Sur les traces d’un pensionnaire de cette contrée, aliéné, fou de la vie de paumé, fou des contradictions nées de la condition de quidam sollicité de par le monde. Il se dit musulman ; il parle le langage des sauvages capitalistes ; il se conduit tout à fait en possédé, prêt à prier son Dieu et disposé à massacrer les plus fragiles. Seikh Ndiaye, de son nom d’indigène, comme n’importe qui dans ce pays, capable d’endurances et de duplicités, il se cherche. Il a tenté l’idéal d’assimilé, il a ensuite accepté la réalité d’obligé, le voilà tout révolté contre l’oppresseur mutant et intraitable à chaque fois. Seikh Ndiaye est fou, non pas de solitude ou de peine, mais de rivalité et d’enchère des valeurs inhabituelles.
Délirant, il trouve dans la proximité avec les djinns et les génies une réponse fabuleuse à son déséquilibre psychique. Il bascule entre le procès des mauvais sorts jetés par jalousie ou par animosités et l’excuse des « farou rap », démons rivaux, des nuits sans lendemain. Mais, tout cela ne tient à rien puisque les forfaitures sont quand même socialement condamnées, malgré les multiples justificatifs ténébreux et surnaturels. Il ne prend pas la peine de questionner les changements intervenus dans l’organisation de la cellule familiale, mutations féminisantes incognito.
Le vendredi matin, sur le chemin du bureau, Seikh Ndiaye fait offrande aux divinités païennes pour se protéger des mauvaises langues. Une fois à son lieu de travail, il s’improvise planificateur rationnel, maitre de son destin jusqu’à midi tapant. À l’appel du muezzin, il arbore son caftan arabisant pour mieux s’illustrer frère commun en la foi. Sitôt les salamalecs prononcés, sa femme, aux allures de bourgeoise provinciale, perruque bien ajustée, teint dépigmenté, rafistolée des tendances du marché et brutalisée également des reflexes de soumission, s’empare de lui, pauvre névrosé.
Il est en représentation jusque dans son lit, en ébat, acculé par les aspirations nouvelles des femmes à combler de goûts et de variétés. Sa meuf lui reproche son égoïsme d’homme périmé qui ne satisfait plus au désir longtemps inassouvi de femme devenue partie prenante des délassements et des démonstrations d’intensité. Seikh Ndiaye apprend à être père alors que cela devait couler de source. Cette tâche, normalement de reproduction approximative du schéma d’enfance, exige dorénavant des efforts de compréhension et de douceur. Il faut, à présent, suivre le déchainement inédit des modèles irréguliers et des imbécilités ébranlantes.
Maintenant que la barrière coutumière a sauté, la crise d’adolescence est à l’ordre du jour. Elle a toujours été présente, sauf que les cibles ont changé d’apparence. N’ayant pas eu la possibilité de l’exprimer dans l’espace familial tellement les balises étaient tranchantes, Seikh Ndiaye n’a pas eu le choix que de s’en prendre à des causes communes. Ne nous étonnons pas que les pays du tiers-monde soient plus politisés que ceux dits modernes. Voies de contournement, les systèmes politiques se sont substitués à l’autorité familiale quand venait le temps d’exprimer le besoin d’affirmation. Le cadre familial n’a pas consacré d’espace d’expression des tensions juvéniles et individuelles.
Seikh Ndiaye, l’interné, reflet des autres associés, regrette les « ndeups ». Dans ces cérémonies folkloriques, le rythme est l’élément d’intercession entre le collectif et l’individuel. Le sujet appelle les dieux. Cela se traduit en langage didactique par l’idée de fissuration de l’inconscient personnel. Une accélération rythmique active la danse et agit sur les pulsations cardiaques et les mouvements respiratoires, en élevant leurs fréquences jusqu’à dépasser le seuil de la normalité. Il tombe en transe et nomme l’affect qui l’habite. En langage mythique, il dénonce l’esprit qui le possède.
Coincé dans les artifices de la mondialisation, goulot d’étranglement, Seikh Ndiaye a renoncé à ses origines. Sans rien attendre de l’Afrique et de ses apparats, de ses ancêtres, il mise sur la ressemblance avec autrui et espère la reconnaissance. Ce reflexe de subordination le tourmente encore et encore. Désemparé, il persécute les marginaux, déviants et fétichistes, mais ménage, en désespoir de cause, le mâle qui abuse de sa propre fille. Par ailleurs, il ne réserve que silence complice au désarroi du talibé, enfant, vestige de musulmanité, délaissé à la cruauté de la modernité. Chercher l’erreur, elle est dans la confusion, dans le cafouillage, dans le camouflage des questions qui fâchent, dans le cadre conciliant des malices machistes.
Mon pays n’est pas un pays, c’est une succession d’explosions et d’emportements, c’est un terrier de préjudices, tanière de radotes des missionnaires, des moines et des berbères. Y est fou celui qui s’instruit sans repli, y est fou celui qui s’accommode des convenances absurdes, y est fou celui qui s’y veut prétentieusement éclairant. Tout le monde y est en intelligence, soit avec tout le monde, soit avec soi-même, soit contre tous les autres. Mon pays est troublé de réfutations et de refoulements, jamais d’approbations. Voilà lazaret, nouveau genre, camisole de force, qui rend fou de rattrapages et de poursuites.
Birame Waltako Ndiaye
waltacko@gmail.com
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