A la faveur de l’instauration du multipartisme en 1974, le Sénégal connait, à l’heure actuelle, une prolifération des partis politiques. Les porteurs de cette réforme entendaient certainement augmenter la vitalité de la démocratie sénégalaise en permettant aux citoyens d’avoir le choix entre plusieurs offres ou programmes politiques différents. La diversité des partis politiques est alors, dans son principe, porteuse d’une démocratie rayonnante. Pourtant, paradoxalement, ces organisations qui sont censées impulser la démocratie ne peuvent pas se prévaloir d’une démocratie interne.
En revisitant l’histoire des formations politiques au Sénégal, on se rend compte que ces dernières, loin d’incarner les visions d’un groupe d’individus, s’identifient souvent à la personne du chef de parti. La personne de ce dernier est difficilement séparable de la structure dont il n’a pourtant eu que le mérite d’avoir fondé. Sa volonté passe avant toute chose et gare aux militants qui voudraient qu’il en soit autrement. On en voudra d’ailleurs pour preuve, cette boutade attribuée, à tort ou à raison, à l’ancien président Me Abdoulaye Wade: « Je suis la seule constante du PDS ».
Cette forme patrimonialisation des partis politiques ne date pas d’aujourd’hui. Elle prend ses racines à l’époque des indépendances au Sénégal. La génération des années 80 garde encore en tête le forcing du président Léopold Sedar Senghor qui avait décidé de porter au pinacle son ancien premier ministre Abdou Diouf devant le tout puissant Babacar Ba, ancien ministre des finances et responsable politique socialiste à Kaolack. Cette décision a été prise sans l’aval des barons et caciques socialistes qui n’avaient d’autres choix que de s’incliner devant la volonté du président Senghor. Devenant ainsi le dauphin « légitime » de Senghor, Abdou Diouf lui succédera à la tête du pays avec le vote du fameux article 35 de la constitution.
En 1996, lors du XIIIe congrès « sans débat » du PS, le Président Abdou s’autoproclame Président du parti socialiste et fait d’Ousmane Tanor Dieng Premier Secrétaire. En son temps, le regretté journaliste Mame Less Dia, dans son hebdomadaire satirique, « Le politicien », avait consacré un éditorial à ce congrès en comparant l’instance dirigeante du PS au fameux « Poliburo » du parti unique dirigiste de l’Urss de Léonid Brejnev.
Cette décision unilatérale du président Diouf ne sera pas du goût des ténors socialistes de l’époque comme Moustapha Niasse et Djibo Ka qui quitteront les rangs du Parti Socialiste pour créer plus tard leurs propres partis politiques. Ironie de l’histoire, le secrétaire général de l’Alliance des forces du progrès (AFP) Moustapha Niasse ne s’est pas gêné pour se séparer du clan de Malick Gackou qui ne réclamait ni plus, ni plus moins que le droit, pour leur parti, d’avoir un candidat à la prochaine élection présidentielle.
L’actualité la plus récente donne encore la preuve la plus éclatante de la patrimonialisation des partis politiques au Sénégal. Le Parti Démocratique Sénégalais semble ainsi tenir le haut du pavé dans ce domaine. En effet, c’est un secret de polichinelle que de dire que toutes les manœuvres de l’ancien président Abdoulaye Wade sont destinées à libérer son fils et in fine, à en faire l’héritier « légitime » du parti. Certains ténors du Parti Démocratique Sénégalais comme Me Souleymane Ndéné Ndiaye et Modou Diagne Fada qui veulent s’opposer à cette forme de dévolution monarchique n’auront malheureusement pas d’autres choix que de rompre les amarres avec le tout puissant Pape du Sopi.
Au regard de ce qui précède, force est alors constater que les formations politiques constituent certes des rouages importants dans le jeu démocratique. D’ailleurs, il n’y pas de démocratie sans contradiction, et cette contraction est portée par ces formations politiques. Cependant, il est nécessaire, pour que ces dernières puissent jouer convenablement leurs rôles, que la démocratie en leur sein devienne une réalité.
Abdoulaye FALL
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