En lisant la presse écrite, en écoutant la radio et en regardant la télévision une question effrayante et chagrine me vient à l’esprit: quel Sénégal léguerons-nous à nos enfants?
Le Sénégal n’est plus comme il était avant, se reposant sur le socle des valeurs, d’éthiques et de sagesse.
Notre société perd de plus en plus ses repères, son identité, sa culture, sa morale et son éthique par le mauvais comportement de certains leaders d’opinion sur le plan politique, religieux, culturel et artistique ce qui ternisse l’image de marque de notre cher pays.
Il y a, à mon avis, des facteurs qui traduisent la perte ascendante de notre société de ses valeurs jadis sacrées et enviées.
1. La transhumance
La transhumance, concept emprunté du pastoralisme, de son dérivé du latin trans (de l’autre côté) et humus (la terre, le pays), est la migration périodique des bergers suivant leur bétail en fonction des saisons en quête de fourrage, du pâturage et de la verdure naturelle.
Cependant, la transhumance politique est un acte délibéré. Elle consiste à abandonner définitivement ou de manière circonstancielle, pour un homme politique, son parti pour s’insérer, souvent, dans le parti au pouvoir ou dans la mouvance présidentielle afin de se protéger, de préserver un acquis, un privilège comme un poste ou de les acquérir.
Ce phénomène politique n’est qu’une trahison d’un compagnon de route ou d’un ami, une échappatoire des griefs de la justice après avoir commis un délit et/ou un crime et un égoïsme manifeste et indigne pour acquérir ou préserver un poste ou un privilège personnel généralement acquis dans des circonstances non reluisantes. Elle est un acte d’infidélité, d’hypocrisie, de manque de loyauté et d’honnêteté vis-à-vis de l’ancien parti et des anciens compagnons.
La transhumance politique est l’une des conséquences du Sommet de La Baule, en France en 1994, pendant lequel le Président François Mitterrand a conditionné l’octroi de l’aide française au développement à la démocratisation des régimes africains.
Elle constitue aujourd’hui le fléau de la démocratie en Afrique.
Si la transhumance politique est bannie par l’islam, la morale, la sagesse et l’éthique, cependant, elle est, au sens pastoral, recommandée par le Coran pour le bien être du bétail car tous les prophètes ont fait paître les animaux avant qu’ils ne soient envoyés comme moyen d’apprentissage pour guider les gens.
En vertu de ce constat, comment peut-on défendre la transhumance politique dans une société qui aspire à préserver jalousement ses valeurs éthiques et morales ancestrales?
Le « recyclage » politique ne fait que retarder le pays car les concepts ne sont plus les mêmes ce qui fait qu’il faut faire appel à la nouvelle génération pour la bonne gouvernance.
Le monde qui vivait en bicéphalie (bloc de l’est et de l’ouest) est devenu monobloc et planétaire, depuis la fin de la guerre froide.
Le capitalisme, le communisme, le marxisme, le léninisme ne sont plus en vogue et ne constituent plus non plus la source des conflits qui menaçaient le monde.
Ces concepts sont remplacés aujourd’hui par le terrorisme, la dégradation de l’environnement et le changement climatique. Les systèmes économiques et audiovisuels ont passé de l’analogie au numérique.
La diplomatie politique cède sa place à la diplomatie économique.
La sécheresse est remplacée par les inondations ce qui fait qu’un enfant sahélien de moins de 15 ans est plus familier aux pluies diluviennes qu’aux poussières du Sahara.
Les dirigeants des grandes villes sahéliennes se préoccupent davantage de faire des canalisations que d’achever la mise en place d’une muraille verte pour stopper l’avancée du désert.
En vertu de ces nouveaux concepts et réalités, il est plus que jamais nécessaire de choisir de nouvelles compétences incarnées par les jeunes au lieu de recycler des hommes dont leur temps est révolu.
Point de morale et de bonne gouvernance pour justifier la transhumance politique.
Un Etat de droit, moderne et démocratique a besoin d’une opposition forte et responsable qui se sert d’un tableau de bord, comme le conducteur de véhicule pour contrôler son moteur, pour connaître les réalités de la société. Les masses médias crédibles et professionnelles sont comme, pour un gouvernement engagé, la graisse entre les organes du moteur.
2. Le « wax waxeet »:
Comment peut-on cautionner le »Wax waxeet », renier la parole donné, dans une société pétrie de valeurs?
Le « wax waxeet » est le comportement le plus indigne d’un guide qu’il soit politique ou religieux, qu’il soit père de famille ou chef de tribu.
Le »Wax waxeet » est contraire à toutes vertus et à toutes qualités morales d’un responsable.
Si nos dirigeants font tous le »Wax waxeet », cela signifierait que nous sommes dirigés par des trompeurs et des hypocrites qui bafouent les valeurs de notre société dans laquelle le respect de la parole donnée constituait l’une de ses valeurs cardinales.
En revisitant l’histoire de notre société authentique, on se rendra compte que le »Wax waxeet » y a été totalement banni. La personne qui s’en rendait coupable était dénigrée et placée à la plus basse échelle de la société.
Nos ancêtres étaient des hommes fiers qui se mesuraient socialement de par le respect de leur parole. Le non respect de la parole donnée fut considéré comme un acte qui déshonore toute une famille voire un clan, une ethnie de par son caractère de trahison et de mensonge.
Un regard désapprobateur et de mépris état posé sur la personne qui revenait sur ses dires.
Pour étayer cela, on dit : Gor ça waxja ; Limalawax sudeigni lu thiamène yi raxasso mananko, lima wax sudeignii fôma sèn néma guri. Les non wolofs aimaient dire : Mane lakakatlà lumala wax dodagne. Et si on conseillait à quelqu’un de nier sa parole, il rétorquait : dè momako gueneul (je préfère mourir que de renier ma parole).
Le respect de la parole et de l’engagement constituait jadis la force de nos vaillants résistants, nos chefs traditionnels et nos vénérés guides religieux, ce qui leur conférait la confiance des gens et leur permettait de défendre dignement les valeurs de la société et de la patrie face à la puissance coloniale.
Il faut signaler qu’il y a beaucoup de facteurs qui sont à l’origine du »Wax waxeet ». Parmi eux la non crainte d’Allah, le manque de confiance en Lui, alors que c’est Lui qui nomme et qui destitue, le manque de respect envers les gens en leur faisant des promesses irréalisables.
Aujourd’hui, on constate que certains guides religieux et certains imams cautionnent le ‘’Wax waxeet‘’. Ils le recommandent même, alors que l’islam le dénonce vigoureusement comme en témoignent ces versets « Ô vous qui avez cru ! Pourquoi dites-vous ce que vous ne faites pas? C’est une grande abomination auprès d’Allah que de dire ce que vous ne faites pas » S.61: 2/, et « Sont bienheureux également] ceux qui veillent sur les dépôts qu’on leur a confiés et honorent leurs engagements…» S. 23:8/11.
Un bon musulman est tenu d’honorer ses paroles et ses encagements :« …et ne violez pas vos serments après les avoir solennellement prêtés et avoir pris Allah comme garant (de votre bonne foi)… » S.16 : 91 ; S.13: 20.
Celui qui ne tient pas sa parole et ses engagements est compté parmi les hypocrites énumérés par le Prophète (PSL) « Les signes distinctifs de l’hypocrite sont au nombre de trois : Lorsqu’il parle il ment, lorsqu’il promet il viole sa promesse, et lorsqu’on lui confie quelque chose, il trahit notre confiance ».
Le Prophète Mouhamed (PSL) a tracé la voie à suivre pour un guide digne de foi par le respect de son engagement et sa persévérance devant la pression des Quraychites en refusant les privilèges qu’on lui avait proposés en disant à son oncle Abou Talib : « Ô mon oncle ! Je jure par Allah que même s’ils mettaient le soleil dans ma main droite et la lune dans ma main gauche pour me faire renoncer à cette affaire, je n’y renoncerais jamais jusqu’à ce qu’Allah la fasse triompher ou que j’y perde la vie ».
3. L’impunité
Il ressort d’un constat qu’au Sénégal il y a deux citoyens distincts; un citoyen intouchable et un autre ordinaire livré à lui même à qui s’appliquent les lois ce que l’Islam a complètement banni. Par conséquent, si 95 pour cent des 13 millions Sénégalais sont des musulmans cette hiérarchisation doit être éradiquée.
Le Prophète était clair sur ce point lorsqu’Oussama Ibn Zayd lui demandait de pardonner la femme qui avait volé en disant: «Tu intercèdes pour qu’on pardonne une peine parmi les peines d’Allah !; Certes, ce qui a perdu ceux qui sont venus avant vous est que lorsque le noble parmi eux volait, ils le laissaient et lorsqu’un faible volait ils lui appliquaient la peine prescrite. Je jure par celui qui détient l’âme de Muhammad dans sa main, si Fatima la fille de Muhammad volait je lui couperais la main », et qu’il a ordonné que l’on coupe la main de cette noble femme de benimaghzoune.
En vertu de cette position prophétique, comment peut-on concevoir qu’un guide religieux qui intervienne pour faire libérer quelqu’un épinglé par la justice de notre pays?
Point d’impunité en l’islam; le sermon d’investiture du premier calife Abubacar en atteste ; « Ô peuple! J’ai été investi de la charge de la communauté, bien que je ne sois pas le meilleur d’entre vous. Si j’agis bien, aidez- moi, mais si je dévie du droit chemin, corrigez-moi! … ».
Le deuxième calife, Omar Ben Khatab, lui aussi a dit la même chose dans son sermon adressé aux musulmans en tant que commandeur des croyants « Amir El môminiina » « Ô gens, si quelqu’un d’entre vous voit en moi des déviances qu’il me corrige».
Chaque Sénégalais, surtout les hommes politiques et les hommes d’affaires, cherche »un protecteur » pour se soustraire de l’application de la loi. On dit dans le slogan du pays »Kôkou daffa hamdèye du teude kasso » ou ‘’Borom koudou doulack’’.
Ce phénomène à fait naitre le clientélisme politico-religieux au Sénégal soit pour se faire élire ou se maintenir au pouvoir; soit pour bénéficier des privilèges économiques et sociaux alors que la population reste la proie des ces deux systèmes, est broyée entre le marteau et l’enclume.
Le Président Macky Sall a été virulemment attaqué de partout lorsqu’il a déclaré que les Sénégalais sont tous égaux, y compris les marabouts, devant la loi.
4-La trahison et la corruption
Au Sénégal, tous les moyens semblent bons pour s’enrichir, avoir des privilèges, ce qui est contraire à notre tradition et à l’enseignement de l’Islam.
La corruption est formellement interdit par l’Islam dans plusieurs versets du coran: « Et ne dévorez pas mutuellement et illicitement vos biens, et ne vous en servez pas pour corrompre des juges pour vous permettre de dévorer une partie des biens des gens, injustement et sciemment » S. 2: 188 ; « … Et ne diminuez pas les mesures et le poids… Ô mon peuple! Donnez le bon poids et la bonne mesure en toute justice, ne lésez pas les gens dans leurs biens, et ne semez pas la corruption sur terre…»,S.11:85-86; :« … Donnez la pleine mesure quand vous mesurez, et pesez avec une balance exacte… », S. 17 / 34-35 ; S. 5 : 1; S. 23: 1-9.
Plusieurs hadiths du Prophète bannissent la corruption dont celui-ci : « Dieu maudit le corrupteur, le corrompu et l’intermédiaire entre les deux ». Il dit: « Il ne fait pas partie de nous celui qui trahit un Musulman de par sa famille et ses biens ». C’est ce qu’on appelle l’usurpation de titre.
5. Manque de liberté et de démocratie
Si les Sénégalais sont de nature collectivement démocrates, leur leader politique eux, sont des autoritaires au sein de leurs formations politiques. Il est rare aujourd’hui dans le paysage politique sénégalais de trouver une formation politique qui accepte la critique interne c’est-à- dire s’autocritiquer ou faire de la dissidence. C’est pourquoi toute personne qui s’aventure à avoir une opinion opposée à celle du fondateur-bailleur du parti est considérée comme frondeur.
Cependant, il est difficile de cerner l’idéologie et le projet de société de chaque parti politique parmi les deux cent vingt que compte le Sénégal. Créer un parti politique ou y adhérer est tributaire de mécontentement ou de frustration et non l’idée et l’ambition de mettre en place un projet de société meilleure que les autres.
Voila pourquoi, ces partis ne font que favoriser l’anarchie, l’égoïsme et le clientélisme.
Le chef de parti, le fondateur-bailleur, est comme le chef de famille traditionnelle qui demeurait le patriarche, qui détenait le monopole de la sagesse et de la parole imposant son autorité totale sur la communauté.
6. Le comportement malsain
Il est déplorable qu’il ne se passe pas un mois, sans qu’un scandale de mœurs, d’atteinte à la pudeur, de pédophilie, de viol de mineurs, de violence conjugale, de crime économique, de détournement des deniers publics ne défraient la chronique. De célèbres artistes, journalistes, hommes et femmes d’affaires, hommes politiques voire même des religieux ont été épinglés dans divers actes indignes par rapport à leurs rangs dans la société.
Il est devenu banal, dans notre société, de commettre un péché. Tout péché est toléré et justifié par la volonté divine c’est-à-dire un destin inévitable, d’envoûtement, de maraboutage, du fait de démon, du fait de l’état d’ébriété …
7. Les habits indécents.
Chaque société doit avoir un model et une référence morale. Chaque société doit garder son identité culturelle, artistique, vestimentaire et culinaire quelle que soit la dimension de son ouverture vers l’extérieur.
Les premières Dames comme par exemple Michelle Obama influent sur le comportement des américaines, mais au Sénégal, c’est le contraire car les sénégalaises ne s’inspirent pas des tenues traditionnelles que porte dignement, et sans aucun complexe, Madame la première Dame Marième Faye Sall, à la Maison blanche ou à l’Elysée. Elles préfèrent porter des tenues indécentes qui sont totalement contraires à nos valeurs ancestrales et à l’islam.
Quelle inconscience, quel malheur au moment où le Professeur Iba Der THIAM et son équipe travaillent pour léguer à cette génération l’image originelle du Sénégal à travers l’écriture de son histoire authentique.
En guise de conclusion, il est inquiétant, aujourd’hui, de constater que l’implication des guides religieux est non pas de condamner mais de cautionner, avec bec et ongles, la transhumance, le wax waxeet, les crimes économiques, l’impunité, les conditions inhumaines dans lesquelles vivent quotidiennement les enfants de la rue: talibé Daara ou assimilés.
Les viols quotidiens, les meurtres ascendants, l’infanticides, la consommation d’alcool, la prostitution autres fléaux rongent le corps de notre société.
Le Sénégal n’est pas mal économiquement, il l’est politiquement et moralement.
Dr El Hadji Ibrahima THIAM
Email.thiamsane@yahoo.fr