Lorsque l’Action sociale et la Santé furent à nouveau réunifiées après 15 années de séparation, certains acteurs des deux secteurs applaudirent. D’autres sont restés perplexes, frileux et sceptiques du fait d’une valse incessante de la Direction de l’Action sociale d’un ministère à l’autre et d’un premier compagnonnage avec la Santé jusqu’en 1997 qui n’a pas été bénéfique pour l’Action sociale. Il faut dire que celle-ci a toujours été malmenée et utilisée comme instrument pour appâter les bailleurs de fonds avant d’être jeté à la poubelle, mais également comme prétexte pour dilapider des ressources publiques sous le couvert d’œuvres sociales caritatives. Ainsi l’Action sociale passa-t-elle d’un ministère à l’autre sans aucune visibilité de ses actions, car vidée de son contenu et sans jouer véritablement un rôle efficace dans la politique de protection sociale.
Pour illustration, il a été constaté dans les années 90, période pendant laquelle l’Action sociale et la Santé ont cheminé dans une même entité ministérielle, les volets la concernant avaient été pris en compte lors de la conception et de l’élaboration du Programme de Développement Intégré de la Santé (PDIS). En 1997 marquant le début d’exécution du PDIS et de l’application des transferts de compétences aux Collectivités locales, les deux secteurs furent à nouveau séparés avec la création du ministère de la famille et de l’enfance. Par souci de bonne gouvernance, les bailleurs de fonds refusèrent catégoriquement le transfert des fonds de l’Action sociale du ministère de la santé vers celui de la famille. L’Action sociale perdit ainsi sa part du PDIS, malgré les efforts fournis par le ministre de la Famille de l’époque.
Cette valse continua avec l’avènement de l’alternance en 2000, notamment avec la mise en place de plusieurs combinaisons dans le domaine de la protection sociale : ministère de la Famille et développement sociale, ministère de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, ministère du Développement sociale et de la Solidarité nationale, ministère de la Famille, du Développement social et de l’entreprenariat féminin, ministère de la Solidarité nationale etc). La Direction de l’Action sociale bras technique de la politique de protection sociale est passée d’un ministère à l’autre selon des formules inadaptées et souvent clientéliste. Des formules qui ne prennent pas en compte les avis de l’ensemble des acteurs évoluant dans le secteur de l’Action sociale malgré les recommandations des Assises nationales organisées par le Syndicat national de la santé et de l’Action sociale (SUTSAS).
Au niveau local, les fonds de secours aux nécessiteux alloués aux collectivités locales dans le cadre des transferts de compétences de l’Action sociale étaient gérés de façon nébuleuse et secrète à l’insu des services techniques à la base.
La Solidarité nationale qui était la nouvelle formule du régime du président Wade, a été mise en exergue depuis 2003 et pratiquée suivant une formule inadaptée. Cette solidarité s’était exclusivement focalisée sur la prise en charge alimentaire (distribution de vivres) à des citoyens nécessiteux.
Or le concept d’Aide sociale primitif, même s’il est maintenu pour certaines catégories, a évolué pour épouser les contours d’Action sociale plus dynamiques, car tournés vers l’autopromotion et le développement. Cette approche avait pour objectif de promouvoir la réinsertion sociale. C’est une Action sociale accompagnatrice qui consiste à aider les groupes vulnérables à trouver les voies et moyens de se prendre en charge eux-mêmes, de promouvoir leur autonomie et à la longue de se passer de l’assistanat. Les assises nationales de l’Action sociale avaient bien formulé des recommandations dans ce sens. Auparavant, l’annonce du président de la république de l’époque de s’inspirer du modèle tunisien était en phase avec les recommandations des assises du SUTSAS.
Malheureusement dans la pratique, le concept de solidarité national n’a pas imprimé ses marques. Ce modèle n’a pas été exécuté tel que conçu et pratiqué en Tunisie. Le Sénégal l’a mal adapté dans son contexte. À la limite, le gouvernement hérita même les tares du système tunisien que le docteur en économie politique Béatrice Hibou, directeur du CNRS appelait une gestion clientéliste de la ressource. Selon ce spécialiste « il n’a eu en Tunisie ni grille de répartition des ressources, ni évaluation des actions menées, ce qui laisse craindre, plus qu’une non redistribution effective, une gestion clientéliste des ressources. La solidarité est instrumentalisée dans ce pays par le pouvoir, afin de renforcer son contrôle sur la population, en déterminant les « bons » et les « mauvais » pauvres, en canalisant les pratiques de charité, en renforçant le quadrillage de la société par le parti dont les cellules locales sont notamment chargées d’identifier les récipiendaires ».
Jusqu’en 2012, le même scénario a fonctionné au Sénégal. La solidarité nationale et ses fonds n’avaient pas servi qu’à une clientèle particulière. Pourtant une bonne dynamique était enclenchée au départ, notamment avec le premier et lucratif téléthon organisé par Farba Senghor, à l’époque ministre délégué à la solidarité nationale. Téléthon qui, jusque-là n’a jamais fait l’objet de bilan.
L’ancien régime venait de briser un élan, un esprit noble qui en réalité, avait réactivé les réseaux traditionnels de solidarité qui faisaient partie de nos valeurs sociales. Des mains inexpertes se sont emparées du secteur en le détournant de sa mission première.
Telle que appliqué sous le régime de Wade, la solidarité nationale a littéralement délaissé ses ambitions premières en se focalisant sur une seule approche : la distribution de vivres aux nécessiteux. Pire, ces distributions ont été sélectives et sectaires et s’opéraient loin des sphères techniques déconcentrées de l’État (Centres de Promotion et de réinsertion sociale) et avec des pilotages à vue.
Avec l’actuel régime et sous l’impulsion du Ministre de la Santé et de l’Action sociale, les nouvelles orientations augurent des lendemains meilleurs notamment :
• l’amélioration du dispositif institutionnel à travers la création d’une Direction générale de l’Action sociale dont les trois (3) Directions nationales qui la composent, techniquement offrent plus de visibilité
• l’élaboration d’un Plan stratégique de l’Action sociale pour dix ans (2015-2024) en vue prendre en charge des multiples facettes de la vulnérabilité, dans le cadre de la Protection sociale articulée autour du PSE.
• La création d’une bourse de sécurité familiale
• La couverture maladie universelle (CMU) dont l’Action sociale a un rôle de premier plan
Toutefois on se demande aujourd’hui si la création d’entités différentes en matière de protection sociale garantie l’efficacité en terme de résultats ? Participe-t-elle à la bonne gouvernance ? N’alourdit-elle pas l’imputabilité ?
Cependant la Solidarité nationale et tous les autres programmes disséminés doivent être intégrés à la Direction générale de l’Action sociale pour donner à cette dernière toute la plénitude de sa vocation sous l’impulsion de techniciens spécialisés au sommet et à la base. Cela ne fera que renforcer le Ministère de la Santé en termes d’efficacité et d’efficience par l’optimisation des ressources.
D’un autre angle, le travailleur social, un des agents qui maîtrise le mieux les organisations communautaires et leurs difficultés, représente l’acteur principal le mieux indiqué sur lequel l’État peut compter pour prendre en charge sa politique de protection sociale.
Dans ce contexte il (le travailleur social) doit se départir des méandres d’acteurs passifs vers un nouvel « engagement » plus actif au côté de l’État.
Alioune SECK
Assistant sociale, Diplômé
d’études supérieures spécialisées en Santé communautaire
de l’Université de Montreal/CANADA
E.Mail : seckbaye 61@hotmail.fr
Kaolack