En 2012, la baisse des prix des denrées de première nécessité fut au cœur de la stratégie électorale du candidat Macky Sall. Je fus moi-même chargé de penser, avec l’appui d’autres experts, et de proposer la politique à mettre en œuvre pour atteindre le but souhaité. L’argumentaire que nous avons préparé à cet effet fut présenté, entre les deux tours de l’élection présidentielle, devant les organisations de défense des consommateurs et la Presse, au siège du Parti socialiste, et diffusé à tous les membres de la Coalition « Macky 2012 » et aux partis alliés.
Nous l’avons ensuite défendu sur les plateaux de radio et de télévision, promettant, partout, au nom du candidat Macky Sall, que les prix baisseraient sensiblement si ce dernier était élu.
Cette promesse électorale fut effectivement tenue au début du mandat, puisqu’en fin avril 2012, le Gouvernement annonça, à l’issue d’une rencontre avec les hommes d’affaires, une série de baisses touchant notamment le riz, l’huile et le sucre.
La Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS) fut la seule entreprise à recevoir une compensation de son effort de baisse (25F sur le kilogramme de sucre en poudre), tandis que les acteurs du riz, importateurs, grossistes et détaillants, acceptèrent tous de réduire leurs marges, permettant, en avril 2012, de ramener le kilogramme de riz non parfumé à 260 F à Dakar, contre 325 F en mars 2012.
La CSS réussit également à préserver entièrement le dispositif de protection que l’Etat lui a continuellement accordée, lui permettant de maintenir un monopole et des gains hors du commun sur la filière sucrière. Ainsi, une disposition impose à tout nouvel investisseur qui souhaite le produire au Sénégal, de cultiver la canne et de construire une raffinerie. Les sommes en jeu se chiffrant en dizaines de milliards de Francs, la CSS pourra fonctionner encore pour longtemps dans une situation de monopole.
En outre, exploitant une possibilité offerte par l’UEMOA, la Compagnie Sucrière Sénégalaise (CSS) a convaincu l’Etat de faire appliquer, en sus des tarifs douaniers existants, une Taxe Conjoncturelle à l’Importation (TCI) sur les produits des pays tiers calculée sur la base d’un prix de référence fixé arbitrairement et hors de toute logique économique. Récemment, l’Etat a également mis en place un système de régulation des importations du sucre, sous forme de quotas saisonniers à l’importation, en attribuant à la CSS un tiers des volumes en jeu, après le lui avoir refusé pendant deux ans.
Or, il est économiquement infondé de combiner une taxation élevée des importations (avec une TCI et des prix de référence) et un système de quotas saisonniers à l’importation. Dès lors que les importations sont limitées à la différence entre la consommation annuelle des ménages en sucre et la production de la CSS, rien ne justifie de surtaxer les importations, sinon de consacrer le manque de compétitivité de la CSS et de le faire supporter indument par les ménages pauvres.
Les opérateurs économiques du secteur informel stigmatisent, sans discontinuer, cette collusion perpétuelle entre l’Etat et la CSS, et appellent de leurs vœux l’application pleine et entière de la libéralisation dans le secteur du sucre. Pour renforcer leur point de vue, ils soulignent les effets négatifs de la production de canne sur l’environnement, les pertes d’opportunités pour la culture du riz et de légumes dans la Vallée, la moindre qualité du sucre de la CSS par rapport au sucre importé (visible à l’œil nu et au goûter), ainsi que les énormes surcoûts engendrés par le système de protection mis en place, qui pèsent lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages pauvres.
La CSS, pour sa part, brandit, comme le fait toute entreprise protégée, l’argument des emplois (permanents et temporaires) créés et des coûts élevés des facteurs de production, dont les niveaux annoncés sont tout sauf crédibles. Or, l’Etat s’appuie uniquement sur le prix de revient que déclare la CSS pour fixer le prix de référence à l’importation, sans prendre le soin d’auditer sérieusement sa véracité. Ce qui est à la fois naïf et irresponsable; les coûts déclarés n’étant pas forcément justes.
En vérité, cette affaire du sucre de la CSS est le parfait symbole des distorsions inacceptables qui persistent dans l’économie sénégalaise et dont la correction rapide est indispensable pour élever durablement la compétitivité, attirer de nouveaux investissements directs, accélérer la croissance de notre pays et sa marche vers l’émergence, et créer des centaines de milliers d’emplois nouveaux bien supérieurs aux postes existants dans les entreprises protégées aujourd’hui.
La réalité crue, c’est que le sucre en poudre que produit la CSS continue à être vendu au détail à 600 FCFA (au lieu des 575 F retenus par le Gouvernement), alors que l’indice FAO pour le sucre est passé de 368,9 en 2011 à 163,2 en août 2015, soit une baisse de plus de 205 points (http://www.fao.org/worldfoodsituation/foodpricesindex/fr/), en raison notamment d’une offre surabondante de la part des grands producteurs de canne à sucre que sont le Brésil et l’Inde. Si cette tendance mondiale était systématiquement appliquée au Sénégal (comme le promettait du reste le candidat Macky Sall), le sucre serait vendu, aujourd’hui, sur le territoire national, entre 350 et 400 F CFA.
Ce surcoût d’au moins 175 FCFA sur le prix du sucre pèse lourdement sur les populations pauvres. Ainsi, du fait des privilèges accordés à la CSS, chaque ménage sénégalais (comprenant 9 membres et consommant 12 kilogrammes par tête en moyenne par an) doit «subventionner» la CSS à hauteur de 19.000 F par an, lui permettant d’engranger près de 20 milliards de FCFA de bénéfices indus chaque année ; soit près de 250 milliards FCFA sur dix ans, si l’on tient compte de l’évolution démographique. Le ménage pauvre de 21 membres, ce qui est fréquent en zone rurale, est quant à lui ponctionné de 45.000 FCFA par an, soit la moitié de la bourse de sécurité familiale qu’il doit perdre uniquement avec le prix exorbitant du sucre (sa facture annuelle en sucre atteignant 145.000 FCFA, alors qu’elle n’aurait été que de 100.000 FCFA environ s’il résidait au Mali).
De plus, la CSS existe depuis plus de quarante ans et, malgré la protection exorbitante qui lui a été continuellement offerte, elle n’a jamais réussi à atteindre l’autosuffisance en sucre qu’elle a toujours promise et qu’elle continue de promettre (sa production actuelle déclarée ne représentant que 60 à 75% des besoins nationaux selon les années). Il est donc temps de la sevrer et de la laisser voler de ses propres ailes. Un pas décisif serait déjà de ne plus l’autoriser à importer le sucre qu’elle ne peut pas produire et de fixer une échéance courte (2016) pour la fin de l’application de la taxe conjoncturelle à l’importation sur le sucre et des prix de référence, y compris dans le nouveau système qui s’annonce avec le TEC de la Cedeao.
Un audit approfondi de la structure des prix de la CSS, effectué de manière indépendante, est également devenu indispensable, afin d’éclairer les Sénégalais sur les coûts réels de la production du sucre de canne au Sénégal. Ce point figurait bien dans le dispositif préparé par l’équipe du candidat Macky Sall comme moyen de baisse des prix.
En définitive, le sucre de la CSS se révèle être un vrai poison pour le programme « Yoonu Yokkuté », fondé sur l’amélioration des conditions sociales des ménages et la baisse du coût de la vie. Il sape gravement et progressivement sa crédibilité, en mettant en lumière une compassion à la carte, comme moyen de gouvernance, selon que les acteurs concernés sont puissants ou faibles.
Aujourd’hui, le Président Macky Sall doit choisir son camp : celui du peuple qui souffre ou celui de la CSS qui accumule les surprofits.
Moubarack Lô
Ex Co-Président du Pôle Programme de la Coalition « Macky 2012 »
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