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Curiosités Et Leçons à Propos De L’épidémie D’Ébola

Curiosités Et Leçons à Propos De L’épidémie D’Ébola

Au lieu de condamner les pays occidentaux pour avoir opportunément brandi leurs vaccins obtenus de dur labeur, en plus agissant, comme à l’accoutumée, dans le casting classique du mendiant et du pieu donateur, nous devrions plutôt réfléchir sur la responsabilité de nos gouvernements, de nos chercheurs et professionnels de la santé et de la sécurité. C’est un minimum à défaut de pouvoir faire violence sur notre fierté pour rendre grâce aux équipes d’interventions et aux gouvernements étrangers pour avoir sauvé des vies jusque-là. Le virus Ébola est toujours là et demain, un autre pourrait lui succéder. Et il n’y aura ni Père Noël, ni mère Theresa, ni Lady Diana pour nous faire don de vaccins et de soins primaires.  

Curiosités

Depuis 1976, date à laquelle l’épidémie a éclaté au Congo Zaïre, et le Virus Zaïre (ZEBOV) identifié et examiné jusqu’au premier vaccin expérimental en 1980 par un groupe de chercheurs de la Howard Hughes Medical Institute, on est tenté de se demander ce que les pays africains ont pu formuler comme réponse. En 1996, elle réapparait de nouveau en Afrique centrale. Encore une fois c’est un groupe de chercheurs de la Vaccine Research CenterNational Institute of Healthsituée aux Etats Unis et une équipe de Special Pathogens BranchCenters for Disease Control and Prevention du même pays qui découvrent un nouveau vaccin expérimental en 2000. Pendant tout ce temps il est quand même curieux que rien n’ait été fait par les gouvernements africains et leurs dizaines d’organisations régionales.

Pourtant, entre temps en Afrique de l’Ouest, où l’épidémie éclate pour la première fois au début de l’année 2014, l’Organisation Ouest Africaine de la Santé (OOAS) était née en 1987 au sein de la CEDEAO. Depuis, elle n’a aucune institution de recherche sur les maladies virales comme Ebola, encore moins sur celles qui sont ses priorités le paludisme, la tuberculose et le VIH/Sida. Comme d’ailleurs l’organisation continentale africaine, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) devenue l’Union Africaine (UA). Á son dernier sommet d’Abuja sur la santé, en juillet 2013, l’UA lançait lundi un appel pour plus de moyens financiers afin de combattre ces mêmes maladies. Jusqu’à présent on n’a parlé ni d’Ebola ni d’aucune autre maladie virale ou tropicale, même si entre temps l’Organisation Mondiale de la Santé avait déjà recensé environs 2500 cas à travers les différentes épidémies.

C’est encore le laboratoire P4 de très haut niveau (avec capacité de confinement et expertise très élevées) de l’USAMRIID situé à Fort Detrick, dans le Maryland aux États-Unis qui trouve en nouveau vaccin expérimental en 2003). Puis vient celui de la National Institute of Allergy and Infectious Diseases du même pays en 2007. Ces genres de structures n’existent que dans deux pays en Afrique. Le Centre International de Recherches Médicales de Franceville (CIRMF) situé au Gabon et qui appartiendrait manifestement à des multinationales et des pays étrangers, et la National Institute for Communicable Diseases en Afrique du Sud que l’ont doit en partie au développement industriel militariste pendant la période de l’Apartheid. Jusqu’à présent aucun organisme de recherche sur cette maladie et son genre n’est mis en place malgré l’existence d’organisations intergouvernementales, d’universités et d’instituts de la santé. Le personnel qualifié fuit les guerres, la misère et le manque de moyens dont les dictatures et les démocraties électorales sont à l’ origine. Le personnel qualifié est aujourd’hui dans les pays avancés où le métier et les problèmes de sécurité sanitaire et civile sont pris au sérieux.

L’épidémie d’Ébola éclate de nouveau en Guinée en 2014, puis en Sierra Leone et au Liberia, quelques mois après, avec la contamination d’une guérisseuse qui en est morte. Encore une fois, c’est un journaliste de l’agence France Presse qui enjambe les régions montagneuses de la frontière entre la Guinée et la Sierra Leone et permet de reconstituer l’origine de l’épidémie nationale et de fournir des données précieuses aux chercheurs et aux équipes médicales. Où sont les journalistes et les chercheurs en santé de l’Afrique ? Ils nous servent les mauvaises nouvelles. Ils mettent la pression sur des autorités gouvernementales occupées à préparer des élections, modifier des constitutions, chipoter sur des réformes qu’elles ne contrôlent pas, détourner des devises, parader et parloter de sommet en sommet, de rencontres en rencontres entre Washington, Paris, Bruxelles, Pékin et Addis Abéba.

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En Afrique de l’Ouest où certains de nos chefs d’Etat et de gouvernement ont été diagnostiqués au virus en Chine et ailleurs puis invités à porter le masque à la Mecque, on apprend que des devises appartenant à la Guinée, pays lourdement touché par Ebola, sont saisies à Dakar. Soit neuf milliards de francs CFA ; de quoi construire un laboratoire de niveau P2 au moins ou encore un institut de recherche opérationnelle sur les maladies virales et mettre en place un fond régional d’intervention rapide en Afrique de l’Ouest.

Au Sénégal, pays dont un médecin-expert a été contaminé et évacué en Allemagne, on a construit un Monument de la Renaissance africaine, un Grand théâtre, et inauguré une ambassade à quatre milliards de francs CFA aux Etats Unis. De quoi soigner un médecin contaminé au virus Ébola sans quémander les bons services d’un pays encore une fois, occidental : la généreuse Allemagne de Angela Merkel. Si le fameux « dispositif de riposte » du gouvernement vendu à coups de casseroles est si efficace qu’on ne le pense, pourquoi notre compatriote contaminé a-t-il était évacué en Allemagne ? Avec des étudiants en médecine qui se bâtent dans la rue pour se faire payer leur bourse tous les mois cela n’est pas étonnant. Avec une ambassade à quatre milliards et des paratonnerres à un milliard et demi, non plus, comme si le tonnerre tuait plus et pouvait se propager partout ! Dans ces conditions-là, comment peut-on disposer des centres de recherche et des laboratoires de deuxième ou troisième niveau pour travailler et trouver de manière autonome des solutions aux problèmes de santé publique ?

Un étudiant guinéen est passé entre les frontières poreuses pour atterrir à Dakar et nous amène le virus. Que Dieu le guérisse et nous en préserve d’une épidémie. Amen ! Mais, avec une volonté de tromper les populations et de les rassurer pour protéger le régime inapte d’un énième échec politique d’envergure, on a fait croire qu’en équipant quelques agents dans quelques hôpitaux de Dakar (on est loin de la frontière tout de même !), on a pris toutes les dispositions idoines contre une éventuelle épidémie. Pourquoi, comme cela se fait lorsque la sécurité civile est en péril dans les pays civilisés et démocratiques, l’armée n’a pas été déployée le long de la frontière et imposer un couvre feu qui aurait permis de déployer parallèlement des équipes et des centres de traitement mobile sur la bande frontalière ? L’armée ne fait rien dans les casernes et est entretenue aux frais du contribuable dont il doit protéger la vie contre toutes les formes de menaces réelles ou supposées—je souligne bien le terme « supposées ». Autrement dit, que faisait le chef d’Etat-major des armées ? Que faisait le Directeur de la sécurité nationale ? Quid des Ministres de l’intérieur, des forces armées, et du chef suprême des armées. Le Chef d’Etat major des armées et ces autorités ont chacun l’bligation de proposer une solution même si le chef suprêmes des armées n’y pense pas. Ce n’est pas à la police ou à la gendarmerie de gérer un problème de sécurité civile de ce genre. Au meilleur des cas, ils ne peuvent que sécuriser des unités d’interventions médicales. Or il n’y en a pas eu à la frontière.

Le cas alarmant de l’Afrique de l’Ouest: A quoi sert la CEDEAO et ses nombreux organes?

En Afrique de l’Ouest il y a chaque année au sein de la CEDEAO plus de dix rencontres au sommet des chefs d’Etats, de Gouvernements, de Ministres et d’Experts. Ces rencontres portent sur tout, semble-t-il, y compris la santé et la sécurité civile. Nuls besoins de rappeler ce qu’elles coutent, bouffant quasiment tout le budget de la CEDEAO déjà insuffisant. La question qui vient à l’esprit est de savoir comment se fait-il que depuis le début de l’épidémie on n’arrive même pas à mettre en quarantaine les zones affectées et à contrôler sa progression. Comment comprendre le fait que les médecins soient traités à l’étranger et les malades ici ?

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La Direction Générale de l’OOAS, seule instance exécutive de l’organisation, ne compte que le département de Lutte contre les Maladies épidémiques (DLME) et celui Recherche et Système d’Information à la Santé (DRSIS), les deux seuls qui pourraient normalement avoir de compétence à agir sur la maladie Ébola. Mais cette dernière ne figure pas parmi les priorités du programme de l’organisation régionale. Les priorités du programme sont les ressources humaines, les Infrastructures, le VIH/SIDA, la tuberculose, la nutrition, le paludisme, la santé maternelle et infantile, la médecine traditionnelle. Aucune information n’est disponible sur ces départements, en dépit de nos tentatives pour en savoir plus. En effet il aurait été intéressant de savoir ce que ces deux départements ont réalisés en vertu de leurs compétences manifestes sur le cas d’Ébola.

Pourquoi Ébola qui tue beaucoup plus vite et horriblement ne figure pas parmi ces priorités bien qu’on la connait depuis 1976 et que des vaccins expérimentaux soient en cours d’élaboration depuis 1980 ? La raison en est simple : puisque nous recevons des bailleurs et des pays étrangers tous les moyens pour développer la recherche et les stratégies de lutte contre ces maladies, c’est à eux de définir les priorités. Et, de bonne guère, ils les définissent selon leurs intérêts. Le paludisme et la tuberculose tuent beaucoup plus que le VIH/Sida, mais tous sont des menaces réelles à la mobilité des biens et des personnes et, ainsi donc, un danger pour l’économie de marché. Nos organisations intergouvernementales n’ayant ni la volonté politique, ni les moyens qu’elles reçoivent des bailleurs publics (organisations internationales et Etats) et privées (ONGs, Firmes, Fondations), elles n’ont aucun programme d’action souverain et autocentré sur les véritables priorités de sécurité civile et humaine dont la santé par exemple. A titre d’exemple on trouve écrit dans le site de l’OOAS que « la bonne mise en œuvre de sa mission est contrariée par le déficit en personnel, en infrastructures et équipements et en représentativité dans les pays ». C’est sans équivoque. Le drame lui est toujours là : c’est qu’on n’en est qu’au tout début des efforts d’expérimentation des vaccins sur les humains et, à ce jour, il n’y a encore aucune garantie de protection totale contre l’infection par Ebola.

Leçons

Afin de doter les sociétés africaines de capacités de prises en charge en matière de sante en particulier, et de sécurité humaine en générale, il me semble qu’il est temps que change le mode d’organisation et de fonctionnement de la coopération interafricaine. Jusque-là on a persisté à créer des organismes contrôlés par des chefs d’Etats et de Gouvernements, des conseils de ministres, et des comités d’experts inefficaces et très lourds. Il est temps que l’on organise la société civile et qu’on encourage la coopération entre les institutions nationales, les corporations publiques et privées et les populations dans tous les domaines. Les Etats se chargeant le cas échéant de questions d’orientation purement politique. Les affaires techniques qui touchent aux problèmes graves, comme la santé publique, la sécurité civile, les urgences et les réactions rapides qu’elles appellent, doivent être laissées aux peuples et aux institutions sociales, y compris les administrations publiques. Cela requiert de mettre fin aux régimes présidentiels, trop protocolaires, pompeux, lourds, fantoches, inefficaces et excessivement dispendieux. Par exemple, il est franchement ridicule que pour que des chercheurs africains de différents pays puissent créer une organisation au niveau universitaire ou administratif, il faille passer par une préfecture, puis une assemblée d’université, puis un ministère et enfin un décret présidentiel dans un circuit de plusieurs mois voire des années. Tout cela s’explique par la nature inadaptée des administrations publiques et le présidentialisme. Un Président ne peut pas décider à lui tout seul de la vie ou de la mort de tous !

En deuxième lieu, en marge de développer l’éducation et la formation, il est temps que l’on investisse davantage dans la protection et la sécurité civiles, bref la sécurité humaine, une sécurité que les armes ne font ni directement provoquer, ni garantir. Les institutions régionales n’intègrent que la sécurité militaire et internationale dans leurs orientations stratégiques. Il n’existe d’ailleurs que des instruments et des mécanismes d’alertes précoces et d’interventions militaires internationales. Même les organes politiques et diplomatiques ne sont spécialisés que sur les conflits politiques nationaux (élections, rebellions, coups d’Etat, etc.) et internationaux. C’est le cas de la force d’attente africaine, des Conseils de sages de l’UA et de la CEDEAO. L’heure a sonné pour quitter ces processions d’élites dont la liturgie autoritaire et régressive a trop duré. Le temps est venu de construire le régionalisme africain avec des universités et instituts intercontinentaux, des laboratoires et équipes de recherche, des armées « civilisées » mises à la disposition des populations contre les menaces non militaires, des firmes et des industries interafricaines, des syndicats interafricains, des réseaux d’écrivains, des lignes ferroviaires interrégionales, etc. Il y a de quoi s’en convaincre.

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Le niveau de risque associé aux maladies virales et aux épidémies qui peuvent en résulter est très élevé parmi des populations de plus en plus mobiles et nombreuses. Il est donc vital et urgent de disposer de structures comme des laboratoires de haut niveau très sécuritaires, comme ceux de niveau P4. Ces genres d’installations sont très limités et souvent contrôlés par les armées, preuve qu’ils sont cruciaux pour la sécurité nationale d’un pays. Elles requièrent une haute capacité de confinement, un personnel fiable, capable et autorisé à effectuer de telles recherches. Ce qui implique de prendre au sérieux l’éducation et la recherche, donc l’enseignement supérieur. De même, il faut un support industriel performant pour ce type de structures. Les coûts sont élevés comme partout ailleurs, mais il faut que les populations elles-mêmes forcent leurs autorités à respecter les priorités évidentes que sont la sécurité, la santé, l’éducation et la nutrition. Une gouvernance assainie et un contrôle politique accru sur les dirigeants et les institutions peut permettre aux populations de limiter les évasions fiscales et les autres crimes qui font s’envoler leurs ressources et de les rediriger vers leurs besoins vitaux.

L’on peut imaginer aisément la fierté que doivent éprouver les citoyens des pays donateurs et des pays qui font tout pour réaliser ces recherches, expériences, et vaccins. C’est le cas du Canada qui a proposé d’offrir 1500 échantillons d’un vaccin expérimental, de l’Allemagne et des USA. Comme d’habitude, à l’image des primates assaillis dans nos nombreuses forêts à cause de leur adaptation aux agressions anthropiques et aux modifications du climat, nous allons servir de cobayes par la force de notre négligence. A l’opposée, contraste le sentiment de honte et de désarroi qui anime les citoyens des pays africains. On se rappelle de ce citoyen libérien qui a mis le feu au ministère de la santé de son pays après avoir perdu un parent victime d’Ébola. Ces deux images sont très parlantes pour qui cherche de manière sincère des leçons et des voies pour améliorer le sort des africains. Un continent ou toute la planète vient chercher ce dont elle a besoin, mais c’est aussi en Afrique d’où s’envolent tous les jours des milliards et des dirigeants vers des banques étrangères et les hôtels huppés du monde.

Voilà pourquoi, c’est une des leçons évidentes de l’épidémie d’Ébola, le combat pour la santé, l’éducation et la nutrition pour tous en Afrique dépend fortement du combat pour la démocratie, la justice et la gouvernance égalitaire. Cela passe par la fin des régimes prédateurs et de la centralisation des institutions, des ressources et des pouvoirs de décisions par les élites politiques set bureaucratiques.

 

Aboubakr Tandia

Aboubakr TANDIA

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