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Terrorisme Au Sénégal ? Un Débat Entre Amalgames Et Manipulation D’une Question Sensible

L’existence de groupes autoproclamés djihadistes comme Alqaïda et Daesh constitue un mal pour le monde entier et surtout pour les musulmans. C’est un fléau auquel les Etats et les sociétés font face et contre lequel il faut lutter avec la dernière énergie. Cependant, cette lutte demande des stratégies particulières et complexes qu’il faut bien murir pour être efficace.

Depuis quelques temps, un débat sur le « terrorisme » se pose au Sénégal suite à l’arrestation de sénégalais « soupçonnés » appartenir à des réseaux « djihadistes ». Si de telles accusations sont infirmées, c’est tant mieux car cela nous conforterait dans notre idée que, modelés dans ce cadre socio-culturel dont on est toujours fier, les Sénégalais ne sont pas prédisposés à des actes terroristes. Quel que soit l’issu de ces arrestations, il faut être conscient que la question du terrorisme est aujourd’hui une réalité qu’aucun Etat digne de ce nom ne saurait ignorer.

L’existence de groupes autoproclamés djihadistes comme Alqaïda et Daesh constitue un mal pour le monde entier et surtout pour les musulmans. C’est un fléau auquel les Etats et les sociétés font face et contre lequel il faut lutter avec la dernière énergie. Cependant, cette lutte demande des stratégies particulières et complexes qu’il faut bien murir pour être efficace. Les différentes conférences et sommets de même que les dernières sorties du Président Macky Sall semblent montrer que notre Etat essaie de se positionner parmi les pays tête de file de ce combat.

Pourquoi le Sénégal tente-t-il de se positionner comme tête de file de la lutte contre le terrorisme ? Cette question mérite d’être posée pour plusieurs raisons : d’abord, notre pays n’a pas cette légitimité de porter le leadership contre le terrorisme parce que, Dieu merci, jusque-là il est épargné contrairement à d’autres pays qui vivent concrètement ce phénomène et qui seraient mieux placés pour jouer les premiers rôles. Ensuite, des pays plus puissants que le Sénégal et plus dotés en services de renseignement et en moyens financiers, sécuritaires et militaires ont pu constater de manière dramatique les risques d’un tel statut. Ma conviction c’est que le Sénégal ne gagne pas grand-chose à part une « reconnaissance » comme « bon élève » et un rapprochement amicale avec des pays comme les USA et la France.

Peut-être aussi qu’avec un tel positionnement, il pourrait bien se placer afin de bénéficier des fonds et financements mis en place pour appuyer le développement en vue de lutter contre le terrorisme au Sahel. Ce qui est sûr c’est qu’un tel positionnement, attirerait les terroristes et le Sénégal risquerait de payer le lourd tribut que paie la France aujourd’hui à cause de sa volonté d’être tête de file au niveau international de la lutte anti-terroriste.

Besoin de déconstruction/reconstruction du discours et des concepts et paradigmes du terrorisme Si nous sommes tous d’accord sur le besoin d’éradiquer le terrorisme dans le monde, nous sommes aussi conscients de la nécessité d’une déconstruction/reconstruction du discours, des paradigmes et concepts « importés » sur le terrorisme et l’Islam. Il est donc normal que chaque pays essaie de définir ses propres objectifs et lignes directrices pour régler cette question dans le contexte de sa propre société. « Radicalisme », « extrémisme », « intégrisme », islamisme », « fondamentalisme » et autres mots en (isme) « Islam tolérant VS non tolérant »…Ces concepts galvaudés, idéologiquement chargés, conçus et élaborés ailleurs avec des objectifs spécifiques méritent d’être déconstruits dans une société majoritairement musulmane si on veut engager un vrai débat et mener des actions préventives efficaces pour le bien de tous.

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Il est inconcevable que des pays ayant des rapports historiques différents avec l’Islam puissent définir des outils, concepts approches et mécanismes standards pour aborder ces questions sous l’angle de l’Islam. Une telle posture est d’autant plus dangereuse qu’aujourd’hui, il y a des enjeux pécuniaires pour les Etats, certains intellectuels et une certaine presse. Combien d’Etat gagnent aujourd’hui des financements au développement au nom de la lutte contre le terrorisme ? Combien de soi-disant chercheurs (qui ne disent que ce qui plait aux pays occidentaux), laboratoires, Think Tank et journalistes gagnent des marchés et appuis financiers pour travailler sur le terrorisme dans le Sahel. Ces gens-là ne gagneraient-ils pas à ce que la menace terroriste soit réelle et plus étendue pour que les enveloppes destinées à leurs travaux se gonflent et que leurs zones d’intervention s’élargissent. Il faut le dire, le terrorisme aussi tend à devenir un fonds de commerce pour certains en Occident comme dans nos pays.

On comprend tout de suite l’intérêt de certains acteurs véreux à nous tympaniser avec l’existence de « cellules dormantes » par ici ou de « centres d’incubation » d’idées terroristes par là. Une lucidité et un bon diagnostic : 2 impératifs majeurs Le Sénégal à travers son Président hausse le ton et montre une fermeté contre le terrorisme. On aurait souhaité que notre président rappelle aussi avec cette même fermeté aux Occidentaux leur rôle dans les évolutions du terrorisme au Sahel et au Moyen Orient ! Le Président doit se rendre à l’évidence que les menaces, le tout sécuritaire avec tolérance zéro, la dissémination de la peur et de la psychose ont conduit à des échecs notables en matière de lutte contre le terrorisme dans tous les pays qui ont adopté ces méthodes.

Déjà en 2007, le Sénégal a voté dans la précipitation la loi N°2007-01 du 12 Février 2007 modifiant le code pénal en y introduisant un dispositif juridique de lutte contre le terrorisme. Cette Loi a été promulguée par Abdoulaye Wade pendant que l’actuel Président était son Premier ministre. En même temps, sur le plan international, le Sénégal a ratifié et adhéré à des conventions, résolutions et déclarations de lutte contre le terrorisme. Tout cela s’est fait sans débats publics et sans consultations des acteurs politiques, religieux et de la société civile. Tout récemment, l’interdiction du voile intégral a été annoncée par le Président de la République. Pour soutenir cette positions, des voix soutiennent que c’est une recommandation exclusive pour les femmes du Prophète Mouhammad, d’autres essaient tout simplement d’exclure cette pratique de l’Islam.

Il est vrai que le voile intégral n’est pas une obligation, mais ce serait une erreur grave que de commencer à exclure de l’Islam des choses à cause de leur caractère non obligatoire. Le simple fait que des femmes du prophète aient porté le voile intégral devrait pousser les musulmans à être moins moqueurs de cette pratique même s’ils ne la défendent pas. Concernant l’interdiction en tant que telle, mis à part l’argument culturel qui résiste très mal à l’analyse, cette mesure sur le voile intégral, quoi que négociable vu le contexte sécuritaire mondial, révèle des limites réelles.

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D’abord, au lieu de susciter l’adhésion et la coopération, la forme du discours appelle beaucoup plus des réflexes de résistance chez cette très infime partie des sénégalaises que cela concerne. Un message mieux structuré et plus « pédagogue » aurait pu permettre une meilleure sensibilisation de tout le monde sur l’importance d’une telle mesure sans entrer dans des jugements de valeur et autres considérations et débats d’écoles non maîtrisés.

Par ailleurs, on ne peut pas nier qu’il y a eu certes en Afrique et dans le monde des attentats commis par des personnes camouflées sous une voile intégrale, mais la proportion est insignifiante comparée à tous les autres commis en moto, bus, auto par des hommes habillés banalement et de manière insoupçonnée en Jean-T-shirt-Basket à l’américaine. Les menaces et interdiction n’ont jamais rien réglé. Les dispositions pénales peuvent être bien pour juger ceux dont les tentatives d’actes terroristes n’ont pas marché, mais elles ne peuvent pas dissuader quelqu’un qui, par obscurantisme profond, pense accomplir l’acte d’adoration le plus élevé et qui, au lieu d’avoir peur de la mort, l’affronte avec espoir et enthousiasme. C’est le lieu de dire qu’il faut arrêter cet arnaque consistant à affirmer que c’est parce que les jeunes musulmans de nos pays sont pauvres qu’ils deviennent terroristes et que par conséquent, il faut que l’Occident mobilise des financements comme réponse. Ce n’est pas tout à fait vrai !

Les gens sont souvent terroristes parce qu’on leur a fait croire que le plus grand souhait d’un musulman c’est de devenir « chahid » (martyr) et que s’engager avec les obscurantistes de Daesh ou d’Alqaïda leur permettrait, sinon de mourir en martyr, du moins de défendre l’Islam. La plupart ne sont ni pauvres, ni analphabètes, ils sont dans l’erreur et il faut travailler à déconstruire le discours qui les a égarés. Le combat contre le terrorisme de groupes se réclamant de l’Islam est d’abord idéologique, politique avant d’être économique.

Amalgames et instrumentalisations confessionnels : des écueils à éviter ! Dans la communauté musulmane, tout le monde est d’accord que sur le plan du dogme et des pratiques cultuelles, il y a des controverses au Sénégal (comme partout ailleurs dans le monde musulman) entre non partisans d’un islam que j’appellerai ici par simplification « non confrérique » (communément appelés Ibadou et inspirés par le salafisme ou les idées des frères musulmans) et les membres des confréries soufis fondées ou promues par nos vaillants érudits (Seydi Elhadji Malick SY, Cheikh Ahmadou Bamba, Mame Bou Kounta, Cheikh Ibrahim Niasse, Mame Limamou Laye…).

Cependant, malgré de petites tensions sporadiques, les gens vivent ensemble dans les maisons, les bureaux, les marchés et partout sans confrontation physique et sans volonté pour les uns de détruire les autres par quelque violence que ce soit. Rare sont aujourd’hui les familles, quartiers et villes au Sénégal où ne se côtoient des Tidjanes, Mourides, Talibé Baye, Layènes et ibadous, certes sans partager la même manière de vivre l’islam mais, en parfaite harmonie et en respectant les valeurs de bon voisinage et le ciment fort du cousinage à plaisanterie connus dans ce pays. Cette situation a une tendance irréversible : désormais, ces différentes manières de vivre l’Islam (y compris les shiites qui font aussi partie de cet environnement) vont cohabiter.

Toute tentative, de quelque bord que ce soit, de faire disparaitre ou affaiblir l’une ou l’autre d’entre elles sera vaine et ne fera que générer des conflits. La question n’est pas alors de savoir quel type d’islam entre le confrérique et le non confrérique le Sénégal doit promouvoir comme rempart au terrorisme. Il s’agit plutôt de voir comment les Sénégalais, quel que soit leur sensibilité sont-ils prêts à assumer leur citoyenneté dans un pays laïque, majoritairement musulman qui leur offre les conditions de pratiquer leur religion dans les mosquées et, autant que faire se peut, dans les différents domaines de leur vie (éducation, finance, politique, vie civile…). Sur ce plan, ceux qui essaient de montrer que l’Islam soufi se limite à la quête d’une spiritualité intérieure et que seuls les ibadous portent des revendications pour la prise en compte politique de certains principes du droit islamique se trompent.

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Le prénom « khali » qu’on connait bien au Sénégal ne provient-il pas du mot « qadhi » juge qu’on connait dans la chari’a ? il y avait des personnes qui avaient appris la chari’a et qui assumaient les fonctions de juge exclusivement sur la base du Droit musulman. Jusqu’à une époque très récente, on donnait des coups de fouet pour adultère et fornication dans plusieurs villes religieuses du Sénégal. Jusqu’à présent, beaucoup d’actes prohibés par l’islam sont interdits et punis dans des villes comme Camberène, Thiénéba, Touba, Ndiassane, … A-t-on déjà oublié le combat porté par Serigne Abdou et avec lui l’ensemble des marabouts et mouvements islamiques pour que le code de la famille intègre des éléments du droit islamique ? Ce n’est que tout récemment d’ailleurs qu’il y a eu la prolifération de femmes qui font des chants religieux au sein de familles maraboutiques mais il était inimaginable pour quelqu’un comme Serigne Abdoul Khadre par exemple d’entendre une femme élever sa voie dans des assemblées mixtes encore moins entonner des chansons et zikrs.

Serigne Sohibou Mbacké et quelqu’un comme Serigne Sam Mbaye, se basant sur la tradition prophétique et les enseignements de Serigne Touba ont été plus durs que les ibadous par exemple sur la question de serrer la main ou donner des ‘bises’ à une personne de sexe opposé. Nous pouvons continuer à citer des hommes, des actes et des lieux pour étayer notre propos. Evitons de promouvoir la division avec des analyses expéditives qui indexent une communauté.

De la même manière que les musulmans ne se reconnaissent pas dans cette lutte que des groupes mènent à leur nom, les salafistes ne s’auraient se reconnaître dans des actes de terroristes revendiquant leur appartenance au salafisme. Contre le terrorisme, l’union des cœurs et des forces est la meilleure des armes et constitue le gage de la coopération des populations qui est indispensable dans cette lutte. Le discours doit être rassembleur et créateur de consensus.

L’important c’est qu’en plus de la traque discrète à travers des filets bien construits par nos services de renseignement, tout le monde soit sensibilisé sur les dangers et que personne ne se sente visé, stigmatisé ou exclu, surtout sur la base de ses convictions. Cette approche est plus efficace que les stigmatisations, les réglementations corsées et la volonté de montrer un semblant de courage et de force contre cette forme de guerre à laquelle, même les armées les plus douées ne sont préparées vue son caractère « non-conventionnel » et anarchique.

 

Iba Mar Faye

sociologue chercheur

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