Cette année les résultats enregistrés au Bac sont encore catastrophiques : 45.801 candidats sur les 142.116 qui se sont présentés, ont réussi à décrocher leur premier diplôme universitaire, soit 31.7 % de taux de réussite. Et, on oublie souvent le taux d’échec assez révélateur sur les problèmes du système éducatif sénégalais.
Beaucoup de parents d’élèves chagrinés par ce taux d’échec ne s’expliquent pas les contreperformances de leurs enfants à l’examen du baccalauréat où ici au Sénégal l’échec semble être la règle. On connait la portée sociale de l’évaluation, surtout dans nos sociétés où on garde encore espoir en l’école, ascenseur social, aux diplômes. Il m’arrivait souvent, en début d’année scolaire, de rappeler à mes élèves candidats de redoubler d’efforts, de travailler dur pour mériter les nombreux sacrifices consentis par leurs parents pour leur prise en charge, leur éducation. Une éducation qui, même si elle n’a pas de prix, a un coût. Et cet investissement, les braves parents – d’élèves le supporte avec l’espoir de voir leurs enfants réussir et les épauler.
Professeur dans un lycée de la banlieue dakaroise pendant plusieurs années, j’ai pu mesurer tout ce que les élèves et leurs parents enduraient pour supporter les frais d’inscription, ceux exigés par les collègues qui organisent des cours de renforcement dans les locaux publics sans l’autorisation de leur administration, le coût journalier du lycéen de la banlieue, qui passe la journée à l’école dont les frais de transport, son petit déjeuner, son repas peuvent coûter mensuellement 30.000frs à sa famille. En rappelant tout cela, surtout le coût économique du redoublement, le mécontentement des parents se justifie.
On ne peut dans l’analyse de ces résultats décevants occulter les logiques d’experts à la solde des institutions internationales, la responsabilité de l’État, des autorités du ministère de l’Éducation nationale.
Responsabilités des autorités, experts…
La mobilisation en faveur de l’éducation pour tous (EPT) est salutaire et les arguments bien convaincants. On ne le dira jamais assez, l’éducation réduit la pauvreté et stimule l’emploi et la croissance. On l’a encore rappelé dans le rapport 2014 sur la situation de l’éducation dans le monde : Selon les estimations de l’équipe du Rapport mondial de suivi sur l’EPT, « si tous les élèves des pays à faible revenu quittaient l’école munis de compétences élémentaires en lecture, 171 millions de personnes pourraient sortir de la pauvreté, ce qui représenterait un recul de 12 % de la pauvreté mondiale (…) C’est essentiellement parce qu’elle permet aux individus d’être mieux rémunérés que l’éducation réduit la pauvreté. À l’échelle mondiale, une année de scolarité augmente les revenus de 10 % en moyenne. ». (Rapport, 2013/2014, p.14.).
Depuis bientôt 15 ans, à plusieurs reprises, la communauté internationale a fixé des objectifs quantitatifs d’éducation pour tous et s’est prononcée vigoureusement en leur faveur. Les objectifs de Jomtien de 1990 ont été réaffirmés et élargis à Dakar en avril 2000, puis réitérés et précisés en septembre de la même année dans le cadre des objectifs du millénaire. Inutile de rappeler l’adhésion et l’engagement du Sénégal, « un pays à risque » comme tous les pays pauvres très endettés (PPTE), dans la réalisation des objectifs de l’EPT d’ici 2015 et les résultats encourageants, plus que satisfaisants même dans l’accès des enfants à l’école. Le dernier rapport national sur la situation de l’éducation fourni par la direction de la planification et de la réforme de l’éducation (DPRE), celui de 2013, révèle un taux brut de scolarisation (TBS) de 93.0 % dans le primaire. L’intensité de la scolarisation mesurée par ce taux a, d’ailleurs, régulièrement augmenté depuis 2003 avec un taux global de 2.1 %.
Cette politique de scolarisation universelle menée, depuis, explique sans aucun doute les flux importants d’un cycle à un autre. En effet, on a noté un accroissement considérable de l’accès à l’enseignement moyen analysé par les experts à partir « du taux de transition qui détermine la proportion d’élèves de la classe de CM2 de l’année précédente qui passe en classe de sixième des collèges l’année suivante »: entre 2002/2003 et 2012/2013, ce taux est passé de 43,8% à 88,8 % soit un accroissement de 45,0 points de pourcentage en dix ans et un taux d’accroissement moyen annuel (TAMA) de 7,3 % (DPRE,2013).
Toujours dans ledit rapport national, au niveau du secondaire général, on note la même tendance à la hausse : « Depuis 2003 on assiste à une hausse régulière des effectifs de l’enseignement secondaire général. Ainsi, les effectifs sont passés de 66 613 en 2003 à 248 509 en 2012, soit un Taux d’Accroissement Moyen Annuel (TAMA) de 14,1 %. » (Rapport 2013, p86, DPRE).
Tous ces chiffres sont assez révélateurs des efforts fournis par les autorités pour que le slogan « l’éducation pour tous » soit une réalité. Seulement, en 2004, déjà, lors des journées hivernales de la Ld/Mpt, M. mamadou Ndoye, ancien ministre délégué de l’éducation de base et de la promotion des langues nationales, attirait l’attention sur les risques de se tromper d’objectifs. Car il ne s’agissait pas de faire rentrer les enfants à l’école, mais plutôt de les y maintenir pour qu’ils réussissent les apprentissages. La responsabilité de l’État dans les mauvais résultats du Bac de cette année est bien réelle et s’explique dans l’intérieur du pays par l’ouverture des lycées alors que les conditions minimales, surtout dans les Collèges qui sont érigés en lycée, ne sont pas réunies.
Par ailleurs, depuis l’introduction de la gestion axée sur les résultats avec l’utilisation du logiciel Sysgar, des objectifs quantitatifs ont été donnés de manière très impérative au système éducatif en même temps qu’a été affirmée « la liberté pédagogique des enseignants ». Seulement, comme le pense l’inspecteur de l’éducation Masseye Sow, dans la revue Réussir l’éducation N°00, Mai 2014, nous nous trouvons dans une situation paradoxale où les chefs d’établissement sont placés devant une « obligation de résultats », tandis que les enseignants, eux, font face à « l’obligation de moyens » pour réussir les enseignements-apprentissages. Un paradoxe difficile à gérer, source d’incompréhensions dans l’espace scolaire.
De la responsabilité des acteurs : élèves, professeurs…
Je ne pense pas que les mauvais résultats enregistrés soient une décision sournoise des autorités pour diminuer le flux d’entrée dans les universités. Les élèves ont trouvé, certes, les sujets difficiles ; certains parents- d’élèves sont convaincus que les résultats ne reflètent pas le niveau de leurs enfants qui, pourtant, travaillent bien à la maison ou ont des moyennes en classes qui normalement si elles étaient le résultat d’une évaluation sérieuse, devraient refléter le niveau des élèves et assurer leur admission. Mais, on sait que les appréciations portées sur les livrets de Bac, comme les moyennes semestrielles ne reflètent pas le niveau des élèves.
Ce n’est pas le moment de faire le procès de certains établissements privés où, on gonfle délibérément les notes des élèves ; où des élèves qui ont été exclus ou autorisés à redoubler par les conseils de classe des lycées publics sont acceptés dans les écoles privées, surtout celles ouvertes par les collègues ; les mêmes collègues qui avaient décidé de l’exclusion ou du redoublement de leurs nouveaux pensionnaires. Souvent on a honte en pensant à toutes ces pratiques, au laisser-aller, à la pagaille dont les seuls responsables restent les acteurs du système. En surévaluant les élèves, on trompe les parents.
Comme dans le public, il se pose un véritable problème dans l’évaluation des élèves qui s’arrangent toujours pour tirer leur épingle du jeu en trichant ou en négociant tout bonnement avec des collègues qui manquent de rigueur ou de sérieux dans l’évaluation sommative. Mais, souvent les conditions d’évaluation, d’organisation des devoirs dans des classes pléthoriques ne facilitent pas la tâche aux collègues qui n’hésitent pas à mettre des notes, des bonus, des plus 1, 2,3 parce que le temps de correction leur fait défaut ou l’administration leur réclame les notes. Il s’y ajoute que l’évaluation sommative a ses limites : comme le pensent les spécialistes de la docimologie, elle est une photographie qui prend justement l’élève à un moment donné sans permettre d’apprécier ses progrès dans la durée.
Dans l’analyse des résultats, je pense que les syndicats d’enseignants ont bien leur part de responsabilités. Surtout que les candidats de cette année ont perdu beaucoup d’heures d’enseignements du fait de la grève des enseignants. La baisse du niveau des élèves est un argument majeur : ils ne s’expriment pas en français, traînent des lacunes depuis l’élémentaire, pense-t-on, pour nous disculper.
Il est, certes, plus rassurant de dégager sa responsabilité, en rendant les élèves responsables de leur erreur, mais il est pourtant impératif de comprendre…pourquoi l’élève n’a pas compris. On n’oublie souvent la responsabilité des collègues qui ne font pas le travail attendu d’eux ou qui n’ont pas le niveau académique pour enseigner, ni les compétences de base en pédagogie pour tenir une classe. Récemment dans un article intitulé : Faut-il brûler nos diplômes ? J’attirais l’attention des autorités sur la situation des contractuels de philosophie, parmi lesquels on compte beaucoup de sociologues de formation qui enseignent une discipline dans laquelle ils n’ont aucun diplôme. .
Il y a quelques années, en 2005, en tant qu’examinateur dans un jury d’examen à Ziguinchor, j’avais constaté les faibles notes obtenues par les candidats surtout des séries littéraires en mathématique. J’avais discuté avec quelques collègues, mené ma petite enquête avant d’écrire ceci :
Il faut discuter avec ces élèves des séries Littéraires, pour se demander si on ne devrait pas supprimer les Maths, ne serait ce qu’en L’. Même les collègues, professeurs de mathématiques, se plaignent du niveau de ces élèves et vous disent pas du tout motivés dans ces classes. Peut- être qu’ils ont leur part de responsabilité dans cette situation : peu soucieux de la pédagogie et de la psychologie des adolescents, certains professeurs, qui ne se soucient que du programme à terminer, oublient souvent que c’est dans leur rôle que de donner un peu de confiance aux jeunes esprits, que le succès d’un enseignement, pour reprendre le pédagogue français, Olivier Reboul, est fortement lié aux motivations de celui qui le reçoit.
Ces propos gardent encore aujourd’hui, je pense, tout leur sens : on peut tous constater la faiblesse de nos élèves ; mais à partir du moment où on a fait le choix d’une école moins sélective au nom d’objectifs nobles, de normes internationales à respecter, on ne peut plus être aussi exigeant au Bac ; proposons des sujets à la portée des candidats profilés par « l’éducation pour tous » pour plus de cohérence. Pourquoi pas 80 % au Bac au Sénégal, des résultats qui feront moins honte, et après on verra, on réfléchira comme l’auteur français Stéphane Beaud.
Cette proposition taquine, qui paraît même saugrenue, n’est pas partagée : mon ami l’inspecteur Mamadou Barry de l’IFE d’Oussouye avec qui je discute beaucoup est pour la réhabilitation des diplômes universitaires, en commençant par le Bac qui ne doit pas être à la portée de tout le monde. Il faudrait même, pense-t-il, un concours d’entrée à l’université, comme cela se fait dans certains pays, dont le Nigeria. Une des solutions serait la création de lycées professionnels pour accueillir juste après le Bfem tous ces élèves qui n’ont pas le niveau, qui ne peuvent pas tous se retrouver candidats au Bac général.
Il faut également revoir les programmes : est- ce qu’un élève de terminal L a besoin d’avoir un programme fleuve en mathématique, en SVT ; un élève de S1 trouvera-t-il du temps pour apprendre toute la littérature sur Rimbaud, Hugo, la décolonisation, la guerre d’Indochine… en histoire ? Je pense qu’ils gagneraient qu’on les aide à comprendre le résumé, la technique du commentaire, de l’argumentation, les techniques d’expression, de rédaction de lettres administratives ; un cours d’introduction au droit à la place des mathématiques serait préférable en L’. Bref, on a beaucoup d’éléments à élaguer de nos enseignements ; il faut alléger le programme…
Bira SALL
Professeur de philosophie au lycée Ababacar Sy de Tivaouane. Expert Junior, spécialiste suivi Programme Petite Enfance. sallbira@yahoo.fr
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