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Aibd – Les Insuffisances D’une Maîtrise D’ouvrage Public

Aibd – Les Insuffisances D’une Maîtrise D’ouvrage Public

Ce sont les insuffisances en ingénierie de la maitrise d’ouvrage publique, en ingénierie de la planification des projets complexes et en ingénierie financière qui exposent le pays à des retards, à des manquements sur la qualité de l’ouvrage, à une mauvaise maitrise budgétaire et enfin à des risques juridiques inhérents au droit des affaires.

Après un lancement des travaux en 2007, pour une opérationnalité prévue en 2010 et malgré l’avertissement d’experts en maitrise d’ouvrage publique sur la nécessité d’un « terme normal moyen » de 10 ans (donc 2017), l’AIBD est passé  d’un budget initial de 229,585 milliards de francs CFA à une énième estimation à 380,200 milliards de F CFA en 2014. Dans l’état actuel des choses, le tableau de l’AIBD est le suivant :

Ce constat étant fait,  concentrons-nous sur ce cas digne d’école qui démontre les insuffisances explicites et majeures en  maitrise d’ouvrage. Toujours dans une approche objective, contributive et technique, j’affirme que ce sont les insuffisances en ingénierie de la maitrise d’ouvrage publique, en ingénierie de la planification des projets complexes et en ingénierie financière qui exposent le pays à des retards, à des manquements sur la qualité de l’ouvrage, à une mauvaise maitrise budgétaire et enfin à des risques juridiques inhérents au droit des affaires.

Cette faiblesse du Maître d’ouvrage (l’entité porteuse du besoin et qui doit définir son objectif (municipalité, ministère, agence ou société d’État) est structurelle et elle provient d’un cadre juridique archaïque porté par une administration bureaucratique gangrenée par le népotisme. En effet, Il faut un cadre juridique similaire à la loi française sur la Maîtrise d’Ouvrage Publique (MOP-1985), qui institutionnalise les principes, les méthodes et technique de la planification pour une bonne maitrise d’ouvrage. Je suis persuadé que si le Sénégal se dotait de ces outils, avec la volonté de les respecter bien sûr, cela serait une innovation de taille en Afrique.

Ainsi, bien avant la passation du marché et le code de construction, un État planificateur a tout intérêt à s’imposer et à imposer à ses agences, à ses ministères et collectivités locales un processus codifiant les principes de la maitrise d’ouvrage publique avant l’entame des recherches de financement et de partenariat. Retenons que quand un pouvoir exécutif ne maitrise pas suffisamment l’ouvrage, car elle n’a pas pris le temps d’analyser les besoins, les risques, les zones critiques et la protection de ses intérêts, alors l’infrastructure risque d’être un éternel problème. Il ne faudrait pas, pour des ambitions purement électoralistes, que des projets d’infrastructures soient pondus en dehors des plans de planification des territoires et même annoncés sans que les accords de financements ne soient ratifiés.  Autrement dit, Il nous faut des Plans de Planification des Territoires qui nous orientent vers les risques et les opportunités des territoires avec une composante infrastructure murie, planifiée et maitrisée.

Pour ce faire, il faudrait que l’Acte III de la Décentralisation  prenne enfin en charge la question de la cohérence des territoires, que l’Aménagement du Territoire  s’occupe concrètement des questions de Développement Durable et du Développement Économique Territorial. Il faudrait aussi que notre politique urbaine se penche sérieusement sur les questions de maîtrise du milieu urbain par la planification urbaine, le zonage et l’urbanisme commercial. Et encore, il faudrait que la décentralisation, l’aménagement et l’urbanisme soient réunis dans un même cadre sectoriel pour bien prendre en charge la transversalité de l’enjeu d’un Développement Territorial durable.

Voilà donc pourquoi nous ne maîtrisons ni la pertinence d’une infrastructure ni les exigences de sa mise en œuvre. En effet, plus le maitre d’ouvrage comprend les enjeux et défis de son ouvrage, plus la société privée qui sera choisie pour exécuter l’ouvrage ( ici le maitre d’œuvre) sera bien sélectionnée et suivant plusieurs critères qui se traduisent en un cahier des charges technique et administratif dont les juristes de l’équipe de projets évaluent les risques en cas de procès. Etudions l’exemple des principes directeurs de la Loi MOP française de 1985, que les grands techniciens du droit surnomment «  le mur de ver ». Ce nom provient du fait que le cadre juridique très technique impose des principes importants comme ceux qui  suivent :

1- l’administration publique contractante doit se doter d’une équipe de projet pluridisciplinaire avec un chef de projet qui maitrise l’ingénierie de la conduite des projets complexes dans l’optique de bien cerner le processus de planification spatiale, globale et stratégique du projet.

2- L’équipe de projet  doit choisir, obligatoirement, une société privée expérimentée dans le type de projet pour  l’assistance à la maîtrise de l’ouvrage (AMO). Elle sera l’assistante technique pour la durée du projet, notamment en ce qui concerne les critères de sélections du maitre d’œuvre, du phasage du projet et de certains aspects de la stratégie de financement.

3- Cette société d’AMO (Assistance à la Maîtrise d’ouvrage) est exclue d’office du processus d’appel d’offre et elle doit déclarer tout conflit d’intérêt et se tenir à côté du Maître d’ouvrage. Ainsi, entre la Maîtrise d’ouvrage et le Maître d’œuvre la loi MOP crée, par ces dispositions techniques et juridiques, un mur infranchissable de transparence : d’où le sobriquet du « mur de ver ».

4- Un jury multisectoriel assisté par l’AMO présélectionne, suivant un système de notation multi-critèrielle, les candidats du concours d’architecture et de projet.

5- Les 3 ou 5 mieux notés recevront par la suite une enveloppe financière et l’ensemble des détails techniques pour participer au concours final suivant le principe du mieux disant et non du moins disant.

En somme, il faut évoluer vers une administration renforcée par une vraie équipe d’ingénieurs de projet, une entreprise experte dans le type de projet comme assistante du maître d’ouvrage, une séparation totale de la maitrise d’ouvrage et du maître d’œuvre, des critères de pré-sélection et un concours final financé et sur la base des mêmes informations pour que l’enjeu soit sur l’innovation et l’émulation. Voilà en résumé le processus qui garantit une Maîtrise de l’ouvrage par le maître d’ouvrage et le choix d’un bon maître d’œuvre et du meilleur projet.

In fine, les accords de partenariat au développement et la recherche de financement ne débuteront qu’après que le processus de maîtrise de l’ouvrage a été bien avancé. Il n’est pas exclu que les partenaires techniques et financiers participent au choix du maître d’œuvre ou à la définition des critères de sélection, mais l’État aura auparavant fait ses devoirs de Maître d’ouvrage pour protéger ses intérêts et ainsi préparer des closes préventives et protectrices. Ainsi, ces exigences pour une bonne maitrise d’ouvrage ne bloquent en rien la recherche de financement. Au contraire, le projet est mieux vendu car mieux compris par le porteur du projet. Les partenaires financiers peuvent ainsi juger des opportunités d’affaire sur la base de documents d’avant-projet précis et chiffrés et ils peuvent calculer le risque à l’investissement et le rendement potentiel. Pour l’État, cela veut dire que nous minimiserons les taux d’intérêts débiteurs trop élevés, nous atténuerons l’impact sur l’environnement, nous pourrons bonifier le potentiel de rendement sur l’économie du pays,  mieux maitriser les coûts, les délais et notre engagement vis à vis des populations en sortira fortifié.

Moussa Bala Fofana (CanadaMontréal)

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