Si nous tentons de définir le mot «syndicat» comme une association permanente de salariés qui se propose de défendre et d’améliorer les conditions de contrat de leur travail, nous pouvons dire à raison que l’existence d’une telle structure en milieu professionnel est fondamentale, vu sa noble mission de défense des intérêts des travailleurs. Force est de constater qu’en Europe, l’existence de certaines doctrines telles que le socialisme et le syndicalisme, ont grandement contribué à la transformation de leur société et à l’amélioration du sort des travailleurs. Elles ont également permis l’avènement d’une société juste. Nous pouvons à titre d’exemple citer ici deux nations de grande démocratie à savoir la France avec sa fameuse Révolution de 1789 et l’Allemagne avec son mouvement de protestation appelé «¬Sturm und Drang» («Tempête et Passion», un mouvement à la fois politique et littéraire allemand de la seconde moitié du XVIIIème siècle qui correspond à une phase de radicalisation dans la longue période des Lumières) pour un peu étayer notre argument.
Cette petite esquisse de l’histoire syndicale en Europe me permet de poser la problématique de la situation actuelle des syndicats d’enseignants au Sénégal. Risquer aujourd’hui de parler de la grève qui sévit dans l’école sénégalaise, c’est à mon avis oser débusquer tous les obstacles qui freinent sa marche normale. Pour cela, il nous faudra passer de l’abstrait au concret, de la réflexion à la réalisation parce que nous connaissons tous l’origine des problèmes, mais on a l’impression que personne et même nos représentants syndicaux n’osent pas pointer du doigt la vraie question. J’avoue que cela fait juste trois ans que je suis entré dans le corps, mais cette courte expérience me permet d’identifier les points forts et les points faibles du système. Mon intention n’est point de vous livrer des informations que vous ignorez, mais juste de faire de modestes propositions à nos syndicalistes, parce que je demeure convaincu que la solution à nos problèmes ne passera que par l’intégration de la totalité de ceux pour qui le combat est mené. Mon analyse sera très simple, bâtie sur des exemples concrets et ouverts au jugement de tous les acteurs de l’Education pour en peser la validité ou non. Tout d’abord, je vais partir d’un passé reluisant, ensuite aborder le présent chaotique et parler dans la troisième partie de l’avenir hypothétique du système éducatif sénégalais. Je terminerai mon analyse par des orientations qui pourraient servir de solutions à la crise.
L’intérêt du premier point est de nous rappeler certains faits majeurs qui ont positivement marqué l’école sénégalaise. D’abord, le Sénégal a toujours été considéré comme une référence en matière d’éducation. Dakar étant la capitale de l’AOF, bon nombre des premiers cadres sénégalais et de la sous-région ont fréquenté des écoles d’excellence dont la plus illustre est sans conteste l’ECOLE NORMALE WILLIAM PONTY. Avant, il y avait un seul et unique ministère de tutelle qui était celui de l’Education Nationale qui gérait toutes les questions relatives à l’enseignement et à tous les niveaux. L’amour du travail bien fait et la qualité de la formation des premiers enseignants du Sénégal après les indépendances, ont jusqu’à présent laisser des marques indélébiles sur une bonne partie de l’actuelle génération. Je citerai au passage quelques figures de proue telles que Léopold Sedar Senghor, Cheikh Anta Diop, Cheikh Amidou Kane, Birago Diop, Aminata Sow Fall, Mariama Ba, Marouba Fall, Iba Der Thiam etc. Ces grands intellectuels penseurs ont marqué, d’une manière ou d’une autre, l’histoire mondiale en général et africaine en particulier. La soif du savoir de la part des apprenants était aussi un atout qui permettait aux enseignants d’atteindre facilement les deux indicateurs de qualité que sont l’efficience et l’efficacité. L’ancienne génération d’enseignants était très consciente de la mission éducatrice de l’école qui ne se limitait pas seulement à la simple transmission de connaissances. Tous les faits que je viens d’énumérer avaient quelque chose en commun: le credo de l’excellence.
Le deuxième point portant sur le présent chaotique du système éducatif est pour nous une occasion de souligner tous les problèmes qui freinent quotidiennement la bonne marche de l’école sénégalaise. J’avoue que ce n’est pas toujours de la sinécure pour moi de devoir parler du milieu dans lequel j’évolue en des termes pas du tout élogieux. Mais je crois que lorsqu’il s’agit de dire la vérité, il me paraîtrait aberrant de chercher à la masquer ou à l’enduire de beau ou de contradictoire. Ce serait ridicule et non avenu. À mon avis, le tableau que révèle la situation présente de l’école sénégalaise, affiche beaucoup de carences et ceci ne fait que ternir notre image. D’abord, nous notons çà et là une prolifération démesurée de syndicats au sein d’un même corps. Je pense vraiment qu’on ne gagnerait rien avec cette panoplie de syndicats, parce que chacun de son côté cherche à avoir plus de candidats pour plus de représentativité.
Dans cette multitude de syndicats, on a l’impression d’avoir des partis politiques devant nous, par conséquent les préoccupations ne semblent pas être les mêmes. Nous avons en réalité un dysfonctionnement total à tous les niveaux et nous pensons pouvoir convaincre l’Etat et l’amener à satisfaire nos plates-formes revendicatives. La pire des erreurs commise par nos dirigeants, est le fait de regrouper plusieurs syndicats dans le Grand Cadre, sans au préalable analyser tous les paramètres qui entrent en jeu dans un combat syndical. Le discours tenu par le Supérieur est différent de celui du Moyen, du Secondaire et de l’Élémentaire parce que les intérêts ne sont pas compatibles. La validation qui est mise en avant par bien des syndicalistes au détriment d’autres points de revendication qui, semblent pourtant être plus en adéquation avec les textes sur le point de vue de la légalité et de la légitimité, pose problème. Au cours de l’histoire, l’Etat, dans sa politique d’élévation du taux de scolarisation, a senti le besoin de recruter des vacataires pour combler le manque de professeurs.
Ainsi, le vacataire était payé en fonction du nombre d’heures et restait sans salaire pendant les trois mois de vacances. Je précise au passage que l’agent concerné savait au préalable toutes les conditions qui l’attendaient au cas où il aurait accepté. Par la suite, des syndicats bien structurés ont lutté jusqu’à ce que certaines faveurs leur soient octroyées. C’est ainsi que le gouvernement d’alors a accepté de prendre ces derniers sur la base d’un contrat qui prendra en compte le paiement total des douze mois. De négociations en négociations, l’Etat a accepté la formation à distance de ces derniers et plus tard leur intégration dans la Fonction Publique. De vacataires, ils sont maintenant devenus des fonctionnaires. À mon avis, on ne peut pas vouloir le beurre et l’argent du beurre. Soyons de bonne foi, concentrons-nous sur l’essentiel et tapons fort sur la table si nous voulons que le gouvernement nous écoute et évitons toute application qui pourrait mener à un malaise, ou créer des injustices.
Apparemment, le point portant sur la validation est plus mis en avant par nos représentants syndicaux. L’application de celle-ci ne remettrait-il pas en cause l’existence du concours d’entrée ou de sortie de l’Ecole Normale Supérieure ? Ne serait-il pas plus judicieux et plus facile pour l’Etat d’assurer l’augmentation des salaires ou de l’indemnité du logement à tous les enseignants sans exception que de vouloir supporter des rappels de dizaines ou de vingtaines d’années de vacation à un groupe d’individus? La vérité est que le Président de la République du défunt régime a, pour des raisons électoralistes, signé l’accord sans pour autant tenir en compte les textes et les réglementations de la Fonction Publique sur la question. Je trouve que ce serait une façon de discréditer la FASTEF. Au moment où des sortants de la FASTEF sont affectés à plus de 500 kilomètres de chez eux, n’ayant plus la possibilité de poursuivre les études doctorales, d’autres, à travers leurs attaches dans les Inspections d’Académie, ont purement et simplement décidé de passer par la vacation pour pouvoir rester à Dakar ou chez eux.
Les syndicats doivent bien réfléchir sur la légalité et la légitimité de certains points avant de les coucher sur une plate-forme revendicative, parce le problème de la vacation ne touche pas seulement le corps enseignant. Cela doit passer par une révision de la loi 61-33 du 15 juin 1961, et vous savez que ceci ne relève pas uniquement du Ministère de l’Education Nationale. En toute chose, nous devons toujours peser le pour et le contre avant de prendre une quelconque décision. Arrêtez de nous mettre en mal avec nos collègues et ou avec les Sénégalais. Aujourd’hui, nous voyons des syndicalistes qui ne descendent jamais à la base pour discuter avec les professeurs, et ils prétendent ainsi vouloir nous défendre en étant dans les bureaux et devant les journaux. Ceci n’est rien d’autre que la supercherie, arrêtez de nous exploiter pour assurer votre propre ascension sociale, bref votre promotion. Pour défendre une personne, il faut connaitre ses problèmes.
Au troisième point de mon analyse intitulé futur hypothétique, je tenterai de parler de la triste situation des apprenants. Depuis quelques semaines, nous avons constaté que bien des enseignants suivent les mots d’ordre de grève, quand bien même ces derniers risquent de revenir dans les classes, comme depuis des années, pour balancer aux élèves des polycopies et bâcler les cours, par souci de terminer le programme. Et pourtant, nous sommes très prompts à décrier le niveau faible des élèves, mais est-ce qu’il nous arrive, à un seul moment de notre carrière, de penser ou de méditer sur notre part de responsabilité sur la question ? N’est-il pas temps de changer de méthode de combat ? Est-il juste de quitter les classes sans pour autant être en mesure d’expliquer au Sénégalais lambda le motif réel de la grève ? Avons-nous toujours la conscience tranquille, si, à la fin du mois nous allons à la banque pour récupérer nos salaires même si nous n’avons pas fait notre devoir ? Est-il normal ou éthique, pour motif de grève, d’abandonner les classes de ton établissement d’origine pour aller dispenser des cours dans une école privée, alors que les élèves passeront les mêmes examens (BFEM, Bac) ? Pensons-nous avoir de satisfaisants résultats ou de bons élèves dans ces conditions ? Il est vrai que l’expérience a montré que les élèves de maintenant n’apprennent plus, malgré l’existence des moyens mis à leur disposition, mais nous en avons aussi une part de responsabilité, si nous prenons en compte les interrogations ci-dessus. Pour moi, je pense qu’il serait bien qu’on pense un peu à l’avenir et au devenir des enfants puisqu’ils sont appelés à diriger le pays.
Dans cette dernière partie de mon analyse, je tenterai de proposer des pistes de réflexions qui pourraient mener à une fin heureuse :
1. Essayer de nous soumettre individuellement à cet exercice d’introspection pour savoir les moyens que nous nous donnons pour assurer à nos élèves un avenir heureux.
2. Une démarche participative de la part des dirigeants syndicaux serait aussi une bonne chose. Cela suppose une descente sur le terrain de la part des responsables pour faire un sondage d’opinions au niveau de tous les acteurs (les enseignants).
3. Un travail de sensibilisation au niveau des A.P.E (Associations des Parents d’Elèves) et des organes de presse sur les véritables raisons de la grève pour faire valoir la légitimité du combat.
4. Comme l’a suggéré Monsieur Waly Ndiaye, (Conseiller en Paix et Développement aux Nations Unies) dans un des ses articles, qu’un petit groupe de 2 ou 3 citoyens respectables et crédibles décide de prendre contact avec les responsables syndicaux et avec le gouvernement, pour les convaincre d’accepter chacun de faire un geste et de prendre un engagement traduisant une volonté et une bonne disposition à faire baisser la tension et à permettre d’initier un processus de recherche d’une véritable solution à la crise
5. À l’avenir, éviter de surcharger la plate-forme revendicative pour pouvoir lutter efficacement parce que, comme le dit l’adage, qui trop embrasse, mal étreint.
6. Mettre plus l’accent sur la carrière de l’enseignant pour l’amélioration de notre traitement dans la fonction publique au même titre que les autres fonctionnaires de l’Etat et non rester là à nous attarder sur des miettes.
7. À l’instar des hommes de tenue, nous devons veiller à ce que la hiérarchie soit respectée dans l’enseignement. Je trouve inconcevable et injuste qu’on applique le même traitement à des agents qui ont des niveaux d’études différents (BFEM, Bac, Licence, Maitrise etc.).
8. Bref, je propose à ce que la méthode de lutte ne soit pas forcément l’abandon des classes parce que je demeure convaincu que la clé du changement se trouve dans la remise en cause radicale de nous mêmes et de notre souhait réel pour notre pays.
9. Pour les trois mois de vacances, mettre sur pied un comité indépendant et neutre chargé de veiller au strict respect des textes avant l’ouverture des classes en octobre. À mon avis, ceci pourrait éviter les perturbations en pleine année scolaire et pousserait le gouvernement à respecter scrupuleusement ses engagements, sans quoi, pas de rentrée scolaire.
10. Que nos responsables syndicaux s’imprègnent davantage des textes et des réglementations de la Fonction Publique et surtout de la loi relative au statut général des fonctionnaires pour une lutte beaucoup plus efficace.
J’aimerais préciser que cette contribution ne constitue en rien une attaque contre qui que ce soit, mais, au contraire, une manière pour moi de lever certaines équivoques du mouvement syndical. D’ailleurs, cela nous permettrait d’éviter de revenir sur les mêmes problèmes chaque année. Espérant que cette contribution trouvera une oreille attentive auprès des responsables syndicaux et des autorités étatiques, je vous prie, chers collègues et acteurs de l’Education Nationale, d’agréer l’expression de ma considération distinguée.
Gabriel THIOR
Professeur d’Allemand au Lycée de Bambey.
Email : gabrielthior@yahoo.fr