« Un enfant, un professeur, un stylo et un livre peuvent changer l’histoire du monde. » Malala Yousafzai, Nobel de la paix 2014
Le principe d’un enseignement public gratuit et laïc largement hérité des fameuses lois Ferry devrait être une chance pour tout citoyen. L’école devrait ainsi offrir à chaque citoyen, quelle que soit son origine sociale, religieuse, ethnique et peu importe son statut social, la possibilité de s’instruire d’abord, puis de faire des études, de développer le goût de la recherche du savoir, d’aspirer à une profession et de vivre honnêtement et dignement de son métier.
Le système a été inventé pour justement garantir une première justice sociale et l’égalité des chances entre les enfants des deux sexes. Ce qui permet au fils du plus pauvre citoyen d’aspirer aux plus hautes fonctions de la république ou de développer, libre et conscient de ce que jacques Attali appelle, le « devenir-soi ». Cependant le rythme auquel fonctionne l’école sénégalaise est plus qu’alarmant.
Une école publique malade, est le moins qu’on puisse dire. La dévaluation du FCFA dans les années 1990 et les ajustements structurels ont durablement affecté l’évolution économique et sociale du Sénégal. Sur le plan de l’éducation nationale, les pressions des institutions de Bretton Woods, l’école sénégalaise continue à être victime des rigueurs budgétaires imposées par le Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI).
Les programmes des volontaires de l’éducation et des vacataires sont instaurés et se sont imposés comme principale voie de recrutement de l’éducation nationale. Les prestigieuses Ecoles de Formation des Instituteurs (EFI) se vident de leur population sous le prétexte de l’atteinte de l’objectif de l’éducation universelle. Jadis formés entre un et deux ans, l’enseignant ne l’est plus qu’entre cinq et six mois. Le rôle des fameuses écoles normales laisse progressivement sa place au recrutement direct des vacataires de l’éducation et repris de plus en plus par la FASTEF à l’UCAD depuis 2005.
De plus, les Objectifs du Millénaire pour Développement (OMD), les conditionnalités des aides publiques au développement et les institutions de finance mondiale ont entre autres exigences le principe de l’éducation pour tous visant le taux brut plein de scolarisation des enfants en âge d’aller à l’école. Cependant ces mesures de scolarisation massives ne s’accompagnent pas toujours de politiques de développement des infrastructures scolaires et pédagogiques. Certaines écoles, fautes de places, sont confrontées au problème de surpopulation du fait du taux d’inscription élevé.
Toutes ces réformes – loin d’être exhaustives – incohérentes et imposées pour la plupart, conduisent à une forme de décadence de l’école sénégalaise. Professeurs et enseignants mal formés avant d’être envoyés dans des établissements avec le strict minimum d’équipements, le problème de maintien des enfants à l’école – les filles surtout –, les grèves quasi chroniques sont autant de maux qui affectent l’enseignement, amenant d’ailleurs le président Macky Sall à convoquer les assises de l’éducation nationale. Mais en attendant de tirer des mesures du rapport des assises, le problème de l’école reste entier.
S’en tirent plus ou moins les zones que les politiques publiques privilégient volontairement par calcul politicien. Les grandes métropoles régionales et départementales profitent les premières des mesures émanant du pouvoir central. Le monde rural et certaines zones reculées du pays semblent quelquefois ne pas appartenir au même système éducatif.
Un tour dans certains établissements de l’intérieur du pays permet de se rendre compte du désastre. Par exemple, les abris provisoires (salles de classe en paille refaite tous les ans) permettent de palier à la surpopulation et au manque de salles adéquates. Le système des classes multigrades (une salle avec plusieurs niveaux à la charge d’un seul enseignant) a pour rôle de trouver une solution au manque récurant de professeurs. Ces solutions alternatives concernent près de 5% des écoles à l’intérieur du pays.
Les pauvres parents de ces zones n’ont d’autre choix que de se contenter de ces conditions d’études de leurs enfants, constatant impuissants quotidiennement le niveau inquiétant des enfants préparés plus pour échouer que pour réussir. Ceux d’entre eux qui en ont les moyens préfèrent envoyer leurs enfants dans des écoles privées des villes les plus proches, les mettant dans de bonnes conditions de réussite au sens large du terme.
Si, en ville le problème semble se résoudre progressivement, en zone rurale l’inscription et le maintien des filles sont des questions à prendre encore sérieusement en charge. Or, les établissements, les décideurs étatiques sectoriels, les pouvoirs publics locaux semblent dépassés par le « fléau ».
Le cercle vicieux est ainsi enclenché : la dégradation de l’école se poursuit à tous les niveaux, les zones privilégiées vont continuer à l’être pour plusieurs années encore, les « nantis » opteront davantage pour l’enseignement privé de qualité et les « pauvres oubliés » du système tenteront vainement de rattraper le train très en avance.
Mamadou DIOP
diopthemayor@yahoo.fr
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