Wade faisait du « wax, waxeet », Macky fait du « tuur lëndëm ».Wade signalait à gauche puis tournait à droite. Macky ne signale ni à gauche ni à droite ; il actionne les feux de détresse et, arrivé à l’angle, il prend la direction qui l’arrange. « Le moment venu, je ferai ce que j’aurai à faire », aime-t-il à répéter. Mais peut-on décider seul, « déguiser volontairement la vérité » pour se justifier et dire au peuple : « Approuvez ou taisez-vous » ?
Sur l’invasion du Yémen par l’Arabie saoudienne, les Sénégalais veulent juste savoir où seront envoyés leurs fils, frères, maris, pères, amis, et pourquoi. Le président Macky Sall a le droit de leur répondre : « Vous n’avez pas à le savoir. Je suis leur chef suprême. Je les envoie où je veux et je n’ai pas à vous dévoiler les raisons. » Un dictateur n’aurait pas fait mieux, mais ça aurait le mérite d’être clair. Sa Majesté s’en est quand même rapproché en déclarant : « Le chef suprême des armées a décidé. Un point, un trait. Pas de discussions là-dessus. Ça doit être entendu par tout le monde. » Ce qui fait sourire, c’est que c’est lui-même qui lance le débat en avançant des arguments qui n’ont rien à voir avec la réalité. Puis, ne pouvant ou ne voulant pas répondre clairement aux questions de ses compatriotes, celui qui était parti défendre la liberté d’expression en France exige la fermeture des bouches dans son pays.
Son Excellence ne comprend-il pas que les gens ne sont pas dupes et que le « tuur lëndëm » n’est pas ce qu’on attendait de lui ? Est-ce si difficile de dire la vérité au peuple ? Quand on lui avait demandé si le Sénégal allait envoyer 2.000 soldats en Arabie saoudite, il avait répondu que la décision n’était pas encore prise, mais « si les lieux saints sont menacés, nous verrons ce qu’il y aura lieu de faire ». La suite des événements montre qu’il avait déjà pris la décision. Il a fait ce que la presse avait annoncé et a envoyé ses émissaires auprès des marabouts, quand il n’y est pas allé lui-même, pour parler de lieux saints. Étrangement, de tous les membres de la « coalition arabe », les Sénégalais sont les seuls Noirs et seul leur président parle de protéger les lieux saints de l’Islam. Peut-être qu’un ange lui est apparu pour lui révéler ce que tous les autres ignorent.
Maintenant, il dit : « Pour le moment, il ne s’agit pas d’envoyer les Sénégalais au Yémen ». Ce qui inquiète dans cette phrase, c’est « pour le moment ». Oui, nous savons que pour le moment, il n’y a pas encore d’attaque terrestre au Yémen. Et naturellement, l’on se demande ce qui se passera quand ce moment viendra. Comme vous le voyez, c’est encore lui qui lance le débat et fustige ceux qui lui répondent. Si au moins il disait des choses crédibles ! Il dit toujours une chose et son contraire et finit par « Nous verrons le moment venu ». Il ajoute : « Il s’agit de les envoyer à l’intérieur du territoire saoudien lorsque le besoin se fera sentir ». Ça, c’est plus rassurant. Les Jambaar peuvent donc rester au Sénégal puisque ce besoin ne risque pas de se faire sentir. L’Arabie saoudite est en sécurité. A moins que ce ne soit pour protéger la minorité chiite qui en a bien besoin. Tenez, vendredi dernier un attentat terroriste a été perpétré dans une de leurs mosquées, à l’heure de la grande prière, faisant des victimes considérables. On se demande quel terrorisme le Sénégal prétend combattre. Sa Majesté se veut encore plus rassurant avec un « Si demain nous devons aller en Arabie saoudite… » Mais là, on a du mal à le suivre. N’a-t-on pas annoncé qu’il a pris la décision irrévocable d’envoyer les Jambaar au Moyen-Orient ? Pourquoi alors revenir nous dire « si demain… » ? Encore du « tuur lëndëm » ?
Aux dernières nouvelles, on nous dit ceci : « Toutes les dispositions ont été prises pour que ces Jambaar partent. Mais nous n’attendons que le feu vert de l’Arabie Saoudite ». Vous y comprenez quelque chose ? Peut-on être en difficulté, demander de l’aide urgente et tarder à donner son accord pour recevoir cette aide ?
Macky cite les missions des soldats sénégalais dans des pays comme le Congo, le Liban, la Guinée Bissau, le Darfour, la Côte d’Ivoire, le Mali… Ce n’est comparable en rien avec ce qui se passe actuellement et nous le savons tous. Dans chacun de ces cas, on avait dit la vérité au peuple. Et toutes les opérations de maintien de la paix ont été validées par l’Onu ou la CDEAO. Il cite même la France et ses morts dès les premiers jours au Mali. François Hollande n’avait pas dit aux Français que c’était pour protéger les mausolées des saints ni que les troupes seraient stationnées au Sénégal. De plus, cette décision, débattue à l’Assemblée nationale française, était presque unanimement approuvée par la classe politique et par l’opinion publique. Et ceux qui étaient contre cette intervention militaire s’exprimaient sans qu’on leur intime de se taire. Aussi, tout comme le Sénégal, la France est un pays ami de l’Arabie saoudite, mais si son président décidait tout seul d’envoyer des troupes au Yémen, il serait vivement critiqué par ses compatriotes.
L’ultime argument de Macky, aussi infondé que les autres, est qu’il s’agit d’aider un pays ami en difficulté. En effet, ce n’est pas facile de bombarder un pays souverain et d’y faire entrer des troupes armées pour y imposer le président qu’on veut.
Le discours du chef suprême devient alarmant avec ces propos : « Si demain, un pays ami comme l’Arabie saoudite ou comme n’importe quel autre pays nous demande d’intervenir et que nous en avons les capacités, nous le ferons et nous le referons. » Depuis plus d’un mois, il répète que c’est l’Arabie saoudite qui a demandé des troupes et maintenant il le met au conditionnel. Y a pas à dire, monsieur a le clair-obscur inscrit dans les gênes. Mais c’est la suite de sa phrase qui nous tourmente. Doit-on comprendre qu’il ne s’agit pas de savoir qui a tort ou raison ni de se demander ce qui est légal et ce qui ne l’est pas ? Suffit-il d’être un pays ami pour passer une commande et recevoir des Jambaar ? Si oui, prions pour que d’autres pays amis n’attaquent pas leurs voisins. Car des amis, le Sénégal en a à revendre. Ces jours-ci, c’est le Maroc qui est acclamé. Le roi Mohamed VI sait donc à qui s’adresser quand il sera « en difficulté ». Avec Macky, on n’a plus besoin de passer par l’Onu et les autres organisations internationales. Il décide tout seul et nul ne doit rouspéter.
Ses arguments étant vraiment trop légers pour justifier des décisions trop sérieuses, le roi du Sénégal ne peut qu’exiger la clôture du débat. Certes, on peut museler la liberté d’expression, mais peut-on interdire aux gens de réfléchir ? Dans une démocratie, un chef d’État qui ne supporte pas qu’on le contredise doit dire la vérité ou se taire.
Bathie Ngoye Thiam.
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