Elle (Police : police et gendarmerie) traverse une période unique et particulière de son histoire. Jamais la police n’a été aussi mal perçue par les populations depuis ces vingt dernières années. La confiance ne règne plus chez ses professionnels de la sécurité, et au même moment les rapports entre les sénégalais et leur police ont considérablement évolué de façon très négative. Ces fonctionnaires déjà bien malmenés n’ont seulement pas les moyens de leurs énormes missions mais sont loin d’avoir carte blanche sur le terrain et dans l’opinion.
L’arrivée en mars 2012 du nouveau pouvoir de la « sobriété et de la bonne gouverne », est l’occasion d’évaluer ces mutations survenues dans les relations entre la police et la population. Depuis les années 2000, cinq ministres sont passés à la place Washington dont l’actuel Président de la République (entre 2003 et 2004), mais c’est surtout durant ces deux dernières années, que le phénomène des violences urbaines et des agressions physiques mortelles et macabres, que les atteintes aux biens se sont amplifiées, mais et surtout, que des affaires impliquant directement des policiers et des responsables de polices ont été mises médiatisées et divulguées au public, même si tout le monde sait (y compris les responsables étatiques) que ces pratiques ne sont guère une nouveauté, par contre la nature des faits et la façon dont celles-ci sont posées, sont singulières et particulières à bien des égards. Jamais, non plus, elle n’a connu tant d’affaires (affaire de la drogue à l’OCTRIS dénoncée par le Commissaire Cheikhna KEITA ; Livre du Colonel Ndao: Pour l’honneur de la gendarmerie, dans lequel il analyse les faits et pratiques de corruption et de détournements ayant cours dans la gendarmerie, avec comme accusé un ancien chef d’état-major et directeur de la justice militaire) embarrassantes, en particulier à Dakar. Pourtant ces deux acteurs de l’administration policière ont, au début été diabolisé, par cette presse de caniveaux et de faux-cul pro-gouvernemental, puis sanctionné sévèrement par la hiérarchie pour tenter de museler toutes les tentatives de prise de parole non soumise au diktat des supérieurs.
Ces mauvais rapports entre la police et les populations sont tellement palpables lors des différentes manifestations, meetings ou marches ; puisque les marcheurs (à ne pas confondre avec les fauteurs de trouble) sont victimes de jets de bombes lacrymogènes dont l’utilisation systématique mérite d’être réglementé afin d’éviter des situations regrettables : c’est un vrai malaise social entre police et les populations. Malgré le changement de politique ces derniers années, il y a toujours un ravin entre la police et la population. Ce ravin s’explique par la politique du chiffre, des problèmes d’économie non réglés dans les quartiers, où règnent parfois des taux de chômage très impressionnants et la loi des caïds… Aujourd’hui, les seuls services publics qui entrent dans ces quartiers sont les policiers et les pompiers. Une bonne police travaille avec sa population, qui est toujours une mine de renseignements pour elle.
Globalement c’est l’administration générale qui est mal perçue de nos jours par les citoyens. En réalité voilà comment est dépeint le fonctionnaire, le « bureaucrate », le « rond de cuir » et tous les employés de l’administration – «fainéants, payés à ne rien faire, budgétivores», n’ont jamais joui d’une image positive, que dire des forces de sécurité notamment la police et la gendarmerie, témoigne un cadre dans le privé.
A en croire l’essentiel des témoignages recueillis, paresse, inefficacité, inintelligence, intempérance, impolitesse caractériseraient le policier tout autant qu’un style amphigourique légendaire et un physique caractéristique. Un recrutement essentiellement militaire explique en effet, une apparence, un vocabulaire, un comportement qui prêtent à rire autant que des habitudes d’intempérance solidement ancrées.
A cette peur des coups et des violences policières s’ajoute l’inquiétude causée par le pouvoir discrétionnaire dont semblent disposer des fonctionnaires dont la responsabilité n’est jamais reconnue. «Le caprice ou la folie d’un agent de police peut, dans l’ombre, arracher un innocent à la vie ou un criminel au tribunal. Si un sergent de ville veut, il peut, sous le couvert de son tricorne, commettre des attentats que les simples mortels expient en correctionnelle par six mois de prison et en cour d’assises par cinq ans de bagne», confie un responsable d’une société de sécurité privée.
Des témoignages de travailleurs de nuit sont sans équivoque à propos de nos forces de sécurité. «La police, chargée d’assurer la sécurité publique, commet des crimes ; elle viole tous les principes du droit public, toutes les garanties… qui protègent le citoyen… elle substitue son action à celle de la loi ; elle s’attribue des fonctions de juge… elle en arrive à pratiquer des attentats à la pudeur, à exciter des mineures à la débauche, à se rendre complice de délits de crimes qu’elle poursuit ensuite et fait condamner». Il est à signaler que l’on ne connaît toujours pas le meurtrier de l’étudiant Balla Gaye , ni de Bassirou Diop ,etc.…tout ceci ne fait que fortifier l’idée à tort ou à raison de forfaiture et de crimes crapuleux sans criminels réels Cette image détestable déteint sur l’ensemble des policiers et concourt à la formation d’une « légende sombre », pour ainsi dire, qui contribue à élargir le fossé qui sépare police et l’opinion publique : Au Sénégal actuellement , il ya cette rhétorique du rapprochement police-population qui est constamment rabâchée sans aller vraiment dans la direction juste , soit beaucoup de responsables publics parle de proximité sans savoir exactement ce que cela recouvre.
Au demeurant «actuellement les questions posées et les réponses apportées sur le sujet de la sécurité l’ont été dans les mêmes termes des décennies ». , créer une nouvelle structure n’est pas suffisante . La police est marquée «un renfermement de la police sur elle-même» héritée de la France qui «a le système de police le plus centralisé de toutes les démocraties occidentales, avec une marge de manœuvre restreinte laissée aux agents locaux », cela est regrettable d’autant plus qu’on peut tirer de véritables avantages pouvant résulter d’une proximité réelle entre police et population. La communication de la police en direction des populations sénégalaises est inexistante, cela se fait quand vous êtes, soit convoqué ou soit embarqué de force, une police travaille avec sa population et doit être au service de celle-ci, elle doit rassurer mais pas faire peur aux gens.
Comment une police qui travaille ‘’contre ‘’ sa population peut avoir la prétention d’assurer sa protection et sa sécurité ? Elle doit, au contraire travailler avec cette population qui est une source intarissable d’informations et de renseignements puisque les futurs délinquants, dealers, contrebandiers font partie de cette population. Cette toute la complexité des rapports avec les citoyens qui peut modifier positivement l’image de cette institution d’autant plus la police puise ses informateurs (indics) parmi cette population.
Ces «indics» appartiennent soit au «milieu» soit sont en contact étroit avec lui, ce qui pose tout à la fois les problèmes des relations ambiguës entretenues par les policiers – «un vieil agent a des relations et même de mauvaises connaissances» de l’influence de telles relations – «des agents mêlés à la vie et aux habitudes des malfaiteurs ne peuvent se recommander par la pureté du caractère et la dignité des mœurs» et des risques de corruption qui en résultent – «Il y a des indicateurs que l’on tient mal, mais il y en a qui vous tiennent très bien» Cet emploi d’indicateurs est une autre cause de soupçon : on confond le policier avec le mouchard qu’il emploie, avec les repris de justice qu’il paie : «L’emploi de l’indicateur est une méthode répugnante, pleine d’inconvénients… dont le pire défaut est qu’elle compromet presque autant celui qui emploie le mouchard que le misérable qui se prête à cette inélégante collusion… Le public tend à confondre l’employeur et l’employé… Si le métier de policier qui pourrait être le plus noble de tous est le plus récrié, c’est à l’emploi systématique du mouchard que nous le devons» Ce système présente encore d’autres inconvénients. Pour obtenir des renseignements, il faut une monnaie d’échange. Plus que l’argent -il existe officiellement dans le budget de la sûreté des «primes d’indication» pour payer les indicateurs, mais elles sont dérisoires- le principal moyen de paiement employé par la police est le «condé», c’est-à-dire une tolérance administrative, un délit sur lequel on ferme les yeux.
Mais le non-sens d’un tel raisonnement n’échappe à personne et surtout pas aux policiers eux-mêmes : « Fermer les yeux sur la rupture de ban, la désertion, le recel, le chantage, c’est protéger une infraction certaine pour en réprimer d’hypothétiques », en d’autres termes, le policier laisse des criminels en liberté pour obtenir des renseignements qui devraient lui permettre d’en arrêter d’autres, devenant du même coup le complice objectif de ses « protégés ». Pire encore, le principe est en lui-même générateur de criminalité puisque, pour échapper aux soupçons, il est obligatoire que l’« indic » commette lui-même des crimes et délits ou les suscite Enfin, les indicateurs sont d’autant plus dangereux qu’ils imaginent que leurs délations leur assurent l’impunité et qu’ils se font un bouclier de leurs relations et protections policières. On comprend pourquoi, « condé » et « indication » sont deux tares attachées à l’image des policiers et constamment dénoncées.
De toutes ses fonctions ce sont celles liées à la politique qui suscitent le plus de réprobation, de mythes et de légendes noires. «Armée de l’intérieur», la police, entre toutes ses tâches, est également chargée de la sûreté intérieure de l’État, de la «sûreté générale», mission qui englobe tout à la fois la sécurité du chef de l’État, la défense du régime, la surveillance de tous les agissements d’où pourraient naître complots, attentats, troubles civils. Cette tâche éminemment politique connue traditionnellement sous l’appellation de «haute police» semble lier indissolublement la police aux régimes dictatoriaux dont elle constitue une des armes essentielles, un moyen de gouvernement en même temps qu’un symbole. Ne répugnant ni aux ragots de voisinage, ni au viol de la correspondance, s’introduisant dans la vie privée, usant de mouchards ou de délateurs stipendiés, ne méprisant ni le faux complot ni la provocation, le policier politique, le «sbire» compose une des figures les plus détestées de la police: les cas de favoritisme accordé à certains prisonniers incriminés dans des affaires de drogue dure avec l’administration et qui ont été relatés dans certains médias( affaire Obi Mikel par exemple).
Cette réputation épouvantable liée aux missions – le «mouchardage politique» – et aux méthodes – l’emploi de provocateurs et de délateurs – explique que des policiers, les premiers à souffrir d’une image qui leur colle à la peau, aient réclamé que la police soit débarrassée de ces fonctions «déshonorantes».
Le «no man’s land juridique» dans lequel se mouvait la police des mœurs, les erreurs dramatiques commises par ses agents, leur arbitraire et leur totale impunité, leur corruption légendaire expliquent que l’agent des mœurs soit la figure la plus vilipendée de toutes. L’image de la police des mœurs, déjà détestable du fait de ses erreurs, de ses pouvoirs et de son arbitraire, est encore, si cela est possible, dégradée par le soupçon général de corruption, de débauche, d’ivrognerie, de malhonnêteté qui l’entoure au point que le prix à payer pour cette mission à laquelle l’institution est très attachée en raison même des avantages qu’elle y trouve, semble disproportionné. Les charges féroces contre des policiers corrompus recevant ou exigeant -par la menace ou en échange de dérogations aux règlement- des cadeaux ou de l’argent des tenancières, des filles ou des souteneurs, celles contre des policiers proxénètes jouant le rôle de «courtiers», fournissant directement des maisons closes ne se comptent pas. L’image du policier des mœurs est épouvantable.
Autant qu’à ses méthodes réelles ou supposées, l’image sombre de la police sénégalaise tient aussi à l’ombre portée de ses pères fondateurs, à ses origines rien moins qu’honorables qui constituent une hérédité chargée. A suivre…
Daouda Badji
Docteur en Sociologie et sciences po , enseignant-chercheur Institut d’Etudes Politiques ( IEP Toulouse)
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