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Mondialisation (homo)sexuelle : homosexualité, Hypersexualité Et Droits De L’homme

Mondialisation (homo)sexuelle : homosexualité, Hypersexualité Et Droits De L’homme

Beaucoup de facteurs expliquent pourquoi très souvent les défis de la construction nationale et de la transformation sociale ne sont pas relevés de manière effective au sein des sociétés africaines. La plupart tiennent en particulier à la nature et aux comportements politiques du leadership. A travers l’histoire de l’Etat postcolonial, les dirigeants africains ont souvent eu tendance à négliger les exigences de l’action publique en termes de production de connaissance, de recherche et de diffusion de l’information. Il a souvent manqué une mise en débat rigoureuse des enjeux et des problèmes de l’existence nationale. L’autoritarisme politique, l’acculturation des élites ainsi que l’extraversion économique ont souvent présidé à la censure politique, à l’infantilisation des peuples, et à l’occidentalisation des ordres et des structures du savoir.

Aujourd’hui que la démocratie a régressé au lieu de progresser et l’extraversion économique glissé d’Ouest en Est, la mondialisation culturelle dispute le pavé aux velléités de renaissance africaine. Consolation s’il en est, la presse et la société civile se sont élargies et renforcées au plan idéologique et tactique. En se fondant sur ce levier nouveau, l’un des rares que partagent les populations et les classes sociales africaines, il est possible de combattre la culture du messianisme intellectuel et du dirigisme politique dont ont souvent fait preuve les décideurs africains. Dans cet ordre d’idées cette réflexion invite à empêcher que les choix politiques sur la question de la sexualité en Afrique se fassent uniquement sous la dictature des « évolués » et des dirigeants politiques sur les classes moyennes et les masses défavorisés en proie à l’analphabétisme et à l’obscurantisme. Bien mieux que de suspecter le malaise récurrent de nos dirigeants face à la sexualité, il s’agit ici de dire que la question particulière de l’homosexualité – potentiellement aussi controversée que celle des organismes génétiquement modifiés (OGMs) et aussi dangereuse que celle du terrorisme – est trop sérieuse pour être uniquement discutée et traitée dans le négoce restreint et trop secret des diplomates, activistes, politiciens et bailleurs.

En raison du fait indubitable qu’elles seront dans les décennies à venir parmi les facteurs majeurs de la transformation en profondeur des sociétés africaines en général, celles enracinées dans la tradition  abrahamique en particulier, l’homosexualité et l’hypersexualité demeurent des enjeux politiques énormes. A telle enseigne qu’il convient d’en bousculer les prénotions, pénétrer les subtilités et débusquer les soubassements et les enjeux idéologiques et stratégiques. Dans un contexte de crise politique et économique des sociétés contemporaines, celles africaines en particulier, ces questions affecteront les formes et les fonctions de la gouvernance et du vivre ensemble, bref le devenir de l’économie politique de nos sociétés. Il est important de donner à toutes et à tous, de quelque bord que l’on se trouve en Afrique, la possibilité de pouvoir comprendre les conséquences des choix qui seront faits sur ces questions, à défaut de pouvoir directement choisir. La notion d’« orientation sexuelle » et la question du « droit » à une « orientation sexuelle » cachent des rapports de pouvoir entre peuples, nations, gouvernements, cultures et civilisations. On ne peut les dissimuler au nom d’un quelconque universalisme ou d’une diversité culturelle à géométrie variable. Loin d’être des symboles de la prétendue solidarité d’une certaine société globale, ils renferment des dynamiques de domination et de (ré)formation de l’ordre politique. Ils sont donc des enjeux de l’existence sociale avant d’être de simples indicateurs de l’humanisme et de la liberté, lesquels ne sont pas à prendre uniquement  dans leurs acceptions libérales que l’on veut faire admettre partout.

Prologue sur la question

On pourrait bien trouver du mal à envisager le rapport qui peut exister entre l’homosexualité, les organismes génétiquement modifiés (OGMs) et les médicaments génériques, ou encore entre les droits de l’homme et les OGMs. Apparemment il n’y en a aucun. Pourtant, le danger serait moins d’en trouver un que de confondre ces différentes choses. Or c’est la tendance observée aujourd’hui dans les espaces publics africains où les organisations et les organismes des « droits de l’Homme » se singularisent de plus en plus par leur forte présence pour les libertés individuelles ; presque de façon symétrique avec une forte absence pour les droits politiques, économiques et sociaux élémentaires. Sauf que, contrairement à la manière dont elles se posent dans la réalité africaine, ces libertés sont prises telles qu’elles sont imaginées, pensées, interprétées et appliquées dans les pays d’origine où elles ont été conceptualisées à des fins précises, à savoir maintenir et consolider l’hégémonie des pays occidentaux sur les autres nations.

Le problème n’est pas plus cette tendance néocolonialiste que le fait que dans les pays africains les sociétés sont plus que jamais décidées à rester « fortes » pour faire face à des Etats « faibles », et les transformer si besoin est, tant elles font aujourd’hui plus que jamais un recours et une confiance de plus en plus doctes à leurs institutions morales, religieuses et philosophiques. Tout le contraire en Occident, berceau des droits de l’Homme, où la seule moralité et la seule spiritualité sont souvent l’absence ou le rejet des traditions mystiques et des spiritualités abrahamiques, quitte à travestir les religions orientales – le bouddhisme notamment – pour mastiquer les flancs décharnés d’un sécularisme désenchanté et essoufflé.

Enfin, le dernier aspect du problème qu’il conviendra d’élucider, et pas des moindres, est la prétention encore une fois ethnocentriste à l’universalité absolue et indiscutable de l’humanisme libéral. Au nom de celui-ci, et en vertu de l’universalité de la raison, les « droits de l’Homme » s’imposeraient à tous les systèmes sociaux et politiques, quelles que soient par ailleurs leurs différences, leurs oppositions, et leurs aspirations légitimes à d’autres modalités spécifiques de la vie en société. L’homme ne vaudrait partout et pour toujours que comme animal et réalité atomique détachée de toute origine extra-terrestre et irrationnelle.

C’est sous ces trois angles d’analyse que nous voulons discuter le problème de ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui la « mondialisation (homo)sexuelle » dont les moteurs puissants sont l’humanisme occidentalo-centré dit laïc et la conception matérialiste des droits de l’Homme qu’il en fait dériver. Le but affiché de cet universalisme imposé est non pas la protection de l’Homme, car l’on ne peut protéger une catégorie que l’on dépouille de son être fondamental, mais le maintien de l’équilibre de l’ordre politique libéral-capitaliste en dépit des injonctions à la réforme largement suggérées par sa crise globale depuis deux décennies déjà.

Homosexualité, humanisme libéral et « ruse » du rationalisme universaliste

Le premier lien qu’on pourrait trouver entre l’homosexualité, les OGMs et les droits de l’homme est qu’ils sont tous des produits de la civilisation occidentale, même si c’est la mouvance anti-cléricale qui les a couvés et consacrés comme des « symboles » du « Progrès » et de l’humanisme universel. En termes moins équivoques, ils sont des produits du rationalisme occidental qui est au soubassement de l’humanisme universel ou libéral-capitaliste. Non pas que l’homosexualité ait existé uniquement en Occident à tous les moments historiques, mais qu’elle y a été rationalisée comme norme et droit, puis sociabilité et mode de vie révolutionnaire, au nom de la liberté, comme l’ont été d’autres phénomènes devenus globalisés, quand bien même ils se heurtent à d’autres volontés de vie se prévalant valablement d’autres cultures.

Ce qu’on doit qualifier d’homosexualité politique / politisé – consistant aux actes sexuels contre-natures ayant pour but le pouvoir ou la domination – a été exportée au moment de la colonisation, tandis que la variante satanique liée à la sorcellerie[1], laquelle est probablement connue dans nos sociétés précoloniales, s’est répandu avec les chocs et les déséquilibres issus des modes de régulation inhérents au modèle d’économie politique de l’Etat colonial. En tant qu’hypéronyme des deux, car les portant comme valeurs et droits à la fois, l’hypersexualité est en même temps un indicateur et un support de la mondialisation (homo)sexuelle du moment qu’elle s’est diffusée depuis l’Occident comme mode de vie par le mécanisme cyber-spatial et hégémonique de « l’occidentalisation du monde ».[2]

Le second lien est que, du fait même de ce rationalisme, homosexualité, droits de l’Homme et OGMs sont tous des « produits synthétiques », c’est-à-dire, davantage comme ruse intellectuelle et matérialiste, que comme instrument neutre du développement de l’esprit et de l’homme tout court, dans son entièreté humaine comme le prétend l’humanisme laïc. Ce dernier peut aisément dérouter la vigilance d’aucuns dès lors qu’il se présente, non pas comme une négation de la nature, mais comme sa transformation par « défiguration », « reconfiguration » ou encore « hybridation ». Les défenseurs de l’homosexualité les plus honnêtes se fondent sur l’idéologie ou le scientisme de la raison instrumentale et des « droits de l’Homme », en faisant de ceux-ci une nouvelle religion, un nouveau cadre d’explication et de légitimation a postériori des types de rapports que l’on souhaite voir exister entre les hommes et, au-delà, les nations.

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Les « pseudo-humanistes » les plus honnêtes considèrent que l’homme est à la mesure de toute chose. Leur procédé séculaire de rationalisation matérialiste consiste à ériger l’homme au-dessus de tout et du Tout, et absolument tout et Tout, en usant d’une exégèse particulièrement subtile des « droits » et de la « nature » de l’homme, de la vie tout court. Parvenu à un stade de post-humanisme aujourd’hui, comme le démontrent les périls génétiques, écologiques et pharmacologiques, ce pseudo-humanisme est en réalité d’autant plus dangereux qu’il est fondamentalement anthropocentrique et athéiste.

En l’occurrence, il ne laisse aucune place à l’aspect méta-anthropique, méta-cosmique, extra-terrestre et théiste de l’homme. Il nie totalement cette dimension qu’est la foi – en Un Dieu ou en des divinités plurielles –, si ce ne sont ces divinités elles-mêmes, par le simple fait de promouvoir, y compris radicalement et par la violence si nécessaire (illégitime en ce cas), une pensée et une action de l’homme uniquement dans le cadre du matérialisme, du rationalisme scientiste, bref de l’évolutionnisme. Cet humanisme délibérément centré sur l’homme n’admet d’autre cadre que celui de la Raison – non pas telle qu’elle est réellement, en tant que partie d’un Tout partagé avec la Foi, mais telle qu’on a voulu la présenter, c’est-à-dire un résultat et un outil de la science laïque prétendument universelle. La « Raison » des droits de l’Homme et de l’homosexualité érigent l’homme au-dessus de la Création et l’extirpent de sa trajectoire et de son origine finalement divine, pour lui construire un piédestal aussi illusoire (le parfait évolué) que celui de la liberté (de penser, d’être et d’agir). De cette façon, elle réfute le rationalisme des religions, le seul et unique rationalisme universel qui n’admet d’autres limites que celles que veut bien lui donner la Foi.

Or, comme le précisait bien Mamadou Dia, si la doctrine monothéiste « n’est pas contre la raison, elle n’admet pas son idolâtrie et les déviations » terrifiantes que cela implique. Si elle est « la première à reconnaitre la liberté de l’esprit » et « l’efficacité de la raison, elle s’oppose à la destruction de l’esprit et à l’érection de la raison en une nouvelle divinité »[3]. Pourtant c’est tout ce à quoi nous avons assisté depuis le siècle des Lumières, lorsque fut hissé le dogme rationaliste du progrès humain : plus d’autre religion que le rejet des religions, plus d’autre homme que celui qui se pense sans divinité et comme divinité, sans créateur, mais lui-même. Selon cette logique, la destruction de l’identité humaine intégrale – faite de raison et de foi – se justifie dès lors qu’il importe d’ériger l’homme en créateur de sa propre identité (hyper)sexuelle ou (homo)sexuelle.

Les « droits de l’Homme » pour fonctionner efficacement en tant que ruse d’ingénierie sociale et politique, en tant qu’invention techno-politique, doivent en effet réfuter et supprimer les « droits de Dieu » en écartant toute idée et toute relation (de reconnaissance et de redevabilité) avec quelque divinité qu’il soit. Puisqu’il faut bien, pour faire imposer une seule raison universalisatrice, matérialiste, anthropocentrique, supprimer toute autre forme de rationalité, tout autre mode de penser et de connaissance. Ce travail de substitution de l’invention à la création, de la rationalité à l’humanité, de la sociabilité à la société, du lien politique au lien social, est le fait de la ruse du rationalisme universaliste. Il en résulte que l’humanisme libéral qu’il énonce est un « humanisme sans Dieu »[4], pour reprendre l’expression évocatrice de Mamadou Dia. On comprend alors pourquoi pareil humanisme n’a quasiment plus droit de cité dans un monde « ré-enchanté » qui redécouvre sa voie unique et originelle, celle de la foi, du besoin de croire, dans des « sociétés fortes » telles qu’elles se donnent à voir en Afrique.

C’est précisément à ce niveau  que s’amorce le troisième lien: les « droits de l’Homme », les OGMs et les médicaments génériques ne résultent pas d’un procédé de dé-naturalisation de l’homme ou du vivant en tant que tel. Au contraire, la technoscience qui produit l’idéologie des droits de l’homme opère par re-naturalisation de l’homme – faisant de lui une essence – par la dé/re-spiritualisation[5] de son origine et de sa nature en tant que réalité ambivalente mais non contradictoire qui consiste en des pairs : esprit / matière, être doué de foi / être doté de raison, âme / corps. L’homme intégral, entier, est à la fois ambivalence et harmonie, il est donc imparfait et au pire malformé, objet d’un accident, d’une anomalie telle que le déséquilibre sexuel qui est un problème moins mental, spirituel, que physiologique et social. Donc un problème que seules peuvent résoudre les actions sociales sur les dispositions de l’esprit, de l’âme, de la raison humaine.

Par exemple, dans les sociétés africaines anciennes les rites dans la « case de l’Homme » permettaient de socialiser les individus à telle enseigne qu’il était quasiment impossible de pratiquer des actes homosexuels et de se sentir d’un sexe contraire, sauf par déviance. Même si tel n’est pas le cas dans la métrique anticolonialiste de l’œuvre, les rares efféminés qui existaient comme Nwoye, le fils de Okonkwo dans Le Monde s’effondre de Chinua Achebe[6], faisaient l’objet de traitements post-initiatiques qui les maintenaient homme mentalement, même s’ils gardaient une corporéité défectueusement efféminée. Ce qui les permettait de vivre épanouis dans la société, une communauté dans laquelle les droits se méritent plus qu’ils ne sont énoncés, se conquièrent plus qu’ils ne sont octroyés. Aussi, ai-je pu comprendre à travers des objets centrafricains exposés à une foire des étudiants à l’Université de Saint-Louis en 2009 comment la variation géométrique dans la confection des sièges contribuaient à garder intacte la différence entre les sexes, au même titre que les massages et les autres techniques corporelles d’autres sociétés africaines. De même, les religions révélées, pour la santé physique et le salut des hommes, enseignent les façons de s’accoupler, de se lier d’amour, de convoler, bref de se reproduire en toute « humanité ».

Retour vers l’humanité intégrale : désoccidentaliser et ré-humaniser la science

Il me parait raisonnable de ne pas exclure la possibilité de dépasser le malentendu humaniste, pourvu que l’on parvienne à faire reconnaitre les dangers du rationalisme universaliste et de son matérialisme, ainsi que le type anticlérical de droits humains qu’il tend à imposer partout. Il s’agira en l’occurrence de faire la différence, ô combien nette, entre la « raison humaine » incarnée en l’homme réel, intégral – révélée par les religions, notamment monothéistes – et la « raison universelle » désincarnée en un esprit et une pensée uniques, et révélée en dehors et par négation pure et simple des théismes et autres formes présumées « irrationnelles » d’explication du réel. L’homme intégral véritablement humain est ange et bête, esprit et matière, mortel et éternel, spirituel et temporel. S’il y a lieu de le rappeler, l’humanisme libéral universaliste oppose la morale et le droit alors que l’ontologie fondamentale du droit est de se construire comme moralité et de s’imposer comme ordre moral. C’est sous ce prisme pour le moins paradoxal que les « droits de l’Homme » n’admettent guère l’ambivalence de l’homme et soustraient celui-ci des autres formes de droits qui pourtant le définissent d’une manière ou d’une autre en tant qu’homme, à savoir les « droits de Dieu » ou les « droits des dieux ».

Les « droits de l’Homme » universalistes clament qu’on est libre de faire ce que l’on veut de sa vie et de son corps alors que la vie n’existe qu’en société et le corps que dans la culture d’une société donnée. Alors même que les « droits de l’homme » humanistes qui intègrent l’origine divine ou surnaturelle de l’homme conditionnent la liberté à la reconnaissance de la création et des principes de vie sociale et individuelle qu’elle prescrit. Pour prendre précisément l’exemple de la mondialisation (homo)sexuelle, peut-on nier à ceux qui y croient le droit de considérer que l’homme ne s’est doté d’aucune vie, d’aucun organe génital et d’aucun droit par lui-même pour pouvoir s’arroger le loisir d’en disposer comme bon lui semble ? Peut-on leur reprocher, ou interdire (c’est ce que fait l’universalisme des droits de l’Homme), de croire que la famille et la société qui les ont vus naître et venir en maturité ont un droit absolu sur eux-mêmes ? Toujours par cet exemple de l’hypersexualité, lorsqu’on veut croire qu’il n’y a jamais eu de création divine, on doit tenter de savoir pourquoi les animaux ne sont ni transsexuels, ni hypersexuels, ni pédophiles, ni homosexuels, alors qu’on les a reconnus comme des pairs dans l’évolution naturelle. Il ne serait pas non plus superflu de chercher, sans aucune mauvaise foi, à démontrer qu’il est raisonnable et honnête pour un patient de prendre ses médicaments comme il l’entend, en méprisant les prescriptions du pharmacien et du médecin, sans aucune forme de conséquence. Peut-on en ce cas-ci prétendre que le salut du malade, une partie de sa liberté, sous forme de guérison, n’est pas dans le respect scrupuleux des injonctions scientifiquement éprouvées des professionnels ayant en charge sa santé ?

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Resocialiser la science en général, les droits en particulier

Puisqu’il s’agit de resocialiser l’humanisme et la science, il y a lieu de souligner en effet la conception africaine des droits de l’homme et de la liberté. Dans les sociétés africaines les droits de l’individu n’ont de sens que dans et en ce qu’ils sont en harmonie avec les droits du groupe. Pourrait-il en être autrement si l’homme ne s’y réalise que « par le sentiment de sa participation à un tout qui le dépasse […] à un tout de la communauté plutôt que par la simple affirmation des ses spécificités [et de ses envies égoïstes] »[7]. La conception déifiante et maternelle que l’on y trouve de la nature octroie à l’Homme une dimension sacrée. Car la nature sacrée, Dieu et les dieux, n’y donne que des fruits sacrés dont le premier est l’être humain. Sous cet angle, plus que des déviances susceptibles d’être tolérées selon un ordre juridique anticléricale et désincarné, les pratiques telles que l’homosexualité politique et satanique sont des nihilismes contre l’humanité, des menaces graves à la famille, à l’enfance, au développement de l’homme et à l’équilibre et la sécurité du groupe. C’est seulement dans cette perspective intégrale de l’homme que peut être envisagé le fameux « privilège anthropologique », si tant est qu’il existe.

L’implication première d’une posture de resocialisation de la science est que par exemple l’homosexualité soit reconnue comme une « déviance », pour garder ce terme, aussi bien au sens scientifique que social, politique, religieuse. En cela, les homo/hypersexuels sont des êtres encore doués d’humanité, et, donc, potentiellement libres. Ils défient les lois de la nature en tant qu’exceptions physiologiques, mais aussi en tant qu’exceptions sociales au regard des lois, au sens large des us et coutumes, des valeurs et normes sociales et du droit positif, qui définissent les rôles et les statuts de chacun en société, comme chez les animaux. Si chez ces derniers on n’y connait pas la « raison », on y trouve des règles dont le mépris reste fatal pour chaque animal.

Chez les humains ces règles ne sont pas seulement des produits de la raison et de la science libérale anticléricale. Elles sont issues de la raison humaine en tant qu’elle est inséparable de la foi qui l’influence et en est influencée. Ceux qui éprouvent du mal à admettre cela ne rendent pas un grand service aux homosexuels ainsi qu’aux autres hypersexualisés comme on a tendance à le croire. La « raison universaliste » pseudo-humaniste décrète que les homosexuels ne peuvent être que des homosexuels, comme si les violeurs et les pédophiles ne peuvent être que ce qu’ils sont, les voleurs que des voleurs. On veut faire croire aux homosexuels de différents pays, de différentes confessions, de différents environnements socioculturels qu’ils ont les mêmes droits et les mêmes problèmes partout et tout le temps. Ce qui est absolument faux. Seulement, ce mensonge vaut bien la mission qui lui est assignée : l’homosexualité est tolérée dans certains pays et promue partout en raison de sa valeur marchande et idéologique pour l’économie de marché et le modèle de société issu de l’occidentalisation du monde.[8] Cela au mépris du fait que jamais il n’y aura de perception universellement partagée de cette pratique qui reste une déviance et un crime dans la plupart des sociétés du monde, y compris moralement dans certains pays où elle est légalisée. Au Sénégal comme dans beaucoup de pays africains par exemple, ils seront toujours vus à travers les imaginaires (s’)instituant (de) la société, lesquels ne seront jamais totalement globalisés, bien que mutants et relâchés.

En revanche, faisant ontologiquement pair avec la foi, la « raison universelle » qui reconnait la dimension méta-anthropique de l’homme pose que les homosexuels peuvent être autre chose, par exemple demeurer, redevenir ou devenir hétérosexuels si jamais les cadres institutionnels de la socialisation fonctionnent correctement et jouent leur rôle. En effet, les choses selon la raison humaine ne vont pas à sens unique : bête on peut redevenir ange et vice-versa. C’est pourquoi les traditions abrahamiques valorisent le repentir parmi d’autres moyens de revenir à la foi et à la vie communautaire et garantissent ainsi le salut à n’importe qui en fait le vœu et l’effort. Il ne s’agit donc pas seulement de continuer à dire pourquoi et comment l’ont devient homosexuel ou hypersexualisé, d’autant plus qu’il n’est pas sûr que ni l’une ni l’autre des situations ne soit une fatalité irréductible. De plus, il est clair que cela se justifierait par le fait qu’indéniablement nul n’est né ceci ou cela, a fortiori astreint à demeurer comme tel.

De la même manière, il n’est pas seulement dangereux d’entretenir l’idée ou le sentiment que la liberté – y compris d’un point de vue aussi extrême que celui du libertarisme – consiste en la possibilité, encore moins le droit, de faire ce que l’on veut d’une raison (liberté de l’esprit, liberté de penser et (se) juger) et d’un corps dont personne ni un alter ego ne s’est doté par soi-même et ne saurait se défaire ?[9] Ce n’est pas tant un mensonge qu’un énorme malentendu charrié par un certain establishment idéologique sur la modernité que de croire, et faire croire, que la sexualité et le genre – à défaut du sexe – sont inéluctablement et exclusivement des produits de l’activité et de la raison humaines. L’illusion est encore grande et périlleuse que de d’oublier que la destruction soit toujours créatrice. Contrairement à ce que l’on veut souvent faire admettre par la fameuse métaphore nietzschéenne, la destruction n’implique pas toujours une transformation totale ou absolue. La faculté de créer chez l’homme n’a rien de divin – c’est-à-dire ex nihilo (ex nihilo nihil !) – si ce n’est une transformation qui aboutit souvent à une malformation, n’en déplaise à l’humanisme libéral universaliste et son rationalisme matérialiste.

Pour comprendre l’objet  les prosélytismes laïques et libertaires sur l’homo/hypersexualité, que l’on veut faire passer pour des conclusions d’enquêtes savantes, c’est bien sur ce terrain social de l’activité scientifique qu’il faut se situer et non sur celui du scientisme, qu’il s’agisse du rationalisme libéral universaliste ou de celui des exégèses monothéistes et / ou de leurs schismes respectifs. Ainsi donc, il convient de considérer toutes les « déviances » ou les « révolutions » sexuels comme des défis pour et à l’humanité, au regard des droits de l’Homme  comme du point de vue de production scientifique ; encore faudrait-il que l’on veuille rester neutre, débarrassé des tentations de l’occidentalisation, de l’anthropocentrisme et de l’évolutionnisme.

La « Partie » du problème n’est pas « Tout » le problème

Cela voudra dire, c’est la deuxième implication, remettre sur pied l’humanisme et restaurer l’humanité au-dessus de la techné, cesser de prendre la partie pour le tout, ou du moins de faire que l’« élément » soit l’« ensemble » lui-même, ce qui est à nouveau contraire aux lois de la nature. En effet, le problème n’est pas seulement l’homosexualité. C’est aussi la pornographie, les transsexuels, les violeurs domestiques, les voyeuristes, les industriels des loisirs, de la presse, du sexe, du luxe, bref tous les acteurs connectés de l’économie capitaliste et du libéralisme « droits-de-l’hommiste ». L’hypersexualité va de pair avec deux grands autres défis pourtant déjà identifiés depuis longtemps par l’humanité.

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Le premier est la trinité voltairienne selon laquelle, le vice est fille de l’ennui, lui-même à son tour issu du besoin. C’est donc la dépossession, la pauvreté, qui est devenue le plus grand créneau d’enrichissement d’une minorité, alors même qu’il est ce terrible destructeur de l’humanité majoritaire, de l’homme en tant que dignité, créature et visée ultime. Le second péril est tout prêt, car c’est la marchandisation de l’homme qui fait qu’en tant qu’objet et sujet d’accumulation et de désirs, il peut et doit être convertible en un intrant du marché, une devise parmi d’autres dans l’économie de marché globalisée. D’où la volonté de faire disparaitre les barrières économiques et politiques par les frontières culturelles et religieuses. Et tout cela, rien que pour la bonne santé d’un capitalisme plus que jamais en crise et qui n’est jamais parvenu à mener l’homme vers son horizon ultime, c’est-à-dire vers la découverte de sa dignité éternelle. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le développement de l’hyper/homosexualité est allé de pair avec la mondialisation et surtout l’expansion de l’économie des loisirs et des désirs, du sexe et de la mode. Il serait en effet difficile de nier le fait que les déviances liées à l’hypersexualité sont beaucoup plus développées dans ces domaines clés de l’économie de la consommation globale d’aujourd’hui.

Les raisons de croire qu’on peut tout remettre en ordre existent, même si le rationalisme libéral et un certain fatalisme clérical veulent entretenir l’idée selon laquelle c’est le rapprochement de la fin des temps qui explique tous les maux tels que l’homosexualité. Aujourd’hui, parmi d’autres modèles d’économies déistes, la finance islamique en est la preuve dans la mesure où elle ne cesse de mettre à nu les faiblesses du capitalisme, là où ils sont admis et concrètement traduits dans les rapports sociaux, par l’homme, sur lui-même, et par la société. C’est de la même manière que l’observance des droits de Dieu et des dieux suggère que le problème n’est ni le sexe lui-même ni la nature humaine, mais la manière dont on les représente et les construit dans les croyances et les interactions sociales.

Or cette manière d’imaginer et de construire les savoirs est tributaire en dernier ressort de la prise qu’ont les groupes humains sur la science et les divers modes de production des connaissances générées depuis l’aube des temps, y compris par les livres saints et leur canonisations théologiques. Comment réguler la sexualité s’il n’existe aucun contrôle sur (les savoirs de) la corporéité, des rapports sociaux que régit le corps  et qui influent sur lui en retour ? Il est donc difficile de croire qu’on pourrait isoler l’homo/hypersexualité de la désinhibition des technologies du corps et du sexe. De la même manière, on ne saurait séparer les deux de l’échec économique et culturel des institutions politiques, sociales, culturelles et religieuses, y compris dans les sociétés « croyantes » en général, et africaines en particulier.

Pour ne pas conclure

Le problème de l’homosexualité (la Partie), parmi tant d’autres, est lié à l’hypersexualisation (le Tout) de nos sociétés, et celle de la jeunesse particulièrement, du fait d’une déperdition politique et morale et de l’extraversion économique entretenue par le libéral-capitalisme. Pour l’affronter il convient de s’attaquer à ces manières de penser et de faire penser, d’agir et de faire agir. Or ces « manières », ces ruses de la raison universaliste ou de la pensée unique, ont des bases à la fois spirituelles et matérielles, idéologiques et scientifiques pour ne pas dire scientistes et athées.

Certes, de la prédication il en faudra, mais pas plus que de la philosophie et de la métaphysique, de la science tout court, comme le recommandent et y pourvoient les révélations et les formes de savoirs désoccidentalisées et non matérialistes. Ce à quoi ne pourront jamais concourir la science laïque et les droits de l’homme universalistes, à moins d’amender l’occidentalisme qui façonne les rapports sociaux à l’échelle globale depuis des siècles. Cependant, il convient non pas d’opposer les « droits de l’Homme » aux « droits de Dieu », ceux des « hypersexualisés » à ceux des « infrasexualisés », mais d’en admettre l’unité comme deux temps d’un seul et même mouvement.

Encore une fois, du point de vue des lois de la nature telles qu’on voudrait raisonnablement les admettre, les homosexuels sont un groupe extrême de déviants, mais qui comme les autres sont guérissables car étant contrôlables. La solution n’est donc pas d’opposer des « pour » et des « contre », des « croyants » et des « mécréants », des « anges » et des « bêtes ». Il s’agit à l’opposée d’admettre que l’homme tend vers le bien mais qu’il n’y parviendra qu’en brisant les mythes de l’humanité anthropocentrique, du privilège anthropologique, de sa cosmologie terrienne, du rationalisme universel, qui lui font croire qu’il n’a d’autre origine et d’autre fin que par et pour lui-même et qu’il peut faire ce qu’il veut sans aucune conséquence. On ne peut faire que ce qui est à la fois admis (dans l’ordre moral) et autorisé (dans l’ordre juridique) en société et il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais, de société globale comme certains veulent bien en entretenir le mythe dans le but d’éliminer les particularités légitimement entretenues dans de nombreuses sociétés du monde./.

[1] La pédophilie est parfois pratiquée dans ce cadre des pratiques de sorcellerie.

[2] Voir à ce sujet Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts, 1992, Le retournement du monde, Paris : Presses de Science Po.

[3] Mamadou Dia, 1975, Islam, sociétés africaines et cultures industrielles, Dakar – Abidjan : NEAS, p. 34.

[4] Ibid., p. 24.

[5] Le tour de passe-passe a été de nier les religions sans nier la religiosité et, par ce fait, de substituer la laïcité aux religions. La laïcité est en réalité une religion civile globale, une foi terrestre, à la place des religions sociales.

[6] La conversion hâtive de Nwoye à la mission catholique qui venait tout juste de s’installer non loin du village est assez comparable aujourd’hui au réflexe des citoyens des sociétés sous influence occidentale consistant à très vite chercher refuge derrière les idées, valeurs et institutions se réclamant ou s’inspirant de la civilisation occidentale telles que l’idéologie des droits de l’Homme. C’est pourquoi l’Etat moderne qui est le garant et le pourvoyeur de tels droits n’a jamais cessé d’être le maître d’œuvre, le lieu principal de la production de l’influence techno-sexuelle.

[7] Souleymane Diakité, 1988, Les techniques de pointe de l’Afrique, Abidjan : NEA, 88 p. (p. 63) cité par Lazare M. Poame, « Les particularismes culturels négro-africains face à la dynamique universalisatrice de la technique et de la démocratie », Quest, 1999, Vol. 13, n°1-2, pp. 125-128 (p. 118).

[8] L’influence de l’homosexualité sur l’économie capitaliste apparaît notamment dans la panoplie de nouveaux besoins générés par les homosexuels : de la santé au loisirs, en passant par la mode, le sport et l’industrie de la beauté et du sexe, ce sont d’énormes marchés de capitaux, d’emplois et de services qui sont en outre généreusement entretenus par de richissimes adeptes de cette orientation sexuelle. Et cette économie homophile est déjà globalisée en raison notamment de l’infrastructure juridico-politique que lui fournit le cadre de légitimation à l’échelle mondiale de l’idéologie des droits de l’homme.

[9] Même à la suite d’un suicide l’enveloppe corporelle ne disparait pas. L’idée de réincarnation dans un fantôme et ou des morts vivants dans presque toutes les traditions humaines illustre également la permanence en quelque sorte de l’esprit de l’homme.

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