La pire forme de corruption est le mensonge : toute perversion commence par le mensonge et s’achève dans le mensonge. Lorsqu’on travestit les faits ou les occulte, on déblaie le terrain de la corruption dans tout l’éclat de son arrogance. Votre mandat a débuté sous le sceau du mensonge fait au peuple : votre régime avait persuadé les Sénégalais que les caisses de l’État étaient vides ; que plus de 2000 milliards ont été spoliés au Trésor public ; que des meubles et des tapis ont été dérobés au Palais ; que des milliers de postes fictifs existaient dans l’éducation nationale ; votre régime nous fait croire que l’abrogation du décret des appels entrants était bénéfique au peuple ; que des centaines de véhicules ont été emportés ; que 400 milliards étaient planqués dans les pays du Golfe… et jusqu’ici pas la moindre preuve. Un jour viendra et les Sénégalais seront édifiés sur tenants et les aboutissants de la subite conversion de l’ancien Premier ministre de Wade. Un jour les Sénégalais comprendront comment on a fabriqué un héros sur la base d’une manipulation conceptuelle : une image a été d’abord créée, on a ensuite mobilisé et fait fantasmer des citoyens autour de cette image et enfin on l’a posée sur un homme juste parce qu’il était là.
Le régime de Macky Sall est engendré dans le mensonge et se maintient par le mensonge : aujourd’hui pour masquer la flagrance des cas de mal gouvernance établis par les différents corps de contrôle, le régime de Macky Sall a activé son réseau de journalistes pour faire une exploitation dénuée de toute forme de professionnalisme du rapport de la Cour des comptes 2013. C’est tellement manifeste comme maquillage qu’il n’est plus permis de douter de la mort de la fonction essentielle de contre-pouvoir de la presse. Comment peut-on prétendre lutter contre la corruption en faisant de la corruption systématique de tous les foyers possibles ou réels de contre-pouvoir ? Abdou Diouf était un grand homme d’État, Wade était un visionnaire et un bâtisseur : ils ont pourtant tous les deux eu droit à l’opposition de l’action fortement corrosive du contre-pouvoir médiatique. Ils ont été constamment surveillés et sévèrement critiqués pour les moindres maladresses dans leur gestion. En revanche, Macky est le chouchou de majeure partie de la presse privée. Les grands critiques d’hier sont devenus des entremetteurs politiques entre le chef et les candidats à la transhumance. What a shame !
Aucun Président sénégalais n’a bénéficié d’une si généreuse grâce médiatique que Macky Sall, et aucun Président n’a mobilisé et enrôlé autant de journalistes que lui : ce sont des faits et ils sont suspects ! Les contributeurs et les chroniqueurs qui, naguère enrichissaient le débat citoyens à travers la presse, ne peuvent plus publier la moindre critique envers le gouvernement : c’est un complot abject contre la démocratie ; complot ourdi par des gens qu’elle a pourtant fabriqués et sanctifiés. Les portes de la différence et de l’altérité sont définitivement fermées par une pratique de l’inféodation éhontée au pouvoir politique, source de prébendes et de facilités fiscales. Des pressions sont directement exercées sur des journalistes pour étouffer les voix discordantes. Cette agression contre la démocratie et le peuple n’a pas de précédent dans notre pays et c’est une tyrannie sournoise qui nous ôte jusqu’à notre identité de citoyen. Des générations se sont donc battues, parfois au péril de leur vie, pour juste ligoter la démocratie et la déposer aux pieds du seigneur Macky qui voudra bien y essuyer ses pieds !
C’est plutôt le peuple, à travers les voies étriquées concédées par la presse alliée du régime, qui exerce laborieusement le contre-pouvoir. Et c’est cette même presse qui fabrique l’opinion selon laquelle Macky Sall, contrairement à ses prédécesseurs, n’a même pas bénéficié d’un état de grâce de la part des populations. A cette «opinion fabriquée» saugrenue, il faut désormais opposer cette double remarque.
D’abord, le peuple peut se tromper, mais il n’est pas fou : il sait ce que valent les hommes et ce qu’il est en droit d’attendre d’eux. A certains Présidents, le peuple accorde allégrement un état de grâce long, parce qu’il a très tôt détecté des signaux et une démarche cohérente et convaincante parce qu’adossée à une vision claire. Accorder un état de grâce à une fourmi pour qu’elle ramène une proie qui fait mille fois son poids, ce n’est pas de l’espérance, c’est de la folie.
Ensuite, le peuple comprend parfaitement les combines sourdes qui cherchent à le ravaler au rang de simple consommateur, il comprend que sa voix n’est plus portée par ceux qui prétendaient porter sa parole. On peut ôter au peuple l’expression audible de sa voix, mais on ne peut lui ôter son intelligence.
La mal gouvernance est une culture, la corruption est un effet de l’éducation, or il se trouve que la culture que charrie ce gouvernement est incompatible avec l’intégrité, la probité et la dignité. Car ce n’est pas parce qu’on expose les dehors de la transparence qu’on est transparent, ce n’est pas parce qu’on proclame la probité qu’on devient probe, ce n’est pas parce qu’on sort le sabre pour ses ennemis fautifs qu’on lutte contre l’impunité. La lutte contre l’impunité c’est d’abord dans son propre camp : tout le reste n’est qu’ostentation et vanité diplomatique. La corruption n’a jamais été aussi présente dans notre pays : ses formes ont sans doute changé, mais elle est devenue plus nocive. La pauvreté et le chômage n’ont jamais été aussi endémiques, car au lieu de les combattre efficacement on les occulte par enchantement du verbe et de l’image truquée.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck
Thiès
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