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Et La « Nudité Intégrale » Dans Nos Médias, Monsieur Le Président ?

Et La « Nudité Intégrale » Dans Nos Médias, Monsieur Le Président ?

Le débat sur l’interdiction éventuelle du « voile intégral » dans notre pays, vient d’être relancé dans l’opinion publique et les médias, à la suite des récents propos du Président de la République sur la question de la menace terroriste.

Les avis sur la question étant partagés entre, schématiquement, ceux qui approuvent cette idée, suivant notamment l’argument qui veut que cette pratique « ne relève point de notre culture et de nos traditions religieuses » ou qu’elle peut constituer « une menace terroriste » pour notre pays. D’autres, comme moi, demeurant profondément dubitatifs quant à la pertinence et l’opportunité d’une telle décision qu’ils trouvent, au contraire, contreproductive et trop superficielle.

En effet, observons un moment, sans passion, la validité des principaux arguments avancés par les anti-voiles pour se convaincre de leur relative légèreté.

L’ARGUMENT CULTUREL

Si l’argument de l’ « authenticité culturelle » invoqué par le Président Macky, stricto sensu et sans intégrer d’autres considérations secondaires, devaient être appliqué à toutes nos attitudes, à nos modes d’habillement et nos discours, très peu de choses subsisteraient en réalité dans notre Sénégal moderne. Tellement certains traits culturels et religieux actuels de notre pays, que l’on a souvent tendance à penser être les nôtres, trouvent leurs sources historiques et origines culturelles dans d’autres horizons (Orient, Maghreb, Occident etc.).

Le « Tourki Ndiaareem » (déformation de costume « turc ») qui donnera plus tard naissance, en milieu mouride, aux « Baye-Lahad » et autres « Baye-Chouhaïbou », est-il réellement d’origine sénégalaise ? Les fameux « moussor » (déformation de « mouchoirs » de tête) de nos ancêtres et leurs « taille-basse » ou « ndokettes » n’ont-elles rien hérité des modes signares ou celles d’ailleurs ? Sommes-nous aussi certains que nos « simisou alâji » (chemises d’El Hadji de la Mecque), « boné faas » (bonnets de Fez) et autres « maraakiis » (babouches de Marrakech) sont, « culturellement » parlant, bien de chez nous ? Et l’on pourrait continuer indéfiniment les exemples…

Tout ceci, pour simplement dire que la quête naïve d’une authenticité culturelle parfaite n’est qu’un leurre. Le Sénégal ayant toujours été à la croisée des chemins et au carrefour de plusieurs influences et héritages. Et que le fait qu’une attitude ou pratique ne relève pas de notre héritage culturel ancien n’est pas en soit suffisant pour l’interdire à ceux qui l’auraient librement choisi. Ceci, dans certaines limites claires (décence, ordre public etc.) définies librement par notre peuple.

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Irons-nous ainsi, dans cette même logique, jusqu’à interdire un jour chez nous le port des turbans iraniens ou indiens, celui des keppa juifs ? Les voiles (perçus comme « arabes » par certains) de beaucoup de jeunes sénégalaises voilées, ceux des bonnes sœurs catholiques, sont-ils culturellement plus « sénégalais » que les « burqa » afghans ou iraniens ? En effet, si l’on s’avise d’ouvrir aussi facilement la boîte de Pandore de l’authenticité culturelle, en dehors d’autres arguments moraux et sociologiques démontrés, rien ne s’opposerait théoriquement à ce que notre État puisse un jour, sous l’argument massue et fourre-tout de la « lutte contre le terrorisme », interdire d’autres pratiques que les sénégalais d’aujourd’hui auront du mal à imaginer…

Pour prendre d’autres exemples plus modernes ou plus parlants (à même de montrer les contradictions sur cette question), que dire de la mode des « saris » indiens chez nos femmes ? Celle des « cheveux naturels » ? Du khessal dévastateur ? Des pantalons serrés ou rabaissés, des « pinws » et d’autres modes actuelles ou passées que la décence m’interdit ici de citer ? Ou étaient nos autorités lorsque des danseuses, mannequins et chanteuses portaient des tenues extravagantes exhibant leurs parties intimes dans les journaux people ? S’il ne s’agissait véritablement que de préserver nos valeurs culturelles, quelles valeurs seraient plus prioritaires à défendre que la « Kersa » (pudeur), le « Jom » (dignité) et la « Soutoura » que nos personnages publics et stars enfreignent quotidiennement au vu et au su de tout le monde (le CNRA y compris), à longueur de clips obscènes, de séries télévisées, de défilés de modes, de « Dakar ne dort pas » stripteaseurs etc. ?

L’ARGUMENT SÉCURITAIRE

Qu’en est-il à présent de l’argument « sécuritaire » brandi par d’aucuns pour stigmatiser le port du voile, dit « intégral » ou pas ?

Il est autant et même plus léger que le précédent, à notre avis. Pensez-vous sérieusement qu’une kamikaze qui aspire véritablement se faire sauter pour accéder au Paradis en miettes puisse être arrêtée par la seule éventualité de troquer sa Burqa contre nos grands-boubous non moins amples pour camoufler n’importe quelle bombe ? Au contraire, du moment même où cet habillement deviendrait suspect et stigmatisant, les potentiels terroristes n’éprouveraient aucun problème à les échanger contre d’autres modes vestimentaires jugées plus « neutres » pour perpétrer leur forfait. D’ailleurs, à ce propos, un élément contreproductif que les autorités politiques et religieuses qui soutiennent ce harcèlement inédit contre une partie de notre population ne semble pas intégrer dans leur schéma est le risque accru de « radicalisation », à long terme, chez des citoyens innocents se sentant injustement stigmatisés pour leurs choix religieux pourtant à priori inoffensifs pour leurs concitoyens. Je trouve donc, au vu du sérieux de la question sécuritaire, cet argument des plus puérils et même dangereux.

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Et quid de l’argument sur l’impossibilité d’identifier les individus cachés sous un voile intégral ? C’est simple. Les services de sécurité n’auront qu’à demander systématiquement à tout sujet suspect de se découvrir, comme ils le font d’ailleurs pour mieux identifier tous ceux qui portent des lunettes ou d’autres atours jugés gênants.

De tout ceci il ressort que, quoique ne souscrivant pas nécessairement à certains choix vestimentaires religieux (ne correspondant pas à ma compréhension des textes religieux), je respecte les options différentes librement adoptées par les autres citoyens sénégalais, par conviction religieuse, dans la limite toutefois de nos règles de décence et de respect de l’ordre public. Nous soutenons donc, dans cette polémique, toutes nos sœurs qui auront décidé de couvrir leurs corps, quelles que soient la mode culturelle à travers laquelle elles auraient choisi de le faire. Car préférant de loin leur voile intégral (adopté en réalité par une insignifiante minorité de la population, pour être représentative) à la nudité intégrale et à la burqa pornographique qui pollue quotidiennement nos télévisions et sites web. C’est un droit que leur garantit, jusqu’à preuve du contraire, la Constitution et les règles qui régissent la liberté de culte dans notre pays.

LA FRANCE N’EST PAS LE SÉNÉGAL

Au vu de tout ceci, comment pouvons-nous alors comprendre que cette question si importante du terrorisme soit abordée par nos autorités sous l’angle si léger de l’habillement ou même d’une prétendue meilleure « formation des imams » ? Tout simplement par mimétisme idéologique et importation unilatérale de l’approche de cette problématique par des pays comme la France. Pays d’une laïcité extrémiste n’ayant pourtant ni le même rapport historique avec la religion que nous, ni les mêmes types de ressorts internes et modèles de coexistence pacifique à même de faire face aux menaces de l’extrémisme…

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En définitive, je pense qu’il est important et louable que nos autorités prennent de plus en plus au sérieux la question des menaces terroristes pour notre pays. Et, pour ce faire, il est plus qu’urgent qu’une unité sacrée se fasse autour de la plus haute institution du pays, le Président de la République, et des autres institutions garantes de la stabilité nationale. En ce sens, le plus large consensus devrait rapidement se faire, avec un degré élevé de responsabilité citoyenne, au niveau de toutes les franges de la nation : politiques, religieuses, intellectuelles, société civile etc. Ceci, avec un esprit de dépassement et de transcendance sur les questions politiciennes ou partisanes.

Mais, aussi importante que sera cette unité sur l’essentiel, elle ne pourra se faire qu’avec une plus grande clairvoyance de nos dirigeants dans leurs approches et décisions sur cette question sensible. Approches qui ne devraient nullement s’élaborer n’importe comment, dans les menaces et tentatives d’intimidation envers toute critique objective ou idée opposée émise pour le bien de la nation. Tant notre pays ne dispose point d’arme plus efficace contre les extrémismes que ses ressorts culturels, intellectuels et socioconfrériques endogènes. A condition toutefois que ceux-ci soient plus intelligemment mis à contribution et que nos dirigeants ne se perçoivent plus comme des démiurges s’adressant à des sujets passifs et délobotomisés.

Malheureusement, cela ne nous semble point, pour le moment, être le cas…

 

A. Aziz MBACKE Majalis
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