Le vice-Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Sénégal, Me Mbaye Guèye, a déclaré à l’ouverture du procès fort médiatisé d’Hissein Habré que le barreau du Sénégal est contre l’impunité.
Que c’est beau à entendre, mais que c’est loin de la réalité ! Même à l’Ordre des avocats, l’impunité est de mise.
S’il vous arrive de vous sentir arnaqué par un avocat en qui vous aviez placé votre confiance, on vous conseille souvent de déposer une plainte à l’Ordre des avocats. Vous vous attendez alors à ce que toute la lumière soit faite sur l’affaire vous concernant. Au secrétariat, on vous dit d’emblée qu’il y a des piles de dossiers en attente, ce qui donne une idée de l’ampleur des litiges entre les avocats et leurs clients. Il y a quelques semaines, Me Ameth Ba, le bâtonnier, a reconnu que la corruption est un des facteurs qui gangrènent la profession d’avocat. Oui, les avocats sont cités parmi les plus corrompus du pays. La précarité explique cela, dira-t-on. Et que dire de l’escroquerie encouragée par l’impunité dont bénéficient certaines robes noires ? S’il y a des avocats au Barreau qui ont du mal à cotiser 200 000 francs CFA par an ou qui ne parviennent pas à se soigner quand ils tombent malades, d’autres roulent sur l’or et nul ne leur demande d’où vient leur fortune. Comme la corruption gangrène le métier, ne nous est-il pas permis de penser qu’il leur suffit de céder une part du butin à ceux qui sont chargés de faire parvenir les plaintes à destination, voire aux destinataires des plaintes ?
Vous déposez une plainte auprès du Bâtonnier. Quelques semaines plus tard, il vous répond, joignant à son courrier la réaction de l’avocat qui donne une version imaginée des faits. Et dans son texte laconique (juste une phrase), le bâtonnier dit clairement qu’il attend « vos éventuelles observations sous huitaine ». Mais quand on vous a appelé pour vous dire de venir récupérer cette lettre, la huitaine était déjà passée. Délai expiré. Vous le faites remarquer et l’on vous répond que c’est juste une formalité pour pousser les plaignants à répondre vite car il y en a qui trainent trop les pieds. C’est comme si on vous envoyait une lettre aujourd’hui en vous sommant d’y répondre hier. Étrange procédure, n’est-ce pas ? Ne va-t-on pas vous dire demain qu’aucune suite ne sera donnée à votre plainte parce que vous n’avez pas réagi à temps ? Vous ne pouvez pas envisager une telle bassesse. Vous répondez alors, n’ayant pas le choix, et vous donnez la correcte version des faits. On vous promet de vous tenir informé.
Des mois passent. Vous ne recevez aucune nouvelle. Vous appelez et vous vous rendez sur place pour vous enquérir de la situation. On vous dit que la procédure suit son cours et qu’on vous contactera. « Vous comprenez, y a tellement de dossiers à traiter… » D’autres mois passent. Toujours rien. Vous y retournez, on vous donne la même réponse. Et ça continue ainsi. Il arrive qu’au bout d’an, on vous dise de déposer une lettre de relance. Retour à la case départ. Vous sollicitez une audience auprès du bâtonnier. Vous ne recevez aucune réponse. Vous vous rendez maintes fois sur place, on dit tout le temps qu’il est absent ou qu’il est en voyage. Des années passent. Toujours rien. Personne ne vous contacte pour vous dire où en est le dossier et à chaque fois que vous demandez des nouvelles, on répond que la procédure suit son cours. Finalement, vous comprenez que votre plainte sera sans suite. Jamais elle ne sera examinée par le Conseil qui, certes, doit veiller à la défense des droits des avocats, défendre leurs intérêts dans les innombrables conflits qui les opposent avec les particuliers et les juridictions, mais aussi au respect et à l’accomplissement de leurs devoirs. Votre dossier est bloqué. Vous en êtes convaincu. Par qui et pourquoi ? Corruption, « solidarité professionnelle » ? Vous ne le saurez jamais. Vous n’avez plus qu’à vous en remettre au Tout-Puissant, le meilleur des juges.
Oui, « la corruption judiciaire au Sénégal a besoin d’un balai citoyen », comme le dit le bâtonnier Me Ameth Ba. Tout le monde est d’accord là-dessus. Il y a quelques jours, un ancien bâtonnier, Me Mame Adama Guèye, a aussi reconnu que « la corruption dans la justice sénégalaise a atteint des proportions inquiétantes et est présente à tous les niveaux de la justice ». Mais qui donnera le coup de balai ?
Si les autorités compétentes sont éprises de justice et s’érigent contre l’impunité organisée, mais doutent de ce que je raconte, je connais un dossier bloqué depuis deux ans à l’Ordre des avocats et apparemment classé sans suite. Le litige porte sur plus de cent cinquante millions de francs. L’avocat impliqué est dans le milieu depuis plus de 33 ans et connait bien les rouages, ce qui semble lui garantir l’impunité.
Il arrive néanmoins que quelques avocats, pouvant se compter sur les doigts d’une main, arbres qui cachent la forêt, soient sanctionnés pour escroquerie. Ils sont alors suspendus de leur fonction pendant un certain temps et les revoilà. De plus, comme si de rien n’était, ils seront dans les tribunaux pour envoyer d’autres citoyens en prison pour des faits nettement moins graves. Et la meilleure est que quand un avocat est condamné pour escroquerie et abus de confiance par la Cour d’appel, il peut toujours compter sur une grâce présidentielle sur demande… du bâtonnier.
Bien entendu, tous les avocats ne sont pas malhonnêtes. Heureusement.
Bathie Ngoye Thiam.
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