligne Dominique Wolton, n’équivaut pas à communiquer. La communication englobe une dimension plus large qui inclut l’information et d’autres paramètres subjectifs, historiques, culturels, économiques et politiques. La communication politique est conçue comme étant ‘’un lieu d’affrontement des discours qui portent sur la politique et dont l’enjeu est la maîtrise de l’interprétation politique de la situation’’. La politique a son rythme et son agenda qui diffèrent de celui des médias. Chaque leader politique a son style qui rejaillit inéluctablement sur les autres composantes du milieu.
En effet, les journaux, dont la plupart se nourrissent de querelles et d’invectives politiciennes, ont senti subitement un vide après la chute de Me Abdoulaye Wade. Ce dernier avait une énorme capacité à réguler le cours des médias en attisant des débats parfois sans aucune utilité pour le quotidien des citoyens. L’hypermédiatique pape du SOPI avait réussi temporairement à entretenir l’illusion qui finit toujours par buter sur le carcan de la réalité sociale. Ses nombreuses sorties et sa promptitude à réagir épousent parfaitement les mutations que subissent l’univers communicationnel où la vitesse est devenue la norme avec l’instantanéité de l’information et des données. Le contraste avec le régime de son successeur est frappant malgré la kyrielle de collaborateurs dénichés tous azimuts. L’incapacité à vendre un idéal politique et à créer une dynamique citoyenne plombent toutes les actions menées. Il ne suffit pas de s’entourer d’éditorialistes ou de journalistes ayant acquis un certain capital auprès du public pour espérer retrouver une légitimité dont la consécration passe inéluctablement par l’amélioration du sort des populations.
Les vedettes médiatiques n’incarnent pas l’opinion et sont incapables de construire ou déconstruire la réalité sociale. Il ne suffit pas d’avoir dans son escarcelle les responsables et éditorialistes des principaux titres de la presse pour prétendre dompter ou assouvir les citoyens qui les regardent, les écoutent ou les lisent. Leur capacité est moindre et les consciences ne s’arriment que lorsque le décalage entre le discours et la réalité sociale est rompu. Les silences ou pseudo-censures opérés par plusieurs titres sur les questions essentielles relatives à la cherté de la vie quotidienne, la banalisation des coupures d’eau et d’électricité ou la préparation des populations aux effets d’un hivernage tardif, sont manifestes et n’aident nullement l’autorité politique à respecter ses missions et à garantir sa légitimité.
L’intégration des plumes critiques dans les staffs du pouvoir ne peut garantir aux autorités politiques leur viabilité quand la gouvernance et la gestion des deniers publics ne sont pas faites pour assurer aux populations de meilleures conditions de vie. Elle permet au contraire de démasquer ces fausses sentinelles et les effets induits rejaillissent négativement sur l’équipe dirigeante. Les échecs de Me Abdoulaye Wade, véritable bête médiatique, ou sous d’autres cieux de Nicolas Sarkozy qui avait réussi à mettre sous sa coupe une grande partie de l’establishment médiatique français, de l’anglais Tony Blair ou encore de Silvio Berlusconi et son empire médiatique en Italie, montrent que la survie politique ne dépend pas d’une légitimité médiatique usurpée et imposée. Les leaders politiques doivent savoir que les médias ne peuvent déconstruire la réalité sociale et valider de fausses représentations ou assurer la ”construction de légitimité” pour reprendre Boltanski et Thévenot. La réalité n’est pas virtuelle, mais réelle et se vit au quotidien. Le ‘’conditionnement instantané’’ des masses ne peut être permanent et légitime pour ceux qui managent l’information.
Aussi, la communication pour entretenir l’image de l’autorité politique est-elle plus proche du travail du publicitaire que du journaliste, car chargée de vendre un idéal, une illusion, un idéal politique. Le désaveu ne peut alors qu’être manifeste lorsque le journaliste dérive vers le camp de l’autorité politique qu’il ne manquait pas parfois d’écorner pour sa gestion et ses manquements. Le revirement ne peut être accepté par un public qui finit par comprendre, même en léger différé, un des mécanismes de ce jeu théâtral avec des acteurs obnubilés par une fin subjective et opportuniste qui tourne autour de leur propre consécration.
Macky I. Sall
Montréal-Canada