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Pour Un Débat : Les Partis Politiques Sont-ils Réformables ?

La démocratie politique postule la représentation du corps social dans les instances politiques de gouvernance.

Pour aller des représentés aux représentants, il y a la constitution et le système électoral dont la mise en œuvre peut assurer la démocratie, la paix intérieure et la stabilité des institutions ou, au contraire exposer le pays aux affrontements, à la guerre civile, à la mise entre parenthèses de la démocratie.

Parmi les niveaux de représentation politique, les enjeux les plus importants concernent la direction de l’Etat et donc l’élection du Président de la République, dans le cadre du système politique sénégalais tel qu’il est. En effet, le président de la République, étant la clé de voute des Institutions, a des pouvoirs considérables.

Le débat sur ces pouvoirs agite régulièrement l’opinion, à tort ou à raison. Mon propos ne porte pas sur leur étendue, non pas parce qu’elle manquerait d’intérêt, mais parce qu’à mon sens, dans les temps actuels, cette question n’est pas le cœur des réformes de la constitution.

De mon point de vue, la bataille pour une constitution limitant la durée et le nombre de mandats du président de la République, avec à la clé un verrouillage rendant impossible leur révision est le cœur des futurs progrès démocratiques dans tous les pays d’Afrique. Tous les tripatouillages des constitutions concernent fondamentalement le nombre des mandats du président de la République. Il y a un an, le Burkina chassait son Président au prix du sang. En ce moment le Burundi, dans l’œil du cyclone, est l’exemple le plus patent des maladies de la démocratie en Afrique. La Guinée-Bissau, après avoir élu son président, est en pleine crise de gouvernabilité. D’ici à la fin de l’année des élections présidentielles interviendront dans plusieurs pays du continent et l’inquiétude est la chose la mieux partagée.

Pour le Sénégal, nous semblons nous acheminer vers le règlement de cette problématique avec la révision constitutionnelle annoncée pour 2016, avec un mandat de cinq ans, renouvelable une et une seule fois, dispositions non révisables, comme l’est la forme républicaine de l’Etat.

Outre la présidence de la République à pourvoir, l’élection des députés et des conseillers locaux représente un autre enjeu de pouvoir. Le nombre très élevé des partis politiques, la marchandisation des labels à l’occasion des élections, le coût exorbitant des élections locales ou nationales, la dispersion de l’électorat,…sont des conséquences du « multipartisme absolu » instauré en 1981.

La sortie de cette jungle est devenue une question de salubrité démocratique et financière pour les ressources publiques.

S’il est nécessaire que la diversité : politique, sociologique et l’égalité des genres, soit présente dans les assemblées, cela n’est pas une fin en soi. C’est là que le mode de scrutin est crucial, veillant à assure potentiellement la représentation des différentes sensibilités sans nuire à la formation d’une majorité en état d’accompagner une gouvernance durable. A mon entendement, le mode de scrutin du « code électoral consensuel » de 1992 reste tout à fait actuel, même s’il y a besoin de renforcer la composante issue du scrutin proportionnel, aux niveaux national et local.

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La politique est une activité pour laquelle tous les Sénégalais des deux genres et de toutes les conditions sociales se reconnaissent sans modestie des aptitudes. Chacun ou chacune s’estime élu pour conduire les destinées du peuple tout entier. Chacun ou chacune considère que son destin est de n’être que le N° 1 en toutes choses. D’où certaines de nos caractéristiques : la dispersion, le blabla, l’immodestie, la vantardise, le paraitre, le nombrilisme, la rouerie, la fête permanente. Un pays où chacun se prétend prophète est terriblement difficile à gouverner. Envisageons notre avenir avec plus de rassemblement autour de ce qui nous est commun, par des efforts héroïques soutenus au quotidien, dans la discrétion, l’efficacité et l’efficience.

La moralisation du champ politique suppose que la reddition des comptes de tous les fonctionnaires et agents de l’Etat, y compris et surtout des élus, devienne une exigence forte de la direction politique du pays, des autorités religieuses, coutumières et de l’opinion publique ; que les organismes de contrôle et la justice aient toute la latitude voulue pour combattre la corruption, la concussion, les détournements des deniers publics, de la craie qu’utilisent les maitres d’école aux milliards des projets et programmes qui se suivent et se perdent dans les sables et qui représentent un fardeau énorme pour les générations futures, à travers une dette et un service de la dette extrêmement pesants.

Aménageons le système électoral en recourant à tous les moyens praticables pour améliorer l’organisation des élections, réduire les procédures et les délais de vote et le temps de la proclamation des résultats, dont on peut avoir la physionomie en moins d’une heure après la clôture du scrutin. Parmi les autres pistes pour alléger les coûts financiers des élections, et peut-être réduire le nombre des partis politiques, il convient d’engager la responsabilité pécuniaire des partis, des coalitions de partis et des candidatures indépendantes en faisant payer entièrement les frais engagés par l’Etat si un certain pourcentage du corps électoral n’est pas atteint, par exemple entre 5% et 10%. En outre, le Code électoral devrait rendre obligatoire la participation aux élections locales et nationales, étant entendu que les partis qui se déclarent librement. En effet, la libéralisation de la création des partis politiques est une conquête de décennies de lutte qu’il ne faudrait pas remettre en cause.

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L’explosion observée du nombre des partis vient de ce que les dispositions prévues pour leur contrôle ne sont pas mises en œuvre par le Ministère de l’Intérieur ou la Justice depuis maintenant 35 ans. Pourquoi en est-il ainsi durablement ?

Le contrôle ne s’intéresse qu’aux finances des partis. Parfois, l’objection est soulevée s’agissant du contrôle des ressources des partis qui ne reçoivent pas de financement public. L’objection ne tient pas la route, pour au moins trois raisons :

un parti politique a pour vocation la conquête du pouvoir politique ou la participation à sa gestion ;

à cause de cette vocation, les partis politiques peuvent être courtisés par des forces économiques, religieuses ou autres, tant nationales qu’étrangères, d’où des soucis sécuritaires majeurs et le besoin de s’en protéger ;

enfin, les organisations comme les individus dans un pays bénéficient directement ou indirectement des ressources publiques : les routes, le système d’éducation et le système de santé, la sécurité publique et la sauvegarde des biens économiques à la charge de la police, de la gendarmerie, des douanes et de la justice, la protection qu’assurent les armées, la solidarité nationale servie aux plus vulnérables, les salaires etc.… Il est donc nécessaire de contrôler les partis et ce contrôle devrait inclure le respect des règles de fonctionnement consignées dans les statuts et règlements intérieurs, d’où germent toutes les dérives antidémocratiques dont tout le monde se plaint. La démocratie, vitale dans l’espace public, l’est aussi dans la vie des partis politiques qui occupent le vestibule de l’espace public et se déploient dans l’espace public. Ils doivent être soumis à un cahier de charge équitablement contraignant.

En définitive, assurer une vie démocratique, transparente et contrôlée des partis politiques devrait permettre de mettre un terme à leur patrimonialisation. Le mal politique sénégalais est là et pas ailleurs : les partis, théoriquement des associations d’intérêt public, « appartiennent » en fait à ceux qui les ont créés et qui les financent, l’intérêt public cessant d’être une boussole manifeste pour n’être plus qu’une fiction sous laquelle une entreprise personnelle ou de groupe est conduite. Ce dernier point de contrôle, à savoir le fonctionnement régulier des partis, rencontra des réticences énormes, en raison des pratiques accumulées depuis plus de cinquante ans, mais aussi parce qu’il s’agit d’une véritable révolution intellectuelle et mentale. A défaut d’entreprendre ce chantier d’intérêt national, il convient au moins de poser le débat qui suivra sa propre trajectoire le temps qu’il faudra.

La politique est presque toujours identifiée aux personnes qui se bousculent pour occuper des responsabilités dans les appareils d’Etat. On fait rarement attention à l’administration publique, aux forces sociales, économiques et spirituelles qui tirent des avantages considérables des ressources publiques, participent de l’inertie frénatrice des changements, entretiennent la corruption et la concussion, montent au créneau pour défendre le statu quo ouvertement ou par des voies et des voix que seul Dieu connait.

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L’exemple de la Grèce, pays européen de vieille civilisation, au cœur de l’actualité récente, ne devrait pas être considéré comme étrange par les Sénégalais. Si la Grèce est dans la douleur et est sous la tutelle, la faute incombe à ses classes dirigeantes, jusqu’y compris son Eglise, depuis des décennies, voire plus. Ses plaies : les privilèges socio économiques quasi généralisés, la patrimonialisation de l’Etat, la généralisation de la corruption et le laxisme : ne serait ce pas là les plaies de l’Afrique et du sous développement ?

Le développement économique et social ne se fait jamais sans un leadership politique et intellectuel vigoureux, inspiré et inspirant. Inversement un leadership non éclairé, isolé, fragile et constamment déstabilisé n’induira pas de développement durable, équitablement vécu. Le leadership pour qu’il porte des fruits doit être assumé, outre un leader, par au moins une équipe large, soudée, cohérente et visionnaire, et mieux par un ensemble de forces pour en assurer les tâches transformatrices dans la durée.

Si les fruits de la démocratie ne remplissent pas les ventres, elle s’exile des cœurs et de la raison, se dévalorise et s’expose à tous les virus qui la guettent. La souffrance sera alors encore plus dure à subir, sans qu’une alternative durable n’en prenne le relais.

Une profonde maladie s’est installée dans l’esprit et les propos des Sénégalais. Il s’agit du populisme, avec des promesses ou des demandes impossibles ou insensées, réclamant tout à l’Etat, attendant tout de l’Etat, y compris la résolution des soucis strictement privés. Des journaux et des télévisions se sont spécialisés dans l’exposition et l’exploitation de la misère et de la sinistrose, renforçant l’attentisme, la main tendue, le pessimisme systématique et le fatalisme.

La responsabilité des pouvoirs publics dans l’état du pays est patente et est régulièrement dénoncée, à raison ou à tort. Qu’en est-il alors de la responsabilité des forces sociales, économiques et spirituelles ? Qu’en est-il des organisations sociales ? Qu’en est-il des citoyens ? Qui soignera le Sénégal si ce n’est le Sénégal lui-même ? Interrogeons nous et donnons à l’avenir de nos enfants la chance d’être meilleur que notre vie.

 

Samba Diouldé Thiam

Député l’Assemblée nationale DAKAR

SG du Parti de la Renaissance et de la Citoyenneté (PRC)

Membre de la Coalition Benno Bokk Yaakaar

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