Quelle politique sanitaire ?
Un de nos éminents professeurs de médecine, en réponse à une question d’un journaliste sur la qualité de notre système de santé, disait ceci en substance: « que ce soit le Président de la République, le Ministre de la santé, moi-même ou tous mes collègues, si l’un d’entre nous tombait malade et que ses moyens le lui permettaient, il choisirait d’aller se soigner à l’étranger ».
Cette phrase suffit, à elle-seule, comme diagnostic de notre système de santé, qui constitue le premier et le plus grand malade du pays. Il est malade de ses structures mal équipées et insalubres, de son personnel soignant insuffisant et sans formation, de sa réforme hospitalière mal maîtrisée, de ses ruptures récurrentes de médicaments et d’intrants de laboratoire, de ses déficits budgétaires généralisés presque structurels, de l’absence de maintenance préventive de ses équipements, du manque criard d’ambulances médicalisées, de son inaccessibilité financière pour le grand nombre des citoyens, de son offre de services mal adaptés, de l’incohérence et de la non fiabilité des données statistiques collectées, de ses taux officiels de mortalité hospitalière qui se situent entre 15 et 25% et qui font de nos hôpitaux de véritables mouroirs, etc.
Les inégalités constatées en matière de santé sont largement tributaires de la division de la société en classes. La santé coûte cher, excessivement cher ! Elle n’est pas à la portée des bourses faibles et l’absence de couverture médicale pour la majorité des populations n’est pas pour faciliter les choses. On assiste à de graves clivages entre les personnes aisées, celles à revenu intermédiaire et les pauvres. A ces derniers, il a même été inventée la fameuse Initiative de Bamako (médicaments génériques) qui n’est rien d’autre qu’une ligne de médicaments moins chers mais moins efficaces à l’intention des pauvres, quoique des explications fallacieuses veulent nous faire avaler qu’il s’agirait juste de la même molécule présentée autrement.
L’analyse des politiques de santé jusque là initiées par nos gouvernants montre qu’en réalité la résolution de ces inégalités, qui ne cessent de s’accentuer, est une dimension qui n’a jamais constitué une préoccupation dans l’élaboration de ces politiques. Force est aujourd’hui de constater que les différentes stratégies élaborées et déployées ça et là ne semblent pas intégrer la résolution de ces inégalités qui privent la majorité de la population de l’un de ses droits les plus élémentaires, celui de pouvoir se soigner et bien se soigner quelque soit son rang social.
Tout comme le secteur de l’éducation, de grands pas ont été franchis dans la construction par l’Etat et les populations (émigrés pour la plupart) d’établissements de santé de proximité, ce qui a beaucoup contribuer à l’amélioration de l’accessibilité géographique au point de voir des structures fermées faute d’équipement et/ou de personnel. Malgré tout, nous n’atteignons toujours pas les normes internationales en matière de couverture sanitaire (1 hôpital pour 572 748 habitants contre 1 pour 150 000 habitants qui est la norme fixée par l’OMS, ou 1 centre de santé pour 190 916 habitants contre 1 pour 50 000 habitants préconisé par l’OMS).
Nos nouvelles autorités devraient travailler à l’amélioration de ces chiffres pour atteindre et même dépasser les normes de l’OMS, mais aussi se consacrer à la résolution de l’équation de l’accessibilité économique et la qualité de service. A ce titre, nous pensons, en profane, qu’il y a un sérieux problème d’approche au niveau de l’élaboration de nos politiques de santé qui semblent mettre l’accent plus sur les aspects curatifs que sur la prévention.
Cette approche médicale, ou si on veut curative, de la santé qui consiste en quelque sorte à « laisser les gens tomber malade » pour ensuite les soigner, est un non sens quand il est possible de prévenir la maladie ; « mieux vaut prévenir que guérir » est un adage connu de tous. Cette approche curative est trop coûteuse financièrement, voire même appauvrissante (les soins, les médicaments, l’entretien des malades, etc.) mais aussi humainement et économiquement désastreuse (décès, impact négatif sur la productivité et le rendement des travailleurs). Elle grève le budget de l’Etat qui doit construire et équiper des infrastructures un peu partout, recruter et former des praticiens en nombre suffisant, alimenter les pharmacies et autres laboratoires, subventionner certains programmes, etc. Malgré tous ces efforts, et quel qu’ils soient ou seront, les soins de santé resteront toujours hors de portée de la bourse de nos familles si on continue à persister dans cette incongruité.
Nous pensons que la solution de nos problèmes de santé passera inévitablement par une approche préventive et communautaire de la santé ; éviter de tomber malade est de loin moins coûteux que se soigner et ce, à tout point de vu.
Les politiques de santé doivent aujourd’hui être réorientées plus vers la prévention que vers le curatif : écoute, sensibilisation, information-éducation-communication (IEC), réseaux d’échanges, d’entraide et de soutien, possibilité d’accès illimité à une information libre et contrôlable doivent constituer les leviers pour la mise en œuvre de toute approche préventive de santé. Une telle approche doit s’appuyer naturellement sur les organisations sociales, les communautés et autres groupes socioprofessionnels pour s’ancrer définitivement dans leur vécu quotidien.
Dans la stratification sociale la communauté constitue un cadre unitaire ou identitaire de réflexion et d’action, un lieu d’échanges qui place les individus dans une dimension collective et leur confère un rôle participatif au sein de leur groupe d’appartenance; elle permet aux individus qui la composent de pouvoir identifier et de comprendre les problèmes existentiels auxquels ils sont quotidiennement confrontés et qu’ils partagent entre eux. L’action communautaire tire toute sa justification et sa pertinence du fait que les problèmes sociaux ont une nature collective et, par conséquent, ils doivent faire l’objet de solutions collectives, participatives et inclusives.
Les individus et les communautés doivent être placés au cœur des stratégies afin de les amener à s’y reconnaitre comme acteurs à part entière puisque c’est leur appropriation de ces politiques qui en garantit la réussite. Cette communautarisation des services de santé utilise la mutualisation comme moyen d’action pour susciter un rapport coopératif et une grande solidarité dans la prise en charge des besoins sanitaires des personnes. Des pays comme la Tunisie et le Rwanda ont réussi la couverture maladie universelle grâce à la mutualisation des populations ; pourquoi pas nous ?
Notre programme « Yoonu Yokkuté » intègre certes cette problématique communautaire à travers la couverture maladie universelle préconisée à travers la mise en œuvre de la Caisse Autonome de Protection Sociale Universelle (CAPSU) mais reste assez laconique sur la place de la prévention dans notre politique de santé, quoique la lettre de politique sectorielle, actuellement en finalisation au Ministère de la Santé, est entrain de corriger cette faille en lui donnant une orientation plus préventive.
Nous pensons également qu’il urge de réserver un traitement particulier à la prévention et la prise en charge des maladies cardiovasculaires qui ont fini de se hisser au rang de premières maladies faucheuses du pays. Il est plus que temps de mettre en place un programme spécial pour ces maladies, les cancers (col, sein, utérus, etc.) et l’albinisme.
Mor Ndiaye Mbaye
Note de l’auteur : Nous tenterons sous peu de voir comment les TIC peuvent apporter un plus dans la mise en œuvre de ces approches.