« Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Mes ennemis, je m’en charge ! ». Cette prière de Voltaire aurait pu être dite par le Président Macky Sall. A la seule nuance (notable) qu’il remplacerait « mes amis » par « mes parents ». Premier président de la République né après les indépendances, Macky Sall avait (au passé déjà ?) tout pour réussir. Ses atouts : sa jeunesse, son plébiscite, son discours bien senti sur la rupture… Près de deux ans et demi après son élection, le 25 mars 2012, donc à mi-mandat, des questions légitimes se posent. Où va-t-il ? Avec qui d’autres encore ? Que veut-il ? Que peut-il ?
Comme pris par une malédiction de l’échec et par un autisme étonnant dans un concert de signaux de détresse, le tombeur de Wade vendange un à un ses atouts majeurs. Sa jeunesse ? Le shift générationnel qu’il était censé faire faire à sa gouvernance tarde à se matérialiser. Son plébiscite ? La perte de grandes villes comme Dakar, Thiès, Diourbel et Ziguinchor, convoitées par des candidats qu’il a parrainées lors des élections locales du 29 juin, entache sa côte de popularité. Son discours de rupture ? Pour quelqu’un qui a été élu sur le thème de la « dé-Wadisation », sa parole s’en trouve trahie par certains actes. Le plus dramatique est que son pouvoir semble être frappé par une usure précoce » (…)
En sus des pouvoirs déjà limités du Premier ministre dans notre ordre institutionnel, lesquels pouvoirs peuvent encore être plus réduits avec l’actuel attelage gouvernemental, il nous semble que le chef de l’Etat ait pris le risque, au lieu de ratisser large, de nommer à la tête du gouvernement quelqu’un de la même région d’origine que lui. Pari ou couplé gagnant ? Gossas, localité dont est originaire Monsieur Dionne, fait partie de la région traditionnelle du Sine, dont Fatick, ville natale de Monsieur Sall est la capitale. C’est une rupture par rapport à une certaine tradition.
Une règle non écrite voudrait que la formation d’un gouvernement soit le fruit d’un savant dosage : régional, confessionnel, entre autres considérations sociologiques. La logique qui aurait écarté un des nombreux Premier-ministrables d’après-élections locales au motif qu’il serait de la même ethnie que le président de la République ne devrait-elle pas être de rigueur quant au critère régional dans le casting des ministrables et autres Premier-ministrables ?
Rien d’étonnant que des voix se soient élevées en Casamance pour déplorer l’absence du gouvernement « Macky 3 » d’un ministre « originaire » de Ziguinchor. Ignorant totalement que c’est la région d’origine de Viviane Bampassy, qui d’ailleurs, soit dit en passant, a demandé des prières de la Casamance, oubliant qu’elle est ministre de la République ! Une première, selon les personnes qui ont parlé. Attention au terrain glissant du régionalisme ! Une remise des choses à l’endroit s’impose.
Tout aussi glissant, le terrain de la famille. C’est même le talon d’Achille de la gouvernance Macky Sall. Et pourtant ! Que n’a-t-on pas dit de l’association de la famille, de surcroît au premier degré, à la gestion des affaires de l’Etat ?
Que de traumatismes les Sénégalais ont-ils subis du fait de la trilogie Wade : père, mère et enfants ! Sans que personne ne comprenne sa logique, le Président Macky Sall, pourtant une des victimes expiatoires du système de management de l’Etat à la sauce familiale rejeté par le peuple, se met à reproduire le même système. Le système du Président Abdoulaye Wade devrait se souvenir des misères à lui faites suite à la convocation de Karim Wade par l’Assemblée nationale, dont il était le Président d’alors.
Ce n’est pas parce que le même peuple aborde encore avec une certaine pudeur le sujet de sa « famille présidentielle » sous les Sall, comme hier sous les Wade, qu’il cautionne forcément la façon de faire et d’être actuelle. Si rien n’est fait pour dissiper le sentiment de plus en plus grandissant qu’à la place d’une « dé-Wadisation » logique et légitime, nous assistons à une autre trilogie, celle-là « Faye-Sall-Thimbo » illogique et illégitime.
Cette pudeur dont font montre les Sénégalais et qui a des limites risque de se transformer en révolte. Et demain, ce sera une révolutionnaire et ce sera trop tard. Une virulence de positions s’est faite à ce sujet déjà par certains opposants du président de la République. Cette logique du Président Macky Sall, appelons là de promotion du plus proche, va jusqu’à transparaître dans les dernières nominations gouvernementales.
Le Président Sall semble être pris, volontairement ou involontairement, en otage par un cercle familial et amical étouffant. Facteur aggravant, son parti, l’Alliance pour la République, qu’il envisage de (re)structurer, a fini de prouver, à l’occasion des dernières locales, qu’il est encore loin d’être majoritaire dans le pays. Ni politiquement, ni sociologiquement. Face à une telle situation, la realpolitik commanderait que le chef de l’Etat et de parti fasse une lecture lucide.
Pour quelqu’un qui est censé connaître ses forces et ses faiblesses, il est étonnant de la part du président de la République de s’aliéner petit à petit des alliés potentiels. A force de martyriser un Khalifa Sall, une Aïssata Tall ou un Abdoulaye Baldé, pour ne citer que ces exemples, il a fini d’en faire des adversaires potentiels. Alors qu’en politique il est plus sage d’additionner, Macky Sall, lui, donne l’impression d’affectionner la soustraction.
Et la mise à la marge d’une Mimi Touré à « l’avenir politique radieux » et de compagnons de route pendant la traversée du désert imposé par le régime de Wade ne fait que compliquer les choses pour un Président qu’on dit tenté par le diable… du septennat. La réduction de deux ans de son mandat en cours pour revenir à un quinquennat ne serait plus la seule hypothèse. Depuis quelques temps, des effluves échappent des cuisines politiques du Palais présidentiel taquinent nos narines avec une forte saveur de renoncement à un engagement pris devant le peuple.
Certes le Président Macky Sall a été élu pour un mandat de sept ans au terme de l’actuelle Constitution. Mais c’est lui-même qui s’est engagé devant les électeurs qui se sont rendus aux urnes le 25 mars 2012 qu’il réduira son mandat de deux ans s’il est élu. Un engagement volontairement répété à chaque fois qu’il en a eu l’occasion après son élection. 2017 ou 2019 ?
La loi fondamentale sénégalaise prévoit que c’est le président de la République qui convoque le collège électoral. Reste à savoir la date de rendez-vous retenue par le peuple souverain. Il faut se garder de tenter le diable et le diable se cache dans le détail.