Les années se suivent et se ressemblent en ce qui concerne les résultats de l’examen du Baccalauréat. «Catastrophique !» est depuis plusieurs années le qualificatif le plus utilisé à chaque sorti de ses résultats. Le taux de réussite qui tournait autour de 43% a chuté ccs deux dernières années à 31,5%. Le drame est que les jeunes qui sortent indemnes de cette épreuve ne sont pas pour autant à l’abri d’autres souffrances. En effet, trouver une place dans l’enseignement supérieur, qui est une suite naturelle pour tout détenteur de Bac, est devenu une corvée et en sortir avec un diplôme un rêve. Ce qui n’est pas sans susciter d’interrogations sur le système éducatif, sur ce grade que le colonisateur nous a légué. Le Sénégal s’est-il bien accommodé de cette institution française qu’est le Bac ? Cet héritage n’est-il pas trop coûteux pour les candidats, leurs familles et l’État sur les plans social et économique ? Ce grade peut-il continuer de constituer le verrou central du système éducatif sénégalais ? Autant d’interrogations qui peuvent tarauder l’esprit de tout observateur du système d’éducation et de formation du Sénégal.
Le Baccalauréat hérité de la France !
Renvoyant en latin médiéval (baccalarius), au «jeune homme qui aspire à devenir chevalier» ou à la hiérarchie religieuse, le Baccalauréat est l’un des plus anciens diplômes de la France. Il représentait, au XIIIème siècle, le premier grade conféré dans les facultés des arts, de médecine, de droit et de théologie de l’université de Paris. Il a connu depuis d’importantes mutations. Il fut réorganisé, après la Révolution française et la suppression des universités, par Napoléon Ier en 1808. L’Éducation étant retirée de l’Église pour devenir une affaire de l’État, le Baccalauréat, comme la Licence et le Doctorat, en est devenu un grade national. Depuis 1927, ce diplôme n’était plus préparé dans les facultés, mais au lycée sous l’égide de jurys constitués d’universitaires. Il est ainsi, tout en restant premier grade de l’Université française, un diplôme terminal de la formation secondaire.
Il s’y ajoute que le Bac, en plus de sa fonction certificative, est un symbole. L’examen qui permet de l‘obtenir est perçu comme le dernier rite initiatique républicain en France. En plus d’assurer une fonction de balise du parcours scolaire, le Bac incarne également un idéal de culture commune partagée. Sa fonction de repère, après la suppression du service militaire obligatoire, dépasse le seul système éducatif. Il est utilisé comme une attestation de maturité. La formule popularisée « Passe ton bac d’abord ! » illustre ce caractère de visa pour l’âge adulte.
C’est ce diplôme que le Sénégal a hérité. Il y constitue une valeur sociale et économique centrale, y sert de référence sur le plan administratif. Les postes sont hiérarchisés et déclinés en fonction de ce grade, ce qui fait que son obtention représente un enjeu majeur.
Rendement du système en Bac.
Le nombre de candidats au Bac a considérablement augmenté entre 2001 et 2015. Il est passé de 26 973 à 146 261 candidats, soit 12.83% de croissance annuelle. Comme ce diplôme n’est pas économiquement valorisable sans formation supérieur, la demande d’accès aux universités, qui constituent l’ossature des établissements d’enseignement supérieur au Sénégal, explose. De 9159 en 2001, le nombre de bacheliers est passé à 45 081 en 2015, soit une croissance annuelle de 12.33%, dépassant de loin la capacité d’accueil des universités. A cette vitesse, la population de bacheliers va doubler en 2021. Mais si on considère la proportion de bacheliers dans une génération (Population de même âge), le Sénégal est à 4.45%, là où dans les pays de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques), on compte environs 80 % de diplômés du deuxième cycle de l’enseignement secondaire chez les 25-34 ans. D’ailleurs dans ces pays en général, le Bac n’est plus l’étalon de niveau de formation de la population mais la licence (Bac+3). Le pourcentage de diplômés de l’enseignement tertiaire y était en 2012 de 39% chez les 25-34ans, avec une croissance annuelle de 3%. Ce qui montre l’énorme fracture qui existe entre ces derniers et le Sénégal, l’un des premiers pays en Afrique au Sud du Sahara à avoir une institution de formation universitaire, qui compte moins de 2% de titulaires de licence par génération.
La forte déperdition des bacheliers à l’université y aggrave la situation. A ce niveau, le nombre d’étudiants qui obtiennent la licence sans retard (en trois ans) ne représente que 10,3%. L’ensemble de ceux parmi eux qui décrochent ce diplôme n’atteint 43,4% qu’au bout de neuf ans à l’Université. Pour connaître la racine du mal, les résultats du Bac des dernières années sont analysés. Il est constaté que seul 15,5% des candidats s’en sortent au premier tour. Ce qui corrobore les résultats de recherches trouvés ailleurs : «85 % des bacheliers ayant obtenu une mention « très bien » passent en 2ème année à l’université, contre 54 % de ceux qui ont obtenu une mention « passable » et 38 % de ceux qui n’ont obtenu le diplôme qu’au l’issue des épreuves du second groupe. Pour dire que les résultats obtenus par les bacheliers n’ayant obtenu le diplôme qu’à au 2ème tour, conduisent à douter de la qualité de ces épreuves. En somme, l’effet du niveau des entrants dans le rendement de l’université ne peut pas être occulté. C’est pourquoi le Syndicat Autonome de l’Enseignement Supérieur (SAES) avait décidé en 2012 d’organiser un atelier pour réfléchir (comme il sait bien le faire) sur la valeur certificative du Baccalauréat. Ce qui l’avait conduit à s’interroger sur le statut du diplôme considéré comme premier grade de l’université, sur l’opportunité d’instituer des tests d’entrée à la Fac ou un Certificat de Fin d’Études Secondaires (CFES) afin de mieux dessiner débouchés et destinations post secondaires. Ainsi, on réduirait le coût pédagogique trop élevé du Bac et par ricochet ses dégâts socio-économiques.
Le coût du Bac.
En termes monétaires, si une scolarité menant à un certificat d’études élémentaire (CFEE) en 6 ans coûte environ 631 632,00 F, le bac en 13 ans vaudra 1 000 706F. Il faut cependant relativiser ces dépenses théoriques en prenant en compte la déperdition (redoublements et sortis sans diplôme). Ainsi, la dépense théorique moyenne par étudiant au Bac s’élèvera à 2 158 871,99 F, soit une augmentation de 215,73%, après presque quinze ans (14.7 ans) de formation. Ce qui dénote une déperdition importante à la fin du cycle secondaire, seule une infime partie de la population arrive à obtenir ce diplôme qui coûte au contribuable l’équivalent de 3.7 PIB par tête.
Enfin, rappelons que la population scolarisable (2-24ans) du Sénégal représente 46.98% de la totale alors que celle-ci ne fait pas plus de 23 % dans les pays de l’OCDE. Il s’y ajoute que ces derniers arrivent à élever le niveau de formation de cette population à la hauteur du Bac à 80%, alors que le Sénégal n’en scolarise que 22.16%. Le paradoxe est que ces pays à faible population jeune dépensent plus pour la recherche et la formation supérieure que les pays comme le Sénégal dont presque la moitié de la population est scolarisable. Pour cause, quand les pays de l’OCDE consacrent 5% de leur richesse(PIB) dans ce sous-secteur, nos pays suivent la Banque mondiale qui leur recommande fortement le maintien du budget alloué à la recherche et la formation en l’état : 1.47% du PIB ! N’osant pas crever ce plafond africain érigé par son principal bailleur de fonds, le Sénégal continue de patauger dans des difficultés. Son État n’arrive pas à normaliser le fonctionnement des institutions de formation et de recherche. Ces dernières peinent à payer salaires et fournisseurs, ce qui les maintient dans l’océan d’instabilité.
L’acceptation de ces directives de la Banque mondiale est incompréhensible quand on connaît la forte corrélation entre le niveau de ces indicateurs et ceux de l’état de santé des populations, de l’engagement social des individus, des taux d’emploi, des meilleures perspectives professionnelles et des revenus du travail. Il est partout admis que la prospérité sociale, plus que la croissance économique, est fonction de ces indicateurs.
Cela dit, il importe de pousser la réflexion et sortir des sentiers battus. Avec moins de 2% de bachelier par classe d’âge, l’ambition des dirigeants sénégalais devrait dépasser les indicateurs UNESCOyens de comparabilité, comme 2% de la population dans le supérieur, qui biaisent nos plans de développement. L’objectif pédagogique ou scientifique réel consisterait à viser le relèvement du niveau de formation de notre société à 30% de bacheliers par classe d’âge au moins à l’horizon 2025 pour rêver d’atteindre 15% de licenciés par génération en même temps Autrement, nous resterons longtemps en rade, derrière les pays qui visent 50% de licenciés par classe d’âge. Inutile de dire que la compétition est rude. La distance qui nous sépare du peloton de tête des pays scientifiques est très importante.
Mamadou Youry SALL
Chercheur-Enseignant à l’UGB
- Abris Provisoires Et Déficit En Amphithéâtres, N’y Aurait-il Aucune Solution ? - 1 juin 2016
- Le Baccalauréat, Un Héritage Trop Lourd! - 20 août 2015
- L’École Classique (daara), L’École Officielle Et La Modernité ! - 19 avril 2015