Le débat sur la transhumance soulevé ces jours-ci est une opportunité pour réfléchir avec sérénité sur des questions qui nous interpellent par rapport à l’avenir de notre pays.
Peu importe le sens de la transhumance en français, c’est le sens que les sénégalais lui donnent qui compte. Ils l’ont internalisé comme une chose abominable, car l’héritage légué par nos ancêtre est fondé sur la fidélité à l’amitié, au compagnonnage, au respect de la parole donnée, à la dignité quelles que soient les vicissitudes de l’histoire, au sens de l’honneur. L’éthique et nos valeurs n’acceptent pas la trahison, et souvent ceux que les sénégalais appellent des transhumants sont considérés comme des traitres.
Les hommes politiques doivent être capables d’intégrer les dimensions socioculturelles des concepts qu’ils utilisent et de prendre en compte les imaginaires des sénégalais dans l’appropriation de ces concepts, comme celui qui a secoué le sénégalais au plus profond de lui même.
Si le Président s’était limité à dire: « qu’il est de son devoir d’accueillir tout citoyen qui désire rejoindre sa formation mais qu’il n’est pas là pour protéger des coupables» les Sénégalais auraient compris. Le véritable message du Président pourrait être résumé dans le concept de recomposition politique qui a toujours existé dans tous les espaces, soit sous forme d’accords entre partis ou d’accords individuels, et parfois cette recomposition est nécessaire quand cela porte sur l’intérêt national. Lamine Guèye de la SFIO et Senghor du BDS se sont séparés et ensuite se sont retrouvés avec d’autres partis pour créer l’UPS. Auparavant en 1956, Senghor fut l’animateur d’une première unification des partis qui avait donné naissance au Bloc Populaire Sénégalais (BPS).
La mobilité politique comme projet collectif ayant conduit à des cohabitations gouvernementales a été parfois un moyen de pacification sociale. De 1964 à 1966 il y a eu un ralliement de plusieurs partis à l’U.P.S., dont le plus en vu a été le P.R.A.-Sénégal, avec l’octroi de portefeuilles ministériels à ses leaders, Abdoulaye Ly, Amadou Mokhtar Mbow et Assane Seck. En 1985 Doudou Ndoye du PDS a été nommé au Gouvernement ainsi qu’Iba Der Thiam, syndicaliste. À l’élection présidentielle de 1993 le PAI a soutenu la candidature d’Abdou Diouf puis en 2007 celle de Wade.
Des formes de mobilités individuelles, ont aussi été observées depuis le temps de la SFIO et du BDS mais ces transhumants avec une charge négative étaient traités de renégats, c’était le concept le plus usité y compris au niveau international. Lorsqu’on a avisé Lamine Guèye, qu’un célèbre militant du BDS voulait rejoindre sa formation, il avait dit ceci : « Fassou Djinéla bo kheuyé guis ka ci sa buntu keur boul dakh boul war ». (Président boudakhoul tamit boumou war).
Il est important d’avoir une capacité prospective et d’anticipation pour bâtir un avenir assis sur le socle de notre histoire faite de dignité, c’est pourquoi il est utile d’inviter les sénégalais à un débat sur la recomposition politique qui est inévitable au vu de la pléthore de partis politiques, plus de 250. Senghor écrivait déjà en 1959 dans une réponse à une lettre du PAI, appelant à l’unité des partis politiques : « tout mécontent fonde un parti pour lancer ensuite un appel à l’unification.» C’est cela je pense qui explique sa volonté au départ de limiter les partis à trois puis à quatre. Au Sénégal, on crée des partis ou des mouvements non pas pour défendre des projets de société ou pour exprimer des divergences idéologiques, mais pour satisfaire une ambition personnelle. C’est un jeu stérile et contreproductif par rapport à toute volonté de conduire ce pays vers l’émergence.
Aujourd’hui, le projet porté par le Président pour le Sénégal du futur exige une recomposition politique mais à condition que celle-ci ne renie pas les valeurs et principes ancrés dans le subconscient des sénégalais. Le dernier des sénégalais, le plus mauvais, au fond de lui même veut être un Garmi. C’est pour cela que le peuple exige des gouvernants qu’ils soient des modèles et des références. Puisse ce débat sur la transhumance déboucher sur une véritable refondation de notre société. Une nation est comme un individu, autant chaque sénégalais a besoin d’appartenir à une lignée glorieuse sans tache qui le rend fier et lui permet de bomber le torse, autant notre pays a besoin d’une histoire dont il peut être fier pour affronter l’avenir. C’est donc de notre responsabilité à tous de faire en sorte que l’héritage laissé par les fondateurs de ce petit pays, mais ô combien respecté de par le monde, ne puisse être sacrifié sur l’autel des ambitions d’individus mus par un seul objectif : la jouissance de biens matériels. Mais nous devons aussi avoir la lucidité de mettre fin à ce jeu de dupes qui explique la pléthore de partis politiques et mouvements de soutien alimentaires pour tendre vers l’idéal de grandes démocraties avec des partis qui ne seront plus la propriété d’individus mais des patrimoines collectifs à léguer à la postérité.
Au moins il y a un consensus sur ce que le sénégalais ne veulent pas. C’est le lieu de poser la question la responsabilité des partis politiques qui aspirent à conduire les destinées de la nation.
Fatou Sow Sarr
Dr en Anthropologie et
sociologie du politique