« Le tourisme est à l’agonie » est le refrain sans fin servi à un peuple qui aspire pourtant à « l’émergence »-pour se référer au terme consacré. Cette fausse note découle d’une politique incohérente, d’une administration en carence de compétences, d’acteurs peu performants et d’un système fonctionnant selon des schémas obsolètes. Le tourisme sénégalais est structurellement axé sur l’hébergement et la restauration.
Il est fondamentalement tourné vers les activités balnéaires. Les équipements vieillissants et les plages disparues dans les stations balnéaires du fait de l’érosion côtière, il est logique que les touristes désertent la destination. Ne reviennent en séjour que la clientèle passionnée par le Sénégal et les touristes d’affaires. Le tableau n’est point reluisant avec une cohorte de touristes historiquement francophones ; une mainmise des promoteurs étrangers dans les maillons de l’hôtellerie et du tour operating ; des agences de voyage limitées à la billetterie aérienne ; des emplois précaires et peu rémunérés ; une saisonnalité de l’offre d’une absurdité effarante.
Le segment de l’offre et des services est basique, il est bien mince et se rétrécit comme peau de chagrin. Le diagnostic des maux du secteur étant fait et bien connu, les responsables rasassent ces problèmes en guise de prétextes pour masquer leur impuissance. Pour porter l’estocade au patient, la destination Sénégal est victime d’une communication désastreuse entretenue au sommet et à la base. La danse macabre des alibis, formule récurrente au Sénégal, est de mise pour se dédouaner et assister aux funérailles d’un secteur pourtant prometteur.
Les mesures prises récemment par le Président de la République à Ziguinchor sont salutaires. Elles ne constituent pas une panacée, mais ont l’avantage de gommer des arguments brandis par des acteurs pour expliquer la crise dans le secteur touristique. Ces thèses qui justement faisaient fuir les touristes au lieu de les inciter à venir visiter le Sénégal. L’on a même réussi la prouesse de faire du Sénégal une destination à risque, infestée par la saleté, l’insécurité, la mendicité et l’Ébola…
A force de communiquer sur les faiblesses réelles et supposées, l’on a oublié d’exploiter les atouts, les bonnes cartes. Il faut inverser la tendance pour que le chant du cygne soit la chanson du rossignol.
Il existe en effet un vaste champ du tourisme à investir et qui peut valoir des investissements, des emplois et des revenus. Pour ainsi dire qu’il faut apporter des solutions aux problèmes déjà identifiés et mieux, exploiter dans une démarche durable les ressources qui végètent à l’état de potentiel. Il faudra lancer une véritable industrie touristique dans la diversité des territoires et terroirs.
Le tourisme a littéralement changé de visage. Cette activité est désormais tournée vers les activités de découverte des attractions culturelles ou naturelles et des expériences de vie originales. Il repose sur des niches de produits d’une diversité sans commune mesure allant du sport à la mode, à titre indicatif. Qui plus est, avec la révolution numérique, les activités de services s’opèrent via internet. Ce qui fait de Google et des entreprises de l’économie numérique parmi les plus grands opérateurs touristiques.
Ce changement de paradigme est une chance pour l’économie touristique sénégalaise qui présente un cycle en déclin mais susceptible de se relancer au regard du potentiel existant et des opportunités du moment.
Le secteur reste un excellent créneau pour l’investissement local et le développement des territoires par une ingénierie du tourisme, de la culture et des loisirs.
L’Etat doit mener son action dans l’aménagement et l’accessibilité des sites et renforcer son rôle d’orientation et d’encadrement en faisant valoir des mesures incitatives liées à l’investissement, au financement du secteur et à la création d’entreprises touristiques.
L’Etat doté d’une administration touristique à niveau, peut poser la rampe de la relance du secteur touristique avec l’implication des collectivités locales et la mise à contribution des universités. Toutefois, l’économie du tourisme repose sur des initiatives privées. Il s’agit de renforcer le réseau des offices de tourisme et syndicats d’initiative et mettre en branle une dynamique d’ensemble tant le tourisme sollicite des compétences opérant dans différents domaines d’activités.
Autrement les acteurs en synergie devront agir sur deux leviers : l’attractivité de la destination et la compétitivité des services offerts à la clientèle. Ceci requiert tout un programme de refondation du secteur touristique que le nouvel aéroport censé former un hub du transport international pourrait impulser.
Le Sénégal un pays naturellement attractif ayant une excellente réputation, étant un havre de paix, devrait profiter des remous politiques qui secouent les destinations concurrentes d’Afrique du Nord.
Au préalable, des efforts relatifs à la diversification et à la structuration de l’offre devront être menés. Pour fabriquer des produits touristiques, il faut un potentiel naturel, des ressources culturelles et des infrastructures de communication et d’accueil. A cela s’ajoute la prise en compte des dimensions commerciales, géographiques, culturelles et temporelles dans la conception. Sont également cruciaux les volets relatifs à la valorisation du patrimoine culturel et à la mise en tourisme systématique des espaces et des ressources.
Cet axe nécessite la mise en réseau des activités touristiques et la formation, voire le renforcement des capacités des professionnels du secteur.
La conquête du marché intérieur et des marchés émergents en Asie, en Amérique, dans les pays du Golfe et en Russie est à la portée du Sénégal. Des formules comme le tourisme « halal » sont à prospecter. Avec le développement des technologies de l’information et de la communication, les acteurs devront opérer une présence significative dans les plateformes multimédias de distribution et de promotion des produits.
Les services, le marketing, la distribution et à la promotion du tourisme se font essentiellement par le biais de l’internet. Concevoir des applications informatiques assurera une excellente visibilité et facilite l’usage des produits dans les lieux de séjour. Les réseaux communautaires, les réseaux sociaux, les plateformes de réservation et de distribution et le « community management » garantissent le positionnement au niveau global (mondial).
Des services innovants, une bonne formation des acteurs, une stratégie marketing opérationnelle et l’utilisation des technologies de l’information et de la communication constituent des facteurs clés de réussite.
Quand le tourisme fonctionne, la consommation augmente et la roue de la croissance tourne. Le tourisme, il faut s’en convaincre est un formidable pôle d’activités de développement et tire l’économie locale.
Le pari sera réussi quand le désir de découvrir la merveilleuse Casamance triomphera de la peur d’une insécurité exagérée. C’est cela « inverser la tendance ».
Mamadou KANE
Consultant/ Formateur en Tourisme&Culture
Chargé de cours Université de THIES/ ISEP
Email : mamadoukan@yahoo.fr