A la place publique, les jugements et arrêts rendus par les juridictions formant la jurisprudence « perdent » leurs « attendu » et « considérant »; les lois ordinaires, organiques et constitutionnelles sont interprétées partout et par tous, entraînant ainsi de larges interprétations qui sont sujettes à polémiques et évidemment à des entendements erronés du vrai droit. La mise à nu de l’originalité que requiert le jargon juridique à travers la solennité qui entoure son verbe et ses formules détruit le caractère mythique de l’étude et de l’étudiant du droit, de l’enseignement et de l’enseignant du droit mais aussi et surtout de la Faculté des sciences juridiques et politiques !
Telles nos côtes, l’enseignement a subi une forte érosion plombant ainsi nos amphis, nos salles de classes et même nos administrations dans une vaste sphère de violation des règles grammaticales et d’orthographes, de l’utilisation sporadique des mots et de leur galvaudage à outrance.
Comme Flaubert « j’aime les phrases nettes et qui se tiennent droites, debout tout en courant ». Mais arrimer aux injures, aux invectives de certains avocats et aux « j’ai entendu que », « on a dit que », « il parait que » des courageux non initiés, ces phrases finissent toujours par serpenter dans le labyrinthe du mensonge, de l’intoxication et surtout du non droit. Et, ceci est de nature à désinformer l’opinion publique !
Quand mon ami Bay Ndim, bijoutier de son état, se permet de dire que la CREI est compétente pour juger Karim et que mon ami Abou Samba BA, menuisier de son état, se permet de défendre mordicus le contraire, je me demande si le droit sénégalais n’est pas une star mis à nu par ses fans !
Au Pays de la Téranga tout le monde est entraineur quand le Sénégal se qualifie à une coupe quelconque, tout le monde est « spin doctor » quand il y’a une campagne électorale quelconque, tout le monde est géographe, aménagiste quand il y’a des inondations et tout le monde est juriste quand il y’a un procès ! Je suis tenté de dire que le citoyen sénégalais est un « Toutologue ».
Au prétoire, des avocats en panne d’arguments juridiques insultent, injurient et versent dans le « free style » (style libre) alors qu’en droit cela ne marche pas ainsi : soit on sait ou on ne sait pas et quand on ne sait pas, on se tait ou on se retire ! C’est aussi simple que banal !
Comme toute discipline le droit tire son charme et son identité dans son langage et si ce langage est altéré la discipline perd toute son âme et toutes ses armes ! Albert Camus ne disait-il pas que : « mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde ».
C’est dans cette vague de dénaturation du droit et d’irrespect de la science juridique qu’il faut comprendre la mise dans les liens de la détention de personnes innocentes de tout chef d’inculpation et la mise en liberté de personnes coupables de toutes formes d’infractions sous le silence désespéré d’éminents juristes, un silence qui ne saurait se comprendre que dans l’ouverture anarchique et incompréhensible d’un monde aussi fermé et mythique que le droit.
Sommes-nous toujours obligés de rappeler que l’arme du droit ou même l’âme du droit c’est d ’abord des arguments juridiques .
Il est clair dans mon inextinguible conviction que pour venir à bout de ces forfaitures, il faudra donner à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu ! Le droit au juriste !
IBRAHIMA KANE
UCAD/FSJP
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