«Bref, les [dirigeants] doivent s’interroger sur leur propre cohérence éthique car, s’ils contredisent dans l’action l’éthique qu’ils exigent des autres dans leurs discours, on ne fera qu’exaspérer la société sans la changer.»
Ces propos d’André Beauchamp sont adressés aux défenseurs de l’environnement, par leurs discours, et qui, par leurs actions, polluent l’environnement. Mais ils sont aussi valables pour les hommes politiques et les dirigeants de notre pays. Les fortes pluies qui se sont abattues sur la capitale sénégalaise le week-end dernier ont occasionné des inondations un peu partout dans Dakar. Ces inondations n’ont pas épargné l’autoroute à péage. Ce qui a poussé certains taximen à emprunter les passerelles pour piéton sur l’autoroute à péage. Des images qui ont fait le buzz dans les réseaux sociaux et la presse en ligne. Tout le monde s’indigne et s’insurge contre ce comportement incivique de ces chauffeurs de taxi dans une capitale supposée émergente. Seulement, ce n’est pas l’occasion pour molester les taximen et autres chauffeurs de transport en commun. Ces derniers ne font que refléter la triste image de notre société qui est profondément en crise.
C’est surtout l’occasion de réfléchir sur nous-mêmes. De ce fait, les mesures prises par l’Etat de sanctionner de tels comportements sont certes bonnes, mais se révèlent insuffisantes pour éradiquer de pareilles attitudes. Il importe plutôt de réfléchir profondément sur la longue marche d’une société qui en est arrivée à un degré de «je m’en foutisme» caractérisé qui n’épargne presque plus aucun domaine de la vie sociale.
Nous avons des dirigeants qui font des promesses mirobolantes aux populations sans respecter leurs paroles. Des politiciens qui font de beaux discours et qui, par leur comportement, en expriment le contraire.
Nous vivons dans un pays où le masla et l’interventionnisme politico-religieux ont fini par prendre le dessus sur les sanctions exemplaires à l’endroit des fautifs et l’expression libre de la justice à l’égard de tous les citoyens.
Souvent, nous avons une justice à deux vitesses : celle des riches, beaucoup plus clémente et celle des pauvres très exigeante et sévère.
L’attitude de ces taximen à l’égard de la route (ou du moins du code de la route) est égale à celle de beaucoup d’autres citoyens à l’égard de la chose publique dans leurs domaines respectifs.
Autrement dit, ce taximan a le même comportement qu’un bureaucrate qui rentre chez lui le soir sans éteindre le matériel de son bureau (climatiseur, ordinateur, lampe etc.).
Ce taximan a le même comportement qu’un directeur de société ou un ministre de la République qui détourne les derniers publics placés sous sa responsabilité.
Ce taximan a le même comportement qu’un ouvrier qui fait courir son employeur alors qu’il a déjà encaissé son avance pour faire le travail qu’on lui a confié.
Ce taximan a le même comportement que le médecin négligeant qui a conduit à l’aggravation de la situation du malade, voire à sa mort.
Ce taximan enfin a le même comportement que le parent irresponsable qui ne se préoccupe pas de l’éducation et de la prise en charge de ses enfants.
On peut encore citer tant d’exemples, mais chacun y verra le sien en fonction de son secteur et de son domaine d’activités. Dans mon livre, Du destin d’un peuple – Réflexions sur le Sénégal et l’Afrique [1]], je mets l’accent sur la nécessité de changer nos comportements. J’insiste pour dire que les milliards investis pour le développement de notre pays ne mèneront pas notre jeune Etat à l’émergence escomptée par le pouvoir en place. Car le développement, c’est d’abord une affaire de mentalité. C’est une prise de conscience citoyenne, la discipline du peuple et une haute idée du patriotisme et du respect de la chose publique. Le meilleur investissement n’est pas financier ou économique mais humain. C’est un investissement dans les chantiers de l’homme [2] : l’éducation et la formation des citoyens d’abord, et puis dans les chantiers routiers et infrastructurels. Le développement ne se décrète pas. Il ne relève pas aussi d’un coup de baguette magique.
Le développement, c’est une affaire de mentalité, une conquête générationnelle inscrite dans la durée. En réalité, il n’y a pas d’émergence sans discipline, sans respect d’autrui et sans justice sociale. Il ne peut y avoir de développement aussi dans un pays où chacun est à la recherche de ses intérêts personnels et où l’intérêt général et le bien public sont relégués au second plan.
Ce taximan ne voyait que son intérêt personnel. Il ne cherchait que ce qui l’arrange, ce qui l’arrange étant à ses yeux la règle. Il n’est pas le seul Sénégalais à raisonner ainsi. Du sommet à la base, des dirigeants au bas peuple, presque tous les Sénégalais ne se préoccupent que de leurs propres intérêts. Nous vivons dans un Etat où l’injustice et sa sœur l’impunité prennent des proportions qui incitent à la peur. Tout le monde fait ce qu’il veut et personne ne dit rien. Nos dirigeants ne peuvent donner l’exemple qu’en étant des exemples. Le peuple n’a que les dirigeants qu’il mérite et les dirigeants sont à l’image du peuple. Il en est de même que ce taximan qui ne fait que refléter l’image du peuple sénégalais qui a perdu sa capacité d’indignation, sa discipline et son éthique d’antan.
Le Sénégal émergent ne passera pas par les passerelles de l’incivisme, de l’indiscipline et du laxisme, mais par l’autoroute du patriotisme, de l’éducation et du travail.
Ngor DIENG
Psychologue conseiller